Un jour avec, un jour sans



Vendredi 24 Juin 2016 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Hong Sang-Soo  – Corée du Sud – 2016 – 2h01 – vostf

Dans le cadre de la saison coréenne au Musée Départementale des Arts Asiatiques du 30 Mai au 7 Novembre.

Le réalisateur Ham Cheon-soo arrive un jour trop tôt dans la ville de Suwon, où il a été invité à parler de son oeuvre. Il profite de cette journée d’attente pour visiter un palais de la ville. Il y rencontre Yoon Hee-jeong, une artiste locale avec laquelle il va discuter, dîner, boire… Mais il n’est pas tout à fait honnête avec Yoon Hee-jeong.

Notre critique

Par Josiane Scoleri

Un jour avec, un jour sans pourrait sans doute s’intituler « Le je ne sais quoi et le presque rien ». Le film est en effet tissé d’une matière  quasi-impalpable et pourtant, pour rester dans la pensée de Jankelevitch, c’est ce presque rien qui est justement tout.

Le cinéma de Hong Sang Soo se caractérise par des dialogues subtils et volontiers intello qui lui ont valu en France d’être souvent comparé à Rohmer ( la soulographie en plus). Mais si le cinéaste revendique lui-même sa filiation avec la Nouvelle Vague française, nous voyons comment de film en film, son parti pris se fait de plus en plus radical dans une sorte d’épure  minimaliste,  avec par conséquent d’autant plus de risques à la clef.

Ici, le film est scindé en deux parties de même durée : un jour avec et un jour sans… sans que le spectateur sache très bien avec quoi et/ou sans quoi. Le titre en anglais quant à lui,  a été traduit par «  Right now, Wrong then »  c’est à dire  Juste maintenant, Faux naguère, mais qui devient en cours de route, Right then, Wrong now , c’est à dire précisément l’inverse… Il faudrait savoir… Mais justement, est-il possible de savoir ? C’est toute la question.

Le réalisateur embarque ainsi le spectateur dans un jeu de piste  ressemblant étrangement à cet exercice d’observation  qui consiste à détecter les différences mineures qui existent entre deux dessins apparemment identiques. Ici les mêmes personnages dans un même lieu au cours de la même journée. Même situation, même contexte, presque les mêmes dialogues et pourtant les rapports qui se nouent entre les deux protagonistes vont s’avérer bien différents. Presque les mêmes couleurs et les mêmes cadres et pourtant, visuellement ce n’est pas le même film. C’est à dire que tant sur la forme comme sur le fond, les variations – si minimes soient-elles – changent complètement la perspective.  Le spectateur est ainsi mis à contribution, ses sens en alerte combattant la résistible impression de déjà vu qui sinon risquerait de prendre le dessus et de nous faire perdre toute la substance du film.  C’est ainsi que nous remarquons la couleur du ciel ( gris et bas dans la première partie, bleu et lumineux dans la seconde) ou encore la température ( d’abord clémente, puis beaucoup plus froide, avec toute la gestuelle qui l’accompagne), la couleur utilisée par Jun Hee lorsqu’elle peint, l’utilisation de la voix off et la musique, etc… un exemple parmi d’autres de ces infimes décalages capables de créer une atmosphère totalement différentes et d’induire une autre perception chez le spectateur.

En tant que cinéaste, Hong Sang Soo se situe quelque part entre funambulisme et  haute voltige, n’hésitant pas à se mettre doublement en danger dans cet exercice d’équilibriste, avec le personnage masculin qui est un réalisateur connu, venu participer à un débat sur un de ses films dans une petite ville de province (un temple, des ruelles tranquilles, une patinoire puisque c’est l’hiver, un café, etc…). Du coup, se pose instantanément la question du regard sur l’œuvre d’un artiste, l’impact de la célébrité – Jun Hee n’a vu aucun de ses films et n’aime pas le cinéma, mais elle sait qu’elle a affaire à quelqu’un de connu dont elle a entendu parler dans les journaux- le rôle des critiques et des cinéphiles… Sans que ce soit le sujet principal du film, la question du cinéma en constitue la colonne vertébrale et structure l’ensemble du récit. Et il n’est pas innocent que Jun Hee soit peintre amateur ; images fixes vs images en mouvement, œuvre individuelle, vs œuvre collective, anonymat vs célébrité, amateurisme vs professionnalisme, tous ces éléments participent à la réflexion, mais à la manière de Hong Sang Soo où tout est dans l’esquisse, sans jamais appuyer ni démontrer quoique ce soit. En fait, à l’intérieur de chaque partie du film,on retrouve une construction fondée sur l’opposition.

Et puis, comme dans tous les films de Hong Sang Soo, il y a l’alcool… L’alcool devient rapidement un personnage à part entière. De ce côté-là, nous sommes bien davantage chez Duras que chez Rohmer, ou peut être encore chez Cassavetes…C’est l’alcool qui délie les langues et les corps, qui permet de laisser surgir l’irrationnel. N’oublions pas que nous sommes dans une société où toute effusion émotionnelle est proscrite et où il ne fait pas bon étaler ses sentiments. Seul l’alcool permet de faire sauter le verrou et il est abondamment utilisé… L’acteur du film (prix d’interprétation masculine à Locarno, l’an dernier) passe admirablement du séducteur plutôt minable, souhaitant tirer parti de sa renommée à l’homme de plus en plus titubant et capable de passer outre les règles de la bienséance communément admises.

Il en résulte une douceur mélancolique et vaguement triste portée par la banalité des situations avec ses presque réussites et ses ratages en série. Dans l’une où l’autre version de cette rencontre, il est avant tout question de la liberté que donne le cinéma dans la manière de raconter des histoires, ici de recommencer carrément sans explication, sans nécessité apparente, si ce n’est le plaisir d’imaginer comment ça pourrait se passer, comment ça aurait pu se passer, comme on tire à pile ou face, un jour avec et l’autre sans, juste aujourd’hui et faux hier ou vice-versa. Si le mot marivaudage n’existe pas en coréen, Hong Sang Soo l’a certainement inventé ici.

Sur le web

Comme l’indique son titre, Un jour avec, un jour sans est en réalité constitué de deux films, qui sont autant de variations autour du même sujet, la rencontre amoureuse entre un cinéaste et une peintre. Hong Sang-soo pousse l’expérimentation jusqu’à inclure un second générique et une issue différente à chaque histoire. Les acteurs eux-mêmes ont joué les deux versions de l’histoire, pouvant ainsi intégrer à leur interprétation cette répétition des situations: « Ce n’est pas la première fois que Hong Sang-soo s’essaye à ce procédé de « film brisé » que l’on retrouve sous diverses formes toutes aussi mystérieuses les unes que les autres : La vierge mise à nu par ses prétendants et plus récemment Matins calmes à Séoul. Le réalisateur se joue de nos habitudes de spectateur averti qui cherche sans cesse à établir des connexions et des comparaisons, qui souhaite tout comprendre et tout interpréter. Le cinéaste veut dénouer ces mécanismes en les rendant inopérants, en nous tirant par la manche vers toujours plus de simplicité. Le fait que le film raconte de deux manières différentes une même rencontre est évidemment de l’ordre de l’expérimentation pure, mais il ne faut pas y chercher une sorte de théorie, la clé se trouve à la surface, dans ce que nous voyons et dans l’effet perturbant que cette répétition produit en nous. D’une version à l’autre, quelques petits ajustements, une réplique qui saute, un dialogue complètement différent, un peu moins d’enthousiasme ici, un peu plus par là, la jeune peintre boit dans le premier film et pas dans le deuxième, dans le premier film l’homme s’enthousiasme pour sa peinture, dans le deuxième il émet des critiques. On peut évidemment penser à Smoking/No Smoking d’Alain Resnais ou encore à la place de choix que possède le hasard dans l’oeuvre d’Eric Rohmer et pourtant rien de déterminant ne change le cours de la rencontre, c’est toujours un peu pareil. Comme ces cinéastes, Hong Sang-soo a toujours ménagé beaucoup de place au hasard et à l’aléatoire jusqu’à en faire un personnage à part entière : il n’y a pas qu’un homme, une femme et de l’air dans le plan, il y a aussi cette force invisible et malicieuse, cette loi qui voyage incognito, comme l’énonce un proverbe arabe, et qui actionne la rencontre avant de lui donner forme. Hong Sang-soo nous dit quelque chose de très simple : il arrive que nous sous-estimions parfois son influence, mais on peut aussi la surestimer. Le hasard n’est pas qu’une grande affaire, c’est aussi une petite histoire qui tourne sur elle-même sans but. Elle peut être à l’origine d’une rencontre décisive comme d’une coïncidence dérisoire. Qu’est-ce qui lie donc ces deux films ? Sont-ils les deux versions d’une même série de faits ? La version de l’homme suivie de celle de la femme ? Sur nous, le deuxième film fait l’effet d’être la carte imprécise d’un territoire déjà arpenté, ou alors la répétition cauchemardesque et amnésique d’une même situation. Un film se superpose à l’autre, et trace les contours de leurs dissemblances. Le premier serait alors le réel, et le deuxième sa version ? Ou alors, autre hypothèse énoncée à l’aune d’une filmographie : il n’y a, chez Hong Sang-soo, que des versions, jamais de réalité, des apparences tenues par aucune substance et tout s’écrit et se filme sur fond de ce deuil-là. Puisque tout n’est jamais que version, l’essence même de la réalité se confond alors avec celle du cinéma. Un rapport au réel, c’est toujours déjà un film. » (Murielle Joudet – ACOR)

Pour son dix-septième long-métrage, Hong Sang-soo continue d’explorer des thèmes qui lui sont chers comme la rencontre amoureuse entre deux artistes, la découverte de l’autre et les relations conflictuelles, à l’instar de Night and Day (2010), The Day He Arrives (2011) ou La Vierge mise à nu par ses prétendants (2004), dont la forme est aussi morcelée et non-linéaire: « La rencontre chez Hong Sang-soo c’est une mise en contact entre deux êtres appartenant chacun à un monde différent, chacun étant pour l’autre une sorte d’objet non identifié, de présence extra-terrestre, d’altérité pure. Ce n’est pas qu’un détail si, souvent, au début du film, les héros se retrouvent dans une ville qu’ils connaissent mal, car l’autre est précisément comme une ville que l’on visite en touriste : on y découvre ses habitudes, ses coutumes, ses croyances, sa tonalité et sa lumière particulières. On l’arpente pendant un court instant, parfois on peut décider de s’y installer mais c’est rare. Car la rencontre chez Hong Sang-soo est toujours brève, les êtres sont de passage et le temps est compté. La rencontre est ainsi d’autant plus pure et belle qu’elle se sait limitée au moment même où elle commence. Il faut vite se quitter avant qu’elle ne devienne autre chose qu’une rencontre.« (Muriel Joudet –  ACOR)

« Adoptant une structure dichotomique faisant vivre à ses sujets la même histoire une seconde fois (les deux parties du film étant séparées par la réapparition de l’écran-titre), Un jour avec, un jour sans se révèle exquisément ludique : le spectateur, fort de l’expérience passée, voit son empathie décuplée, tandis que les personnages semblent altérés par un passif qu’ils ne peuvent pas comprendre. Et tout le génie de Hong Sang-soo de s’exprimer, les variations étant aussi évidentes que subrepticielles. Si d’aucuns peuvent reprocher au cinéaste la redondance de thématiques qu’il a exploitées au cours de sa carrière, ce dernier, dans un ultime tour de force, transcende l’essence même du langage cinématographique : dans Un jour avec, un jour sans, chaque cadre, chaque mot, chaque geste, chaque intonation est riche de sens ; l’enchaînement des plans-séquences ne laisse aucune place au superflu et cette épure stylistique magnifie le lyrisme des petits riens. Les échanges entre Cheon-soo et Hee-jeong, imprégnés de vulnérabilité et d’une candeur mélancolique, percent l’âme, et l’honnêteté du protagoniste masculin (lors de la seconde partie) fait écho à celle de l’auteur. Alors que deux univers s’entrechoquent sans pouvoir s’unir, la forme du film épouse son fond… Assurément, il ne faut que peu de chose pour livrer une œuvre d’une telle intensité émotionnelle (sans jamais sombrer dans l’excès) lorsque l’on a le talent de Hong Sang-soo. » (aVoir-aLire.com)

Le cinéma d’ Hong Sang-soo continue de séduire les festivals depuis le début de sa carrière au milieu des années 1990, avec Le jour où le cochon est tombé dans le puits. Un jour avec, un jour sans ne fait donc pas exception, puisqu’il a déjà raflé de nombreuses récompenses, dont le Léopard d’Or et le Prix d’interprétation masculine pour Jae-yeong Jeong au Festival de Locarno 2015.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri

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