Une histoire de vent – 20ième Festival 2023



Vendredi 10 Mars 2023 à 20h – 20ième  Festival

Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice

Documentaire de Joris Ivens et Marceline Loridan-Ivens, France, 1988 , 1h

La Chine vue par un cinéaste de quatre-vingt-dix ans qui a bourlingué aux quatre coins du monde et pour qui le vent est le souffle de la terre. Réflexion sur le genre documentaire.

«Dans ma longue vie, j’ai découvert que la métaphysique et le rêve sont une forme de réalité, que la métaphysique est un pont entre le passé et le futur. La science ne peut pas tout, elle fait seulement reculer une ligne de démarcation. […] Le vent devient métaphysique. […] J’ai compris que le vent vient quand il veut, avec la force qu’il veut. […] Il porte la mémoire des sons, et de toutes les chansons, de la vie et de la mort, de la douleur, de l’esclavage et de la liberté.» (Joris Ivens)

En première partie: La conquête du pôle (Georges Méliès,France, 1907, 30′).

Notre article

par Josiane Scoleri

Une histoire de vent est un film inclassable. Officiellement enregistré comme un documentaire, il n’entre pourtant pas pour autant dans la catégorie définie par Serge Daney comme de la non-fiction. Le film est plutôt une sorte d’autobiographie fantasmée, traversée de scènes allégoriques, entre rêve et mythologie qui s’invitent aux moments les plus inattendus. Avec notamment, le personnage du singe, esprit frondeur et espiègle qui intervient à plusieurs reprises, comme dans les pièces du théâtre classique chinois. Pour son dernier film, Joris Ivens, âgé alors de 90 ans, revient dans cette Chine immémoriale qu’il a parcourue dans tous les sens pendant près de 50 ans, comme il sillonna la planète pour documenter tous les soubresauts du XXème siècle. Documentariste engagé, Joris Ivens est venu pour la première fois en Chine en 1938. Il ne cessera d’y retourner dans un désir de montrer toutes les transformations de ce pays à partir de la victoire de Mao Tsé Toung. Avec notamment son film fleuve Comment Yukong déplaça les montagnes. 11 heures d’épopée fervente à la gloire de la Révolution.

Mais si la Chine fut la passion de toute une vie, le vent ne le fut pas moins. La première scène du film nous le montre enfant dans le jardin d’une maison-moulin à vent, comme une image d’Épinal de la Hollande où il est né. On le voit grimper à bord d’un grand avion en bois d’où, déjà, il part pour la Chine. Son surnom n’était-il pas « Le Hollandais volant » ? Plus tard, en 1965, Joris Ivens tourne en Provence, un court-métrage, intitulé Pour le mistral qui témoigne de la même manière de la fascination que le vent exerçait sur le réalisateur.

Car, c’est bien en homme d’images que Joris Ivens s’approche de cet élément invisible, avec précisément l’ambition infinie de le montrer. Non pas montrer ses effets, les chapeaux envolés, les jupes relevées, les arbres courbés ou encore les vagues et les embruns, mais bien plutôt le vent lui-même. Entreprise folle, envolée romantique, prétention mégalomane diront certains. Une histoire de vent tient un peu de tout ça à la fois. Joris Ivens s’en va donc au pays des dunes qui ne vivent que par le vent. Il suit la légende du désert de Gobi pour qui le vent prend naissance au sommet de la montagne. Il attend, s’impatiente, reprend sa route, consulte les chamanes, continuellement aux aguets, toujours insatisfait, toujours déçu, mais entêté dans son projet. Cela nous vaut de magnifiques images de cette infinité où l’homme peine à trouver sa place. Lorsque la route est trop dure pour son grand âge, il se fait transporter en chaise à porteur, comme les empereurs des temps jadis, magnifique vieillard dont les traits asiatiques ne déparent pas dans le paysage.

Il y a quelque chose de très touchant à voir ce vieil homme poursuivre son rêve d’enfant, comme sont touchantes les images de maquette de la grande muraille de Chine, tellement stylisées, tellement pauvres et pourtant si belles. C’était bien avant le fond vert et les diableries du numérique. Mais, ce qui est particulièrement réussi dans Une histoire de vent, au-delà des images, c’est le soin apporté à la bande son. C’est elle qui fait exister le vent. C’est elle qui réussit le miracle de nous le faire voir et de nous le faire sentir. Nous avons la sensation très nette qu’il balaye notre visage en même temps que celui de Joris Ivens. On voit d’ailleurs à plusieurs reprises, le réalisateur tendre sa perche dans le vide. On a droit à des plans sur la cellule qui affiche le volume sonore. Le bruit du vent est nécessairement au cœur du film, et ce n’est pas son moindre exploit. Les images sont alors, par un renversement rare dans l’histoire du cinéma, la conséquence du son et non l’inverse. Le son est premier, annonciateur de l’invisible, Mais le bruit du vent, c’est le souffle et donc la vie même. On retrouve dans ce dernier film, cette préoccupation à la fois poétique et philosophique qui est la marque du cinéma du réalisateur au-delà de ses prises de positions politiques. Ce qu’il faut dire encore de ce film, c’est que c’est aussi et tout autant un film sur le cinéma. Sur le cinéma en train de se faire et de se défaire. Sur l’amour inébranlable du cinéma, comme forme d’art majeur de l’époque contemporaine. Né en 1898, Joris Ivens fut littéralement un enfant du cinéma. Il nous montre donc son travail, comme il a filmé le travail des autres, des mineurs du Borinage aux sidérurgistes soviétiques ou aux marins indonésiens. Avec honnêteté, avec précision, avec bonheur. Jusqu’à son dernier souffle.

Sur le web

« Je ne fais pas de l’art passif. Amuser le public ne m’intéresse pas », disait-il. Né aux Pays-Bas à la toute fin du XIXe siècle, le cinéaste Joris Ivens a disparu à la veille de l’effondrement de l’URSS. Entre ces deux points, il a parcouru le monde pour donner à voir l’édification du communisme — avec tout ce que cela supposait, alors, de discours officiels et d’idéalisation fautive —, le combat contre le fascisme et les luttes populaires menées contre les empires coloniaux. On le retrouva ainsi en Espagne, au Viêtnam, en Chine ou encore au Chili, assurant en tout lieu prendre le parti de la classe ouvrière. Un engagement militant qui n’a toutefois pas signifié l’abandon complet de ses recherches esthétiques et poétiques de jeunesse. (Thibauld Weiler)

« Le cinéaste Joris Ivens, si bien surnommé le « Hollandais volant », a traversé les mers, accosté de multiples côtes et exploré leurs terres intérieures, avec le ferme désir de saisir, caméra en main, les gestes des peuples écrivant leur histoire. Pendant plus d’un demi-siècle, des années 1920 au crépuscule des années 1980, ce documentariste s’est donné pour mission de chroniquer les luttes menées par des êtres désireux de faire tomber leurs maîtres — mineurs belges en grève et combattants républicains espagnols, indépendantistes indonésiens ou paysans Viêt Cong — et de poser sur pellicule des fragments de vécus que nul autre cadreur n’aurait pu obtenir. Car la démarche d’Ivens l’engageait sur des fronts où personne, ou presque, n’emportait son appareil pour y faire des images — du moins pas avec ce temps d’immersion et son effort d’adaptation. Ainsi, ce filmeur désireux de déchirer le voile opaque des conflits sans visages était-il autant solidaire des hommes et des femmes dont il enregistrait les gestes et les paroles que solitaire dans sa pratique. Mais si ses méthodes de réalisation on ne peut plus marginales déposaient sur des pellicules vierges sa couleur politique — un rouge très écarlate —, elles servirent également de cadre à des rêveries poétiques aussi nombreuses que fascinantes, centrées sur des villes (À Valparaíso), des fleuves (La Seine a rencontré Paris) et des forces naturelles (Pour le Mistral à Une Histoire de vent).

Du poète solitaire au filmeur militant, Joris Ivens a donc adopté deux postures dont l’apparente contradiction formait les volets complémentaires d’un projet de vie mûri, porté et accompli de bout en bout : la clé de voûte était, sans aucun doute, son vœu de liberté. Que cet esthète solidaire ait produit seul ou en groupe, qu’il ait cadré des perles de pluie ou des gouttes de sang, son œuvre aura été tendue vers un projet dont la finalité est restée, quel que fut son prisme — les conflits sans témoins ou les souffles de l’air —, la quête d’un invisible.

Mais tout d’abord, avant l’esquisse d’une quelconque ligne d’horizon, même tracée au fusain, avant la perspective d’une pensée éthique et esthétique, il y a cette question, on ne peut plus concrète, posée par le jeune Ivens : « Que faire pour entrer dans ce métier de cinéma ?

Question socle dont la base matérialiste soutiendrait toutes ses corollaires, présentes pratiquement d’un bout à l’autre de son œuvre. Première question donc, et, déjà, plusieurs réponses sur plusieurs plans : la première, la plus évidente, touche à son origine sociale, sa famille, et particulièrement son père, gérant d’une boutique d’objets et de produits photographiques basée à Amsterdam. De son capital social, économique et culturel, Ivens tirera la maîtrise, précoce, et de ce fait infiniment précieuse, des outils de prise de vue dont il usera sa vie durant. À cet environnement s’ajoute sa formation : en 1923, il décide de suivre des cours de photochimie à l’université de Berlin avant de faire l’année suivante un stage chez le fabricant d’objectifs Zeiss. Puis il retourne à Amsterdam et rejoint l’entreprise de son père, la Capi, en tant que directeur technique.

« Je vis deux vies — raconte le cinéaste : le jour, les affaires ; le soir, les amis étudiants, peintres, sculpteurs et poètes. À Berlin, j’avais rencontré une photographe ; elle est avec moi à Amsterdam. […] Je ne venais pas d’un milieu artistique, j’étais un ingénieur qui continuait l’affaire de son père. Que faire […] ? Je commence par des études, des essais purement esthétiques. » Ainsi Ivens réalise-t-il, en 1927 et 1928, deux courts montages sur des sujets urbains — des rues parisiennes et un pont hollandais — dont il capte les formes et sculpte les flux. Ces études de mouvements s’opèrent seules et suivent le cours impétueux d’une réalité qui se passe bien de scénario. Le jeune homme, pourtant, en écrit à chaque fois mais « découvre [rapidement] qu’il n’est pas possible, dans un tel film d’atmosphère, de rester trop près du scénario, et que ce scénario ne devait pas être trop détaillé ». Reste que du texte préparatoire aux séances de montage, en passant par les scènes de prises de vue et les périodes de production (Ivens utilisera les fonds de Capi films, l’entreprise familiale), il demeura absolument seul dans toute cette chaîne de création.

Cette démarche solitaire culminera dans La Pluie, réalisé en 1929 ; il dépeint la valse des averses, des crachins et des bruines sur la ville d’Amsterdam. « Je ne me séparais jamais de ma caméra, au bureau, au laboratoire, dans la rue, dans le tramway. Je vivais avec ma caméra et en dormant je la gardais sur ma table de nuit de façon à pouvoir en disposer, de la fenêtre de ma chambre, s’il pleuvait à mon réveil. » Cet appareil qu’il tenait de l’affaire de son père et les quelques fonds censés lui permettre de filmer et de monter ses bobines, le rendaient totalement autonome. Le jeune homme eut très tôt les ressources nécessaires pour filmer seul, ce qui, dans cette fin des années 1920, relevait d’un luxe inespéré (la fiction, qui, en 1927, était devenue parlante, était déjà bien davantage financée et diffusée que le format documentaire, et les autres grands documentaristes de l’époque, parmi lesquels Flaherty et Vertov, n’œuvraient jamais avec leurs fonds). La Capi films produira l’ensemble ou presque de ses projets à partir de 1967, date à laquelle sa femme Marceline Loridan et lui en deviendront seuls possesseurs.

Cet esthète solitaire était toutefois politisé. Ivens le dit lui-même : ses essais et études vivaient en parallèle de son travail militant dont les multiples formes, à la fois théoriques et empiriques, l’avaient mené, sur un plan « idéologique, […] beaucoup plus loin ». Ces deux aspects de son existence ne se recoupent pas, ou si peu, ou du moins pas encore : il lui faudra tourner en Belgique, en 1933, dans un bassin minier secoué par une vague de grèves pour que ces ensembles se rassemblent sous le sigle d’un film, Misère au Borinage. Tourné avec Henri Storck, ce film constitue dans la vie d’Ivens un « tournant à 180° ». « J’ai pris parti pour la classe ouvrière. Je pense que chacun dans sa vie a un Borinage qui le fait changer. Avant ce film, je m’occupais de recherches esthétiques. Et j’ai compris que c’était une impasse ; il faut que l’intellectuel ait à faire avec la vie. » Ainsi, ces choses immuables sur lesquelles il posait son regard se virent-elles logiquement remplacées par des êtres lancés dans l’histoire de leur émancipation et pour lesquels le cinéaste témoignait d’une empathie certaine. Storck et lui s’installèrent durant plusieurs mois avec ces mineurs tordus par le froid et la faim, partageant leur réel pour mieux filmer leur quotidien. Cette sorte d’observation participante et les formes de filmage qu’elle offrait étaient considérées par Ivens comme deux démarches politiques : si elles se tournaient, certes, vers la réalisation d’un film, elles demeuraient des gestes concrets et, de fait, utiles aux personnes concernées. Le but ? « Établir l’égalité devant et derrière la caméra. » Le moyen ? « Rencontrer vraiment l’homme. Pour gagner la confiance des hommes qui luttent, tu dois — affirme Ivens — leur dire pourquoi tu fais ce film. À qui tu veux l’adresser. Ils veulent discuter avec toi sur ce qu’ils peuvent faire pour cela. »

Le partage d’une expérience commune, valable dans le cours d’un quotidien comme dans le processus de création, fait donc figure de garant d’une éthique au service d’un projet politique dont la nature et la portée dépassent le seul objet filmique. « J’aime être avec les gens qui sont dans le grand mouvement de leur histoire, y attacher la caméra, qu’elle soit dans l’action — et non pas cachée — qu’elle prenne position. Je ne fais pas de l’art passif. »

Le film constitue une autre étape dans la carrière d’Ivens en ce qu’il est cosigné et, de fait, co-filmé. Henri Storck, autre pionnier du cinéma documentaire, prend part, au même titre que son partenaire, à toutes les phases de création ; elles comprennent entre autres choses les repérages, les prises de vue et le montage. Ce partage des tâches aboutira à leur répartition lorsqu’Ivens, trois ans plus tard, tournera Terre d’Espagne dans les maquis républicains avec l’aide d’un cadreur, John Ferno. Les deux hommes suivent au jour le jour la lutte des troupes anti-franquistes, chroniquant leurs victoires, relatant leurs revers, tentant autant que possible de faire un film fidèle au cours réel des évènements (tentative que contrecarre toutefois le commentaire d’Hemingway qui, en dépit (ou du fait) de sa puissance, tombe parfois dans l’excès). Ivens explore et Ferno cadre, sans que leurs rôles ne s’inversent jamais. La raison d’un tel choix ? Une simple prise de conscience, conçue dans le creuset d’une réflexion portant sur le couple que forment message et médium, soit sur la signification du film et le support qui la transmet : « Il y a un moment où j’ai quitté la caméra, parce que j’ai vu qu’il fallait deux personnes : une qui a le souci de la technique, et l’autre qui doit réfléchir au contenu, composer avec le troisième œil (un œil dans le viseur, l’autre dans l’entourage concret, et l’autre pour la pensée). […] Travailler avec un opérateur, c’est un mariage. Tu vas voir le matin s’il est fatigué, s’il a bien dormi. Il faut qu’il ait les mêmes rapports que toi avec les gens, qu’il voit les mêmes choses que toi. »

À noter que ce ne sont pas des contraintes matérielles qui ont forcé cette collaboration qui auraient pu toucher au son, par exemple, mais des choix sémantiques, propres au contexte de prise de vue et ses multiples lignes de sens. Le cinéaste finira par s’entourer pour l’ensemble de ses films, que ces derniers aient été tournés dans des conditions de totale clandestinité ou de parfaite normalité, affirmant de manière radicale qu’il n’a, à l’exception « peut-être du Pont ou de La Pluie, jamais fait de films seul. [On] travaille parfois sur l’idée de l’opérateur, de la monteuse. J’ai toujours essayé, pour la continuité du film, de provoquer la réflexion de l’équipe, de maintenir une tension lors du montage, de casser les tabous au mixage, de créer un équilibre entre l’impulsion et la technique ». Ces paires pourront prendre la forme d’un couple lorsque sa femme et lui-même commenceront à filmer ensemble dans les années 1960, et ce jusqu’à sa mort en 1989. Ce travail en équipe culminera dans le film collectif Loin du Vietnam, orchestré par Chris Marker en 1967, et dont le générique ne fera nulle mention des rôles, missions ou tâches assurées par celles et ceux qu’il impliquait.

Au même titre que Godard, Resnais ou Varda, Ivens fera figure de membre d’un corps composite dont il serait insensé — autogestion oblige — d’isoler l’un des éléments. Le filmeur solitaire errant sur des sentiers isolés s’est mué en militant des grands chemins (bien que ces positions aient pu — et parfois dans un même film — exister côte à côte) ; métamorphose qui prend des formes comparables dans le domaine de la production : Ivens, qui finançait ses projets avec les fonds de l’affaire familiale, acceptera assez vite des œuvres de commande. Misère au Borinage est produit par Le Club de l’Écran, organe de diffusion proche des milieux communistes belges, avant que des comités d’intellectuels américains ne produisent, dans le cadre du New Deal, Terre d’Espagne et Les 400 Millions, et que s’organisent, plus tard, à des époques et pour des causes très différentes, des collectes et des invitations pour le Chili, Cuba ou l’URSS. Si Ivens et sa femme reprennent en 1967 la maison de production Capi films pour en faire l’unique source de financement de leurs projets et revenir par là même à une certaine indépendance, leurs films demeureront solidement enracinés dans des circuits de productions et des principes de mise en scène faisant la part belle aux coopérations techniques et artistiques.

Que reste-t-il alors du jeune esthète et de ses poèmes visuels ? Que reste-t-il de ce filmeur errant, l’œil dans le viseur, sur un pont hollandais, sous la pluie d’Amsterdam ou dans les rues irréelles d’un Paris disparu ? Rien, serait-on tenté de répondre. Pourtant, en dépit des nombreux collaborateurs qui l’assistèrent, qu’ils furent cadreurs, monteurs, mixeurs, producteurs ou distributeurs, Ivens garda le regard neuf de cette jeunesse qui questionnait le monde en scrutant ses poches d’ombres : il fera toujours vivre ce désir de contempler et de ramener à la surface du visible des êtres et des choses que ses compatriotes, ou du moins ses contemporains, n’arrivaient pas à voir, ou si peu. L’artiste qui débusque le beau au tournant d’une ruelle, et le militant qui filme là où d’autres n’oseraient même pas aller, répondent à un même idéal : cartographier les lieux de l’invu, esquisser des contours sur les feuilles vierges du regard et montrer ces mappemondes aux yeux neufs des profanes afin que leur imaginaire-même en ressorte transformé.

Ivens ne peut filmer pour lui seul. Sa posture artistique et sa quête politique requièrent un questionnement dont l’horizon n’est autre que le dépassement de cette première étape de prise de vue. Ses images doivent être montrées. Aussi le cinéaste travailla-t-il très tôt aux moyens de transmission d’œuvres qui, sans être les siennes, portaient des formes esthétiques et idéologiques auxquelles il adhérait. Dès 1924, et bien avant ses premiers films, il « transportait pour le Parti communiste allemand des films interdits entre Leipzig et Berlin ». Pour quelles raisons ? Parce que c’était « concret ». À son retour aux Pays-Bas, il fonde le premier ciné-club du pays, en 1928, la Film Liga, qui se fera bientôt connaître pour ses programmations osées et son esprit mutin — esprit qui prolongeait celui du Club des artistes, groupe informel auquel Ivens appartenait, et qui s’était fait connaître par la diffusion, en 1926, contre un avis de censure, du film du cinéaste soviétique Vsevolod Poudovkine La Mère.

La censure, justement, Ivens l’affrontera à de multiples reprises, contraint, pour diffuser ses films, à trouver mille parades et créer autant d’astuces. Dès 1933, Misère au Borinage, interdit, connaît une diffusion clandestine dans des cercles proches du Parti communiste ; idem pour Nouvelle Terre, réalisé l’année suivante : le remontage opéré quelques mois après sa sortie par Ivens en personne ulcérera ses producteurs (en cause : les derniers plans du film opposant Wall Street et sa quête de profits sans fin à de jeunes prolétaires travaillés par la faim). Mais si le cinéaste découvre quelques interstices où projeter ses films, ces fenêtres de diffusion demeurent des boîtes à regard de très — trop — modestes dimensions pour déclencher quoi que ce soit.

Son véritable fait d’arme en matière de diffusion se trouve ailleurs, en Indonésie, en 1946. Depuis un an, l’archipel lutte pour la reconnaissance de son indépendance pendant que les Pays-Bas tentent d’en reprendre le contrôle, après l’invasion victorieuse des Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale. Ivens, que le gouvernement hollandais a nommé responsable du cinéma indonésien en 1944, a déjà démissionné et s’active depuis lors pour la cause indépendantiste. Si la presse hollandaise le critique violemment, il décide de réaliser L’Indonésie appelle, un documentaire sur le boycott de navires néerlandais armés voguant vers l’archipel : des dockers australiens et des marins de cinq pays ont bloqué leur départ afin de signifier leur solidarité envers les insurgés. Le film est banni du territoire australien, avant d’être réintroduit puis interdit à l’exportation. Ivens en tirera deux copies 16 millimètres, qu’il tentera d’infiltrer en Indonésie. « Le gouvernement hollandais — racontera-t-il — contrôlait alors la totalité des eaux autour de l’archipel malais. Mais une copie du film a réussi à percer le blocus. Elle est parvenue à Java. À cette époque, les colonialistes hollandais répétaient aux Javanais qu’ils étaient seuls et oubliés de tous dans leur lutte pour l’indépendance. Et voici un film qui prouve le contraire : la solidarité agissante de travailleurs dans de nombreux pays. On a montré ce simple reportage, nuit après nuit, en plein air, à des milliers et des milliers de Javanais. Et il a renforcé le moral des combattants et a aidé leur pays à un moment crucial de son histoire. »

Ivens s’efforcera toujours d’atteindre un public aussi large que possible, d’éviter l’entre-soi mortifère. Il demandera et obtiendra des visas d’exploitation en salle pour des documentaires aussi divers et difficiles que Le Peuple et ses Fusils, tourné en 1969 en pleine guerre civile laotienne, et Le 17e parallèle, réalisé en 1967 dans la zone qui coupait les Vietnam Nord et Sud. S’il ne fut pas le seul réalisé au nord du pays, ce documentaire fut certainement le seul digne de ce nom à avoir été projeté sur des écrans français et, plus généralement, dans les salles occidentales. Avec ce film et l’expérience qui le soutient — une enquête de terrain longue de deux mois dans un village bombardé jour et nuit —, Ivens et Marceline Loridan racontaient, selon les mots du critique Michel Mardore, « les travaux pratiques de la survie en plein enfer vietnamien » et offraient un témoignage « plus saisissant que toutes les interviews et preuves sur papier ».

Immersion inédite, découverte improbable : les spectateurs rencontraient là un Vietnam dont ils n’avaient vu jusqu’ici que le Sud, au moyen des actualités filmées, de reportages photographiques ou de chroniques télévisées (rappelons qu’en 1968, 61,9 % des ménages français possédaient une télévision) et pouvaient ainsi mettre des images sur un réel parfois trahi, souvent tronqué.

La télévision, justement, Ivens et Loridan tentèrent autant que possible d’y montrer leurs films, notamment leur monumental Comment Yukong déplaça les montagnes, fresque de douze heures et quatorze épisodes tournée en Chine, au crépuscule de la Révolution culturelle, entre 1971 et 1975. Les sujets sont communs : une pharmacie autogérée, un village de pêcheurs, un débat dans une classe ; et le point de vue assumé : à la fois intrigué et partisan, incrédule et partial. « Marceline Loridan et moi avons fait ce film à une période de grande ignorance du large public occidental à l’égard de la Chine, toutes les idées sur le péril jaune, Les Chinois, masse grise uniforme, les fourmis bleues sans individualité, étaient des stéréotypes très forts dans l’esprit des gens. Les quelques reportages de télévision étaient trop superficiels et généraux et nourrissaient une autre sorte de stéréotype et en tout cas n’avaient donné la possibilité aux Chinois de s’exprimer dans un film. […] Je n’ai jamais eu la prétention d’avoir tout dit et tout compris sur la Chine, il me semble en tout cas que ce que j’ai montré n’avait jamais été montré. »

En France, si les trois chaînes qui faisaient l’offre télévisuelle de l’époque accordaient une place non négligeable aux productions documentaires, reste qu’un tel film, dans la France giscardienne, n’avait que peu de chances d’obtenir un créneau. Lorsque le couple le présenta à la première chaîne, ils se virent répondre : « Non, pas question de passer quoi que ce soit sur la Chine! » La deuxième chaîne refusa à son tour. Mais leurs efforts ne furent pas vains : FR3 accepta de passer le tiers des épisodes, soit quatre heures sur l’ensemble des douze. À la fin des années 1970, les programmes culturels représentaient 17 % des grilles et étaient diffusés en prime time, entre 19 h 30 et 22 h 30, devant, en moyenne, un million six cent mille personnes. Cette Chine vue et vécue de l’intérieur, ce pays arpenté en profondeur, et dont les images restaient alors des objets rares, purent franchir les frontières des regards et, avec elles, des consciences en offrant à des millions de spectateurs le spectacle d’un pays qui se donnait, selon les mots du philosophe Michel Foucault, « dans une réalité politique intense qu’aucun discours ne pouvait retranscrire : le seul endroit où la vie politique, ce soit l’existence même des gens ».

Ivens ira même jusqu’à revendiquer l’usage du médium télévisuel, ne voyant nulle « contradiction » entre son usage et la nature du cinéma. « La télévision est un moyen de communication où je peux élargir le contact avec le public (en quantité, sinon en qualité). Ce n’est pas le format qui compte tellement, mais le fait que les gens payent pour aller au cinéma, tandis que le poste de télévision est dans la cuisine, et là le spectateur est plus libre. […] Je pense toujours : qui voit mes films et dans quelles conditions ? Pour qui est-ce ? Quand ils sortent, je les suis pour savoir comment ils sont reçus. Pour Yukong, Marceline Loridan et moi, nous nous sommes dit : ce film, on va le faire pour un public large, qui ne sait rien de la Chine. De là sort la pensée, tout. » Nul snobisme pour un objet volontiers honni ; tout au contraire, le petit écran sert de relais et de canal au même titre qu’un autre, mais, plus encore, il reste un support possédant une identité et des caractéristiques propres que le cinéaste intègre dès la phase de création. Ivens l’affirme à demi-mot : un film qu’il espère diffuser à la télévision ne sera pas de même facture qu’une œuvre conçue pour les salles obscures. Reste qu’il pense ce médium dans une perspective avant tout stratégique. Désir lucide et vœu fécond : ses films seront vus par des milliers de personnes et sortiront des cercles militants auxquels ses premières œuvres étaient restreintes — de Misère au Borinage, vu par quelques paires d’yeux rompus au spectacle de la misère, à Comment Yukong déplaça les montagnes, vu dans des millions de foyers dotés d’une culture politique limitée, sinon inexistante.

Qui finance quoi, comment, à quelle époque et dans quel cadre ? Questions déjà posées, certes, mais les pistes de réponses esquissées jusque-là se brouillent irrémédiablement dès lors qu’on les regarde, une nouvelle fois, avec les yeux du cinéaste. En effet, s’il affirme que « le documentariste […] et le réalisateur révolutionnaire doivent se rendre […] dans les points chauds de l’Histoire pour y faire des films qui diffèrent des ‘‘reportages à chauds’’ […] et y découvrir la vérité profonde des choses », comment être certain que ces projets, aussi sensés et sincères soient-ils, soient les reflets effectifs d’un réel que le cinéaste, pour d’évidents motifs idéologiques, aurait mille raisons de détourner, de transformer, voire de trahir ? Comment être certain que sa très confortable solitude pendant les phases de production n’ait pas simplement ouvert les valves d’une dérive propagandiste ou d’un auto-aveuglement ? Inversement, si commandes et collectes il y a eu, comment le cinéaste s’est-il accommodé des ordres de ses créanciers et, par voie de conséquence, des conditions de tournage imposés par ses pays hôtes, en particulier l’URSS ou la Chine ? Impossible de répondre de manière univoque : seule une étude — postérieure, donc forcément décevante — de ses films in situ pourrait nous permettre de juger, au cas par cas, de l’honnêteté de son regard et de l’éthique de sa méthode.

Aussi faudrait-il prendre la chose à l’envers : qu’est-ce qui, dès le processus de production, fut susceptible d’orienter ou de gêner sa démarche ? À cette question, un film, peut-être plus que les autres, offre des éléments de réponse : Les 400 Millions, tourné en Chine en 1938 lors de la guerre sino-japonaise, illustre ce problème. Financé par un organisme américain, History Today Inc., dont les activités aidaient notamment aux luttes menées outre-Atlantique contre le fascisme, le point de vue, a priori pro-chinois, fut redoublé par celui d’un Ivens partisan. Le travail de mise en forme fut un travail de mise en scène, à la limite de la caricature : le commentaire d’introduction, écrit par le scénariste Dudley Nichols et cautionné par Ivens, parle des « tyrans du Japon, décidés à s’emparer de toute la Chine et de se servir de ses ressources pour assujettir le monde »…

Si le film se concentre sur le mouvement du front et représente sous des formes à peu près factuelles les situations militaire, politique, économique et sociale propres à ce temps de guerre, reste que ces premiers mots les frappent du sceau du soupçon. Deux filtres en somme : l’attente d’un producteur et l’intention d’un homme ; le pouvoir de l’argent et le poids d’un regard. Ce dernier est assumé, voire revendiqué. À la question « Les films de commande n’ont pas entraîné beaucoup de contraintes ? », Ivens donnera cette réponse éclairante : « J’en ai réalisé peu. La plupart du temps, c’était mon initiative, sur une situation donnée. De toute façon, c’est toujours le même homme qui chante. » Le militant acceptait donc ces risques — pouvait-il en être autrement ? Un regard partisan peut-il se défendre des dérives idéologiques, des amalgames forcés et des aveuglements complaisants que son projet est condamné à sécréter ? Difficilement. Il lui faudrait, en plus d’une éthique tout terrain, un travail d’enquête et d’écoute aussi prolongé et approfondi que possible, c’est-à-dire un temps extensible doublé d’une disponibilité et d’une énergie lui permettant de tout voir, de tout comprendre, aussi bien d’un point de vue que d’un autre, d’une idée que de son envers — une présence omnisciente dont le cinéaste était évidemment privé.

Ce regard et ses errances, Ivens les assumera toujours. S’il fut parfois prisonnier d’un prisme idéologique, il n’en contempla pas moins avec un œil toujours intérieur les espaces et les formes dont la silhouette pouvait se départir de leurs grilles de lectures. Les régions poétiques parcourues à ses débuts ne cesseront ainsi d’être des terrains fréquentés, défrichés puis déchiffrés, transformant l’espace du dehors en une extase d’un dedans. Citons Le Chant des fleuves, cartographie artistique des combats politiques menés sur les rives du Nil, de la Volga, de l’Amazone, du Mississippi, du Yang-Tsé et du Gange ; citons La Seine a rencontré en Paris, dérive tournée trois ans plus tard et contée par Prévert ; citons son Mistral, ballade portée par ce vent en Provence ; citons enfin son heureuse conclusion, Une histoire de vent, réalisée un an avant sa mort et refermant sur elle-même une parenthèse ouverte cinquante plus tôt. Les rêveries solitaires ont continué d’exister et de vivre en bon voisinage (voire, le cas échéant, de cohabiter) avec les films solidaires. Point de contradiction ; leur point de contact était un point de rencontre : le militant comme le poète extirpent du limon des réels négligés la matière même d’un autre pensable, d’un autre possible. »

(Texte paru dans le n° 8 de la revue papier Ballast en septembre 2019)

« Toujours un émerveillement de se retrouver devant une filmographie aussi riche et aventureuse que celle de Joris Ivens. Malheureusement inconnu parmi la nouvelle génération de trublions des salles obscures. Hollandais de naissance, né à la fin du 19e siècles, ce gaillard prit très vite goût pour le cinéma avec l’acquisition d’une caméra que son père lui offrit alors qu’il n’était qu’un petiot érudit. L’un de ses premiers films, La Flèche ardente, tourné à l’âge de 11 ans présentait déjà un décor naturel dans lequel évoluaient (s’agitaient serait le mot approprié) des membres de sa famille grimés en Indiens et en cow-boys…

… Chaque documentaire de Joris Ivens est une découverte toute particulière. Il est fascinant d’observer que chacun est intéressant pour une chose différente. L’Indonésie appelle, quand à lui, est particulièrement intéressant pour ce qu’il raconte, ce qu’il amène à connaître : la grève des dockers indonésiens, mouvement mis en œuvre pour réclamer l’indépendance du pays. Chaque film est différent et apporte toujours plus au spectateur – poésie, esthétique, analyse, légèreté, profondeur. Les films de Joris Ivens semblent ainsi constituer un merveilleux éventail de ce que le cinéma documentaire peut offrir de mieux.

L’œuvre testamentaire, Une histoire de vent (1989), de Joris Ivens se redécouvre à chaque visionnage. Comment réaliser un documentaire qui emprunte à la fiction ses plus belles lettres de noblesse ? Comment capter l’inénarrable d’une culture chinoise qui ne se satisfait jamais de l’occidentalisme ? Comment expliquer les différences culturelles par l’image, le lyrisme et les envolées fantaisistes qui prennent sens dans un pastel de mythes et de traditions ? Une histoire de vent invente une nouvelle façon de faire du cinéma. Joris Ivens y mêle souvenirs, réflexions sur fond de recherche utopique pour capturer ce vent, multiple et symbolique, tandis que l’ironie enrobe chaque propos. Ce cinéma déstabilise par tant de modernité narrative et formelle et ouvre un nouvel espace cinématographique, malheureusement très peu investi de nos jours. » (iletaitunefoislecinema.com)

« Joris Ivens est depuis ses débuts en 1930 le plus grand documentariste du siècle. Son dernier film, tourné en 1989, s’appelle Une histoire de vent. Réalisé avec la complice d’Ivens, Marceline Loridan, c’est un conte initiatique en même temps qu’une autobiographie. Le générique explique et raconte. Le vieil homme qui est le héros de cette histoire est né à la fin du siècle dernier dans un pays où les hommes se sont toujours efforcés de dompter la mer et de maîtriser le vent. Il a traversé le vingtième siècle une caméra à la main, au milieu des tempêtes de l’histoire de notre temps. Au soir de sa vie, à 90 ans, ayant survécu aux guerres et aux luttes qu’il a filmées, le vieux cinéaste part pour la Chine. Il a mûri un projet insensé: capturer l’image invisible du vent.

Le bruit et l’image des ailes d’un moulin à vent rappellent l’enfance hollandaise du réalisateur. La clarinette basse de Michel Portal invente des souffles lyriques pour soutenir ces souvenirs. Joris Ivens est assis sur une chaise, au milieu d’un désert de sable. Il attend que le vent se lève.

Un vieux Chinois explique avec des gestes lents le secret du souffle tel que l’enseigne le tai-chi. Un homme singe bondit d’une image à l’autre Vieil asthmatique, Ivens utilise de la Ventoline pour retrouver sa respiration normale. Hospitalisé puis guéri, il continue à chercher le vent qu’une sorcière fera enfin lever. Ce film est un documentaire féérique sur la vie et la mort d’un poète qui se prend pour le cerf-volant de l’histoire. » (liberation.fr)

« Interrogée sur l’idée de filmer quelque chose d’aussi « impalpable », « immatériel », que le vent, Marceline Loridan-Ivens répond : Cette volonté de pouvoir filmer l’impossible, c’était Joris. C’était lui… Comme une quête impossible. Il était insatisfait avec son film sur le mistral. Un jour, nous étions déconcertés, nous ne savions pas comment « attraper » ce film sur la civilisation chinoise et établir un pont avec l’occident pour faire comprendre que c’était un autre mode de penser et d’être. Tout d’un coup, j’ai été traversé par une idée : « Mais pourquoi ne prendrions-nous pas le vent comme véhicule de cette histoire ? ». Il faut savoir que le vent a d’autres significations symboliques en Chine… en Europe aussi. Chacun a son propre vent. Il est à la fois la destruction et la construction. Tout est parti d’une vision globale puis, finalement, cela s’est construit comme un grand poème, une critique de la Chine très ironique. Elle poursuit : Pour Une histoire de vent, par exemple, on a eu une avance sur recettes, on a déposé une structure de scénario. D’ailleurs, dans le film, on négocie à la fin. Il a fallu changer toute la suite de la séquence où l’on voit la révolte des soldats aidée par le vieillard. C’est une idée qui vient d’une légende juive, celle du Golem, celle de ce Rabbin en colère contre les souffrances de l’oppression qui donne vie à un homme de pierre. C’est venu comme ça. C’est étrange parce que le scénario n’intégrait absolument pas cette dimension au départ. Quelques fois dans le travail de cinéma, la contrainte devient quelque chose d’extrêmement positif. Elle appelle à votre créativité et imagination… Joris a vraiment traversé ce XXe siècle… En se trompant bien sur aussi, en croyant ce que beaucoup d’intellectuels – à travers le monde artistique – espéraient : une autre voie pour améliorer la situation des hommes. Il n’a jamais voulu filmer les chefs, il a toujours voulu voir ce que disait le peuple. Et c’est la force de son travail. Il a été assez visionnaire sur les événements. Par exemple, il est allé à Cuba au moment où même l’Union Soviétique ne reconnaissait pas Cuba. Il n’y est plus jamais retourné mais il y était à ce moment-là. Il a fait un film très impressionniste sur la ville de La Havane. C’était en 59-60. Très tôt. » (iletaitunefoislecinema : rencontre avec Marcelline Loridan-Ivens)

« De son regard amoureux, anthropologique pourrions-nous dire, Ivens a su saisir l’être humain dans ses rapports complexes au monde. L’air, l’eau, la terre s’y croiseront. La poésie du cinéaste charriera ses documentaires… Se relayant, l’image et les instruments à vent donnent leur air à cette histoire de vent. Quand le son n’est pas localisé a priori dans la source visuelle, Michel Portai le latéralisé sans pour autant le déconnecter de son origine mimétique. Les sources instrumentales s’accordent à l’image. D’une quelconque façon. Tour à tour, le son se lie, c’est-à-dire qu’il suit le vent pour ensuite devenir libre par rapport à l’image. Les séquences filmiques font rebondir la partition musicale et vice versa. Sans s’essouffler. Le son glisse d’une occurrence libre à une occurrence liée. Et quand les perches jalonnent les plages de sable, à l’affût de la levée du vent, l’osmose visuelle et sonore atteint sa plénitude. Une histoire de vent nous prête l’oreille. Déchaînée, la pœisis du vent respire. Lors de l’expédition qui nous mènera à la capture sonore et visuelle du vent — le pèlerinage s’amorce, semblable aux grandes ascensions montagneuses : guides, porteurs, campement, paliers —, le film s’entrecoupe. La maladie fracture les séquences. Une civière. Un hôpital. Un médecin chinois. Le vieil homme cherche son souffle. Le vent se fait attendre. L’attente se fait longue. Et puis sa poursuite est reprise. De plus en plus belle. Tout le campement veille. Les nuages s’accélèrent. Le sable commence à bouger. Brusquement, il gicle. Les caméras l’attrapent. L’inertie désertique s’achève. Le vent se lève. » (Regimbald, M.,1989. Review of [Une histoire de vent ou Lorsque s’enlève le vent]. ETC, (9), 82–83.)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h précises.

Entrée : Tarif adhérent: 6,5 €. Tarif non-adhérent 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


 

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