Vendredi 08 Septembre 2017 à 20h30
Film de Thierry de Peretti – France – 2017 – 1h53
Malgré la menace de mort qui pèse sur sa tête, Stéphane décide de retourner en Corse pour assister à l’enterrement de Christophe, son ami d’enfance et compagnon de lutte, assassiné la veille. C’est l’occasion pour lui de se rappeler les évènements qui l’ont vu passer, petit bourgeois cultivé de Bastia, de la délinquance au radicalisme politique et du radicalisme politique à la clandestinité.
Notre critique
Par Bruno Precioso
Si Thierry de Peretti avait fait une incursion remarquée dans le monde de la réalisation cinématographique avec son premier film, Les Apaches sorti sur les écrans en 2013, l’ajaccien semble devoir s’y installer puisque sa Vie violente a reçu lors de sa présentation à la Semaine de la Critique un accueil enthousiaste. Ce beau titre existait déjà, c’est celui d’un roman de Pier Paolo Pasolini qui bouleversa, lors de sa parution en 1959, le paysage littéraire italien ; le roman et le film vibrent de la même violence, de la même énergie vitale et mortifère. L’un et l’autre se construisent autour d’un jeune héros à la trajectoire d’étoile filante obscure, fascinante, promise au tragique. La filiation pasolinienne n’est évidemment pas de hasard, moins encore superficielle – et le réalisateur la revendique : « Pour tous les cinéastes, Pasolini est un phare dans la nuit. J’ai choisi ce titre dès mes premières notes de travail il y a 4 ans. Et il est resté. Cela permet d’ancrer le film dans une culture plus italienne que directement française. Un rapport à la fois au mythe, au politique, au territoire, à cette tension entre l’extrême ruralité et le monde contemporain. La confrontation entre les époques est toujours particulièrement visible en Corse. Le pastoral n’a pas encore abdiqué face aux zones d’activités. »
« Au théâtre, il faut être Pasolini pour que les analogies explosent. » (T. de Peretti, entretien du 9 août 2017)
C’est aussi qu’il faut rappeler la trajectoire de Thierry de Peretti ; car avant de réaliser un 1er court en 2005 (Le jour de ma mort) puis un moyen en 2011 (Sleepwalkers), et à vrai dire en même temps qu’il a entamé une carrière de réalisateur que Les apaches (2013) projettent dans la lumière cannoise, de Peretti est avant tout un homme de théâtre. Comédien dès 1995, formé au Cours Florent, reçu à la Villa Medicis en 2001 (année qui le sacre Révélation théâtrale), il passe rapidement à la mise en scène par amour des textes : Koltès, Don DeLillo, Shakespeare… Il finit d’ailleurs par s’inventer une identité hybride puisqu’entre deux réalisations, alors qu’il tourne pour la caméra de Bonello (Saint Laurent, 2014), il monte sur la scène parisienne les Larmes amères de Petra von Kant, de Fassbinder… le théâtre lui offre sa dose d’expériences physiques, nerveuses, émotionnelles.
Pour certaines choses néanmoins, le théâtre ne semble pas suffire ; de cette nécessité surgit cette Vie violente : « (…) Je manquais d’un rapport au réel. Je n’ai jamais cru, peut-être à tort, que Richard II pouvait parler du pouvoir aujourd’hui. (…) Je sentais aussi que la Corse était un réservoir à fiction, qui me parlait davantage que les grands auteurs, mais je ne me voyais pas écrire une pièce sur l’histoire politique de la Corse. Il fallait que cela passe par le cinéma, un art plus immédiat, plus contemporain. » Et de fait cette Vie violente constitue un film profondément ancré dans un territoire, que Thierry de Peretti pense comme un territoire intérieur ; l’objet est de raconter avant tout, et de se mesurer à des réalités problématiques, de raconter des choses « qui en valent la peine ». Il n’est question ni d’une réflexion morale, ni d’un travail de professeur ou de journaliste, mais bien d’émotion ; d’un partage intime et littéraire. Le film tente de poser une question : ‘‘Qu’est-ce qui nous est arrivé ?’’.
Dans cette introspection pour de Peretti, la question de la violence est subsidiaire : « Je n’ai pas de fascination particulière pour la violence. J’aurais pu raconter la classe moyenne en Corse, où la violence serait plus périphérique, mais ce n’était pas ma priorité. On n’a pas une tradition de cinéma très ancienne, comme en Israël, où des cinéastes comme Nadav Lapid peuvent aujourd’hui se consacrer à des thèmes déconnectés du conflit. ». Ni journalisme, ni travail d’historien donc ; pour autant la trame est très documentée, certaines scènes fouillées à la limite de la reconstitution criminelle, les personnages soignés jusqu’au portrait parfois, et nombre de notations font explicitement référence aux acteurs (plus ou moins connus du grand public) de la guerre fratricide entre mouvances concurrentes du monde nationaliste, déchiré au tournant des années 1990 – 2000 par les règlements de compte entre le FLNC, le milieu bastiais et les dissidents du groupe Armata Corsa de François Santoni et Jean-Michel Rossi.
Chaque rôle a fait l’objet d’une écriture minutieuse ; le personnage de Stéphane, campé par Jean Michelangeli, est largement inspiré du parcours météoritaire et tragique, de Nicolas Montigny, jeune militant nationaliste assassiné à Bastia en 2001. Le casting mené par Julie Allione a duré un an, auditionnant une impressionnante quantité de jeunes gens invités par l’annonce lapidaire (‘‘cherche jeune corse, 25 à 30 ans, pour le film Une vie violente’’) à évoquer leur perception de la violence face caméra. Le film, initialement pensé et écrit comme un western mutique et minimaliste, s’est progressivement construit autour de la multiplicité des rôles, imposant de rechercher sans cesse avec eux une cohérence romanesque. Les échanges enregistrés lors des castings ont nourri et enrichi dialogues et scénario co-écrits avec Guillaume Breaud, et représentent pour Thierry de Peretti une part majeure du processus de création. Les entretiens filmés pour le rôle principal ont d’ailleurs abouti à un documentaire à part entière, Lutte Jeunesse.
Le film se nourrit également d’écriture, des classiques parfois anciens (de Pasolini à Frantz Fanon), jusqu’à des textes très récents, comme la tribune Ma Rage est ingouvernable que l’Irlandais Robert McLiam Wilson a publiée après l’assassinat des dessinateurs de Charlie Hebdo.
« Il faut envisager une traversée de la violence avec le plus de douceur possible. » (Anne Dufourmantelle, Puissance de la douceur)
Une vie violente n’impose donc pas pour le spectateur de comprendre précisément le contexte de la lutte armée nationaliste corse de la fin des années 90, Thierry de Peretti s’étant plutôt attaché au point de vue romanesque, à réaliser une connexion avec la réalité émotionnelle des personnages. Pour ce faire le réalisateur privilégie un réalisme puissant, tant pour les situations que pour les dialogues. L’habitude acquise au théâtre de “créer un imaginaire commun par le biais de l’écriture de plateau et le travail collectif ” lui permet d’utiliser l’énergie d’acteurs par ailleurs majoritairement inconnus à l’écran. Cinématographiquement parlant, Une vie violente tire sa force de la grande liberté de jeu et d’improvisation de ses comédiens, notamment dans les scènes de groupe où la caméra se fait la plus discrète possible.
Collectif est en outre un mot-clef pour entrer dans l’univers du réalisateur, qui travaille depuis 2010 au sein du collectif Stanley White, une ‘‘coopérative’’ selon le mot de Thierry de Peretti. L’objectif de cette petite dizaine d’artistes et amis corses de tous horizons, réalisateurs, producteurs, commissaire d’exposition, est de travailler « pas forcément ensemble mais dans la même direction » sur l’idée de s’emparer de ce territoire et des récits qu’il contient. Il s’agit de raconter l’histoire de la Corse au cinéma, « parce que cette histoire nous touche, nous trouble, nous terrifie, nous révolte ». Raconter la violence comme une indispensable catharsis ; partager un goût pour les cinématographies du grand Sud, le Portugal, Taïwan, les Philippines. Raconter comme Lav Diaz, Brillante Mendoza, ou Edward Yang et Hou Hsiao-hsien, des histoires « qui se passent en bas de chez eux. »
Une ambition très consciente et qui assume des maîtres que d’aucuns auraient trouvés écrasants… Thierry de Peretti s’inscrit dans une démarche artistique et littéraire où il reconnaît nombre d’alliés de sa génération, et que n’eût pas reniée Pier Paolo Pasolini : « Quand on demande à l’écrivain corse Jérôme Ferrari pourquoi ses romans se passent tous en Corse, il répond qu’il veut faire accéder la Corse à la dignité littéraire. Stanley White veut faire accéder la Corse à la dignité cinématographique. »
Sur le web
« Le film nous plonge quelques mois seulement après l’assassinat du préfet Claude Erignac (février 1998). La Corse connait alors une période sombre, celle des violences exacerbées des groupes nationalistes armés…C’est en fait en prison que Stéphane avait réellement découvert le nationalisme corse, au contact de François, intellectuel marxiste engagé dans le combat politique, qui deviendra son mentor. Dès sa libération, Stéphane est pris dans l’engrenage de la lutte armée et des attaques terroristes contre les intérêts économiques non-corses présents sur l’île…Psychologigue et profond, le film met en lumière les ressorts de la radicalisation, un processus graduel qui pousse le jeune Stéphane à aller toujours plus loin dans la violence au nom de la cause qu’il défend…Une vie violente, c’est aussi l’immersion réaliste dans un univers « mafieux » au milieu des armes et des règlements de compte. Un récit que le réalisateur, a voulu la plus fidèle possible. Et pour cause, lui-même Corse, il était âgé d’un an de plus que Nicolas Montigny au moment de son assassinat. Il évoque « une génération meurtrie » de jeunes corses, hantés par le souvenir de ces années de violence…Le film sort dans un contexte particulier. Les violences liées au nationalisme corse ont drastiquement diminué depuis 2014, date à laquelle le Front de libération nationale corse a déposé les armes. L’union politique des nationalistes, orchestrée par Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée corse, semble parachevée. Mais les guerres de clans peuvent à tout m
oment rejaillir. Mi juillet, neufs personnes liées au célèbre gang bastiais de « La Brise de mer » ont été renvoyées devant le tribunal correctionnel de Marseille pour « association de malfaiteurs en vue de commettre des meutres avec préméditation « . Des actions qui pourraient viser les responsables de l’effondrement de « La Brise de mer « , dont le leader charismatique, Francis Mariani, a été assassiné en 2009. Saisissant et touchant, Une vie violente est avant tout un film sincère et humaniste, qui aborde sans concessions la spirale tragique de la radicalisation. » (francetvinfo.fr)
Le cinéaste corse Thierry de Peretti revient sur son île pour Une Vie Violente après Les Apaches en 2013.
« Les enjeux narratifs et politiques sont différents ici. Les Apaches explorait le contemporain le plus immédiat. Circonscrit à l’extrême-sud de l’île au coeur de l’été, à travers une partie de sa jeunesse, on voyait comment les questions sociales minaient, intoxiquaient l’imaginaire et les rapports. Une Vie Violente, même s’il puise aussi sa source dans des événements réels, explore un territoire plus mental, plus historique. Il parle de ce qui du passé hante le présent. Une Vie Violente est une fresque qui raconte l’histoire d’une génération« , explique le réalisateur.
Le personnage de Stéphane, campé par Jean Michelangeli, est librement inspiré du parcours atypique, météoritaire, tragique, de Nicolas Montigny, jeune militant nationaliste assassiné à Bastia en 2001.
« Nous avions le même âge. Je ne l’ai pas connu, même si nous avions des amis en commun. Le film mélange mes propres souvenirs, et ceux de beaucoup de gens de ma génération en Corse, mais il est aussi le fruit d’un long et permanent travail de recherche. Il mêle, de manière fragmentaire et anarchique, rumeurs, légendes urbaines, souvenirs altérés, et Histoire contemporaine de la Corse« , relate Thierry de Peretti.
Le casting a été mené par Julie Allione et a duré un an. Il y avait énormément de rôles, et donc une cohérence romanesque à trouver pour le cinéaste Thierry de Peretti : « Au-delà des questions d’authenticité, un concept que je ne comprends pas, nous cherchions des acteurs – professionnels ou non – capables de jouer ce qu’il y a à jouer, c’est à dire de comprendre la complexité et l’intensité des enjeux et prêts à prendre la parole« , indique le metteur en scène.
« Si le film peut évoquer des mécanismes proches de ceux qui jettent aujourd’hui des jeunes gens dans les bras du djihadisme, c’est presque un hasard, mais je l’entends. Si le film résonne avec des thématiques contemporaines et d’autres territoires que la Corse, tant mieux. Mais faire un jeu de comparaisons nierait ce que le film représente, dans sa complexité et son mystère« , analyse Thierry de Peretti.
C’est la seconde fois que Thierry de Peretti présente un long-métrage à Cannes après Les Apaches, projeté à la Quinzaine des réalisateurs en 2013. Cette fois, le cinéaste était présent à la Semaine de la critique : « Je reviens avec un film dont la Corse, personnage principal, est le territoire physique et intérieur. Je reviens accompagné d’une troupe d’acteurs jeunes et neufs. C’est un film très personnel. La Semaine de la Critique montre chaque année les gestes de cinéma d’aujourd’hui. En faire partie cette année est très important pour moi « , précise le metteur en scène.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.
Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.
N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !
Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).
Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici