Valley of Stars



Vendredi 03 Février 2017 à 20h30 – 15ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Mani Haghighi – Iran – 2017 – 1h48 – vostf

23 janvier 1965. Le lendemain de l’assassinat du Premier Ministre iranien, l’agent Babak Hafizi est envoyé par la police secrète sur l’île de Qeshm, à l’est du Golfe Persique, pour enquêter sur le suicide suspect d’un dissident en exil. Parcourant la mystérieuse vallée des étoiles accompagné d’un géologue et d’un ingénieur du son, Babak va découvrir que ce lieu renferme bien des secrets : d’un cimetière hanté à une disparition mystérieuse, le trio devra essayer de démêler mythes et réalité.

Notre critique

Par Josiane Scoleri

Valley of Stars apparaît sur nos écrans comme une sorte de lointain cousin à la mode de Bretagne du célèbre  F for Fake d’Orson Welles, où parti pour démêler le vrai du faux, le spectateur se retrouve gros Jean comme devant à ne plus savoir quel film il est en train de voir. En effet, Valley of Stars démarre très tranquillement comme un documentaire, de l’avis de son réalisateur lui-même qui apparaît à l’écran pour nous expliquer la genèse du film. ( tout comme Orson Welles au début de F for Fake, l’habit de magicien en moins ). Il s’agit d’une enquête sur la disparition d’un ingénieur du son dans des circonstances mystérieuses pendant  le tournage d’un film. L’affaire se passe dans les années 60, sous le règne du Shah. Mais très vite, le réalisateur délaisse images d’archives, photos d’époque et autres entretiens avec les éventuels témoins pour se livrer à une reconstitution des faits in situ. Et là, dès les premiers plans, nous savons qu’il se passe quelque chose d’insolite qui déborde déjà  du cadre annoncé. D’abord, parce que le paysage désertique de l’île de Qeshm déborde lui -même du cadre de l’écran. Somptueux, aride, il fait partie de ces paysages où les hommes apparaissent comme des fourmis affairées et totalement anecdotiques.

C’est là qu’intervient le choix que nous avons fait d’inclure Valley of Stars dans ce festival sur la couleur. La couleur sable devient omniprésente. Les concrétions géologiques ont des formes étranges, entre mystère et danger. Aucune végétation, pas la moindre trace de vert à l’écran. Cette absence  de vie se fait vite menaçante malgré la somptuosité du cadre. D’autant plus que cette île, très peu peuplée, sert de lieu de relégation pour exilés politiques. La menace, très concrète ne vient pas seulement d’une nature hostile et volontiers sismique, les hommes y ont aussi largement leur part. Mani Haghighi ne filme pas cet environnement comme un simple décor, un fond neutre qui permet à la moindre tâche de couleur de ressortir violemment. Il s’en saisit comme un élément de mise en scène à part entière pour intensifier son propos et  nous catapulter dans une histoire qui prend vite un tour fantastique, voire fantasmatique avec des allers-retours entre croyances, rumeurs, énigme scientifique et imbroglio politique. Et les couleurs ont elles aussi un rôle à jouer pour rendre cette atmosphère encore plus prenante. La Chevrolet Impala couleur abricot, comme un clin aux films policiers dans les grands espaces de l’Ouest américain,  ou la veste brodée du preneur de son hippy qui nous rappelle qu’en Iran aussi, c’était les sixties.

Visiblement, le réalisateur s’amuse à croiser  les pistes et multiplier les indices dans un scénario de plus en plus complexe où il n’y a pas seulement police politique ( la redoutable SAVAK) et opposants au régime du shah, mais militants infiltrés dans l’appareil policier,  population locale qui suit imperturbablement ses rituels  et même travailleurs immigrés « indiens »,.. À chaque fois, la couleur intervient comme élément distinctif que ce soit lors des interrogatoires ( beige/marron) ou dans la très belle scène de la veillée funèbre,  le mort en blanc, les femmes en noir. Les exemples sont nombreux. On est très loin du point de départ du film. Au passage, Mani Haghighi a pris soin de convoquer l’histoire ancienne avec cette immense carcasse de bateau échoué en plein désert qui daterait d’une fameuse bataille entre Anglais et Portugais pour la maîtrise du détroit d’Ormuz en 1622. C’est toujours par là que transitent les ¾ du pétrole de la planète aujourd’hui. Là aussi, ce bateau n’est pas seulement un élément de décor spectaculaire. Il fait sens.

Les trois personnages principaux permettent justement de passer en permanence d’une perspective à l’autre : le détective, toujours impeccable, en costume, cravate et chapeau mou,avec un petit air à la Cary Grant  pour accentuer encore la piste film policier américain censé résoudre une énigme, le géologue, obsédé par la recherche de la vérité scientifique : comment trouver une explication à un phénomène naturel inexplicable et détecter un mouvement imperceptible, enfin, l’ingénieur du son, doux rêveur poétique qui pense pouvoir enregistrer les secrets du monde avec son matériel.

Trois visions du monde, trois tentatives de s’approcher d’une vérité. « Cosi è, se vi pare », aurait dit Pirandello. Mais Haghighi ne s’arrête pas en si bon chemin. Comme dans tout bon film qui ne se la joue pas trop  intello, il nous faut une belle et bonne histoire d’amour. Qu’à cela ne tienne, nous en aurons deux. L’une tragique à souhait et entièrement hors champ qui va se matérialiser par la naissance du bébé. L’autre, dramatique et pleine de suspens qui n’aboutit pas non plus à un happy end. Ça aurait été trop simple.

Certains spectateurs trouveront peut-être que le réalisateur exagère et auront le sentiment de se perdre dans ce dédale d’intrigues et de sous -intrigues. C’est bien sûr l’intention de Mani Haghighi qui se plaît à rajouter du merveilleux au surnaturel, du politique au personnel, du très improbable au totalement l’invraisemblable. Jusqu’à une sorte de happy end malgré tout ,en forme de pied de nez à la logique narrative et à la logique tout court.

Encore un mot sur la musique très présente dans le film. Pas du tout une musique, qui ferait « couleur locale », mais une bande-son plutôt électrique, forte et envoûtante qui est complètement en phase avec le suspense et les zones d’ombre du film. Mais après tout, ce n’est que justice, le personnage qui est à l’origine du film est un ingénieur du son !

Tous ces ingrédients font de Valley of Stars un film passablement inclassable.  Très écrit sans se prendre au sérieux et surtout très beau visuellement,porté par une dimension poétique qui nous fait du bien en retour.

sur le web

Mani Haghighi a décidé de faire ce film après avoir entendu parler d’une histoire incroyable : celle d’un assistant ingénieur du son qui travaillait sur un documentaire au sujet de grottes très anciennes situées au sud de l’Iran. Cet homme s’est perdu pendant deux jours dans ces grottes et lorsqu’il est parvenu à en sortir, il a raconté qu’il avait rencontré une étrange créature dans une crevasse qui lui avait appris l’allemand… « Bien sûr, personne ne l’a cru, jusqu’à ce qu’il se mette à réciter des poèmes d’Hölderlin dans un allemand parfait. Evidemment, je n’ai jamais rencontré cet homme, et je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui le connaisse. À vrai dire, je n’ai même jamais rencontré qui que ce soit qui croie vraiment en cette histoire. Mais j’ai toujours pensé qu’elle ferait un excellent film », confie le metteur en scène.

Les images d’archives en noir et blanc que l’on voit dans le film sont tirées de Brique et miroir sorti en 1965 et qui a été réalisé par le grand-père de Mani Haghighi, Ebrahim Golestan. « De nombreux critiques de films et historiens du cinéma considèrent que Brique et miroir est un film précurseur de la Nouvelle Vague iranienne. Mon film, étonnamment, se déroule à la période de la sortie du film, entre 1964 et 1968, et j’avais besoin de quelque chose qui rende l’histoire à la fois plus intime et plus réaliste. Brique et miroir m’est apparu comme l’instrument idéal », confie le cinéaste.

Mani Haghighi a toujours rêvé de faire un travelling sur les phares d’une Chevrolet Impala et c’est chose faite avec Valley of Stars. Pour lui, cette voiture très large et très basse est l’incarnation mécanique du format CinémaScope. Il poursuit : « Quiconque a lu Les Détectives Sauvages (1998), le chef d’oeuvre de Roberto Bolaño, sait que tout détective qui se mérite (et plus particulièrement si ce détective est aussi un poète) se doit de conduire une Impala. Mais Bolaño l’appelle une Ford Impala, parce que Bolaño est brillant, et sait comment transformer un objet banal en véritable abstraction poétique. Appeler une voiture une Ford Impala, cela revient à dire que La Rivière rouge a été réalisé par John Ford : c’est tout à la fois indiscutablement faux et étrangement juste. D’un autre côté, un expert en voitures de collection m’a dit, très récemment, que Chevrolet n’a jamais produit d’Impala orange ; donc soit quelqu’un a repeint cette voiture, soit ce n’est pas vraiment une Impala. »

Le bateau et le cimetière que l’on voit dans Valley of Stars n’ont pas été créés par effets spéciaux mais intégralement construits pour les besoins du film. « Nous avons acheté un vieux ferry et avons engagé cinq constructeurs navals locaux pour qu’ils en fassent un élément de décor trois fois plus grand. Cette décision, complètement folle et irréalisable, c’est mon décorateur, Amir Hossein Ghodsi, qui l’a prise. Mais ça a marché. Transporter le gigantesque bateau à travers la ville de Qeshm et le désert jusqu’à notre lieu de tournage reste un souvenir inoubliable. Je n’accepte pas que des « making of » soient réalisés sur le tournage de mes films, parce qu’ils tracent selon moi une frontière trop nette entre réalité et fiction, mais je regrette vraiment de ne pas avoir accepté que des images de cette traversée soit prise », se rappelle Mani Haghighi en poursuivant : « C’était comme un rêve, et les habitants de Qeshm étaient vraiment étonnés de voir un bateau traverser le désert, très lentement, comme un serpent. Nous l’avons utilisé à la fois pour des extérieurs et des intérieurs. Démonter le décor après la fin du tournage a été une véritable épreuve ; nous avons eu le sentiment de tuer un être vivant lorsque nous nous en sommes débarrassés.

« Le service de renseignement du film est la SAVAK, déchu au cours de la révolution de 1979 mais qui reste l’incarnation de la paranoïa dans l’imaginaire collectif iranien.  « C’était une gigantesque institution, particulièrement violente, qui mettait un point d’honneur à inventer de nouvelles et souvent étranges méthodes d’interrogatoire et de torture. (…) J’avais dix ans à l’époque, et l’association de ma rébellion naissante avec la colère de la population ont abouti à une adolescence plutôt intense », nous renseigne Mani Haghighi. Le réalisateur a donné aux personnages du film les noms de ses camarades de classe de l’époque où la SAVAK était en plein effondrement. La raison ? De la sorte, le metteur en scène avait l’impression de connaître les personnages plus intimement que s’il les avait « seulement » inventés.

L’acteur qui interprète le détective, Amir Jadidi, débute sa carrière et est à l’origine professeur de tennis (c’est un réalisateur qu’il entraînait qui lui a proposé son premier rôle). Homayoun Ghanizadeh, le géologue, est quant à lui metteur en scène de théâtre. Ehsan Goudarzi  (l’ingénieur du son hippie) n’avait jamais fait de cinéma non plus et quelques mois avant le début de la pré-production de Valley of Stars, il a écrit un monologue et a commencé à le jouer dans les bains publics abandonnés de Téhéran. « Je suis allé voir le spectacle et j’ai su que je le voulais pour mon film quelques minutes à peine après qu’il a commencé », se souvient Mani Haghighi en poursuivant au sujet de la comédienne Kiana Takammol : « Kiana est une excellente photographe que je suis sur Facebook depuis des années, mais elle vit à Milan, et je ne l’avais donc jamais rencontrée en personne. Quand on cherchait une actrice pour Shahrzad, je n’arrêtais pas de montrer à tout le monde ses auto-portraits : «c’est elle que je veux !» Évidemment, nous n’arrivions pas à trouver qui que ce soit qui lui ressemble. Alors finalement, je lui ai écrit et je lui ai demandé de m’envoyer une vidéo d’audition. Elle a enregistré quelque chose et me l’a envoyé par email. Elle était parfaite ! On avait déjà commencé à tourner à Qeshm quand elle est arrivée en Iran. Tout notre travail de préparation, nous l’avions fait par internet : lectures du script, répétitions, mesures pour les costumes. Son premier jour de tournage est aussi le jour de notre première rencontre ! »


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).

Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


Partager sur :