Vendredi 17 Juin 2022 à 20h
Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Pedro Costa, Portugal, 2014, 1h45, vostf
Ventura, manœuvre retraité cap-verdien, erre dans une Lisbonne labyrinthique et cauchemardesque. Il se remémore la manière dont lui et ses amis du quartier Fontainhas ont traversé la Révolution des Œillets, dans la peur de la répression. Dans son errance Ventura rencontre Vitalina qui lui raconte sa propre histoire d’exil.
Notre article
par Bruno Precioso
Si à 63 ans, et 17 films sur presque 40 ans de carrière, Pedro Costa n’a pas conquis auprès du grand public une place que certains de ses compatriotes ont atteinte plus tôt et plus vite, c’est sans doute que le lisboète rêve de rien moins que de conquête. Son cinéma pourtant a dès longtemps gagné ses lettres de noblesse : depuis 1997, 6 de ses 9 longs métrages ont été primés dans les festivals internationaux de Venise à Cannes, le dernier opus Vitalina Varela ayant mérité le Léopard d’or au festival de Locarno en 2019. Le même festival couronna Cavalo Dinheiro, titre original de ce Ventura, en 2014 dans un palmarès qui dit assez la filiation cinématographique dans laquelle s’inscrit le portugais : cette année-là c’est le philippin Lav Diaz qui avait reçu le prestigieux prix pour Mula sa kung ano ang noon (5h38 tout de même), mention spéciale étant attribuée au superbe Ventos de agosto du Brésilien Gabriel Mascaro alors que le prix de la mise en scène consacrant le meilleur réalisateur revenait à Pedro Costa. Malgré cette distinction Cavalo Dinheiro dut attendre que Vitalina Varela décroche le Léopard pour le suivre enfin en salles, près de 8 ans après sa sortie en festival… Cette sortie désordonnée est fâcheuse pour qui connaît un peu le travail du Portugais : les personnages de Pedro Costa, d’un film à l’autre, se retrouvent régulièrement sous leur véritable nom et parfois leur identité pure et simple, comme c’est le cas du Ventura qui donne son nom au titre français, héros de Costa depuis 2006 et En avant, jeunesse ! (le titre portugais Juventude em Marcha est plus ouvertement révolutionnaire) de même que son épouse Vitalina Varela à laquelle donc est consacré le dernier-né du réalisateur. Avant eux, Vanda avait parcouru Ossos, puis Dans la chambre de Vanda avant de passer le témoin à Ventura et Vitalina, lorsqu’ils se croisèrent dans En avant, jeunesse !
Sans véritablement constituer une forme de série, la continuité qu’implique la présence à l’écran, sur des années, des habitants du quartier archi-paupérisé de Fonthainas construit une matière d’un genre très particulier et le sentiment, de film en film, de vieillir avec des visages familiers et des lieux progressivement transformés par le temps et les pressions du pouvoir. Fonthainas est pour Pedro Costa plus que son lieu de tournage exclusif depuis Ossos en 1997 ; c’est son territoire d’adoption où il vit plus qu’à Lisbonne. Quartier de l’immigration cap-verdienne qui importa le nom d’un village de Santo Antão (la plus septentrionale des 14 îles de l’archipel), Fonthainas a forgé la manière de Costa et incarné ses sujets : c’est là qu’il a abandonné acteurs professionnels et dispositif classique de tournage, resserré au plus strict autour de sa propre discipline de retours et de tournage quotidien depuis 20 ans pour s’expliquer avec le passé colonial de son pays, et son présent social : Ossos (1997), Dans la chambre de Vanda (2000), En avant, jeunesse ! (2006), Cavalo Dinheiro (2014) et Vitalina Varela (2019) sont autant de visites qui chroniquent la désintégration de ce quartier et de sa communauté.
« A working class hero is something to be », Ce n’est pas rien d’être un héros de la classe ouvrière (J. Lennon)
On assiste donc dans le cinéma de Pedro Costa au renversement du partage traditionnel entre documentaire et fiction, en réponse à une ambition politique de mise en scène qui repose sur des rituels de travail portés par le naturel sans répétition et les délais très allongés du temps de tournage. Dans un mouvement paradoxal, le réalisateur demande à ses acteurs qui portent leurs propres noms et font leurs propres métiers un travail d’interprétation qui les projette hors d’eux-mêmes, dans un être différent, et qui ouvre pour eux la possibilité d’exprimer quelque chose d’eux-mêmes à travers ces personnages.
Dans cet exercice inédit, le seul credo de Pedro Costa est de se donner le temps et de donner du temps à ceux qu’il filme, ce temps qui manque tant aux plus démunis et que le cinéma, précisément, peut leur rendre, capable qu’il est de rejouer – leur faire jouer – le cycle des séparations, des exils et des déracinements. Offrir un espace, une existence même aux dimensions d’une vie entière, au prix d’une condensation du temps à l’image de celle recherchée par les photographies d’Eugene Smith. Et comme le peut seul le spectacle sans commentaire instruire le procès, depuis les chambres invisibles de ces baraques inhabitables qui sont autant d’ossuaires, de cryptes inquiétées par les morts-vivants qui y demeurent : procès en silence du naufrage colonial, de ces hommes abandonnés qui ont abandonné les leurs, de ce pays qui se satisfait de tolérer son Peuple de l’abîme. De film en film, son regard élève par une splendeur politique presque sans paroles mais pas sans chant, met en scène ces marges du monde, les sacrifiés historiques de la civilisation occidentale.
Où gît votre sourire enfoui ? (documentaire que Pedro Costa consacre à J.M. Straub et D. Huillet, 2002)
Plutôt qu’il ne se donne une mission, Pedro Costa assume une position explicite dans ses références revendiquées issues de tous les mondes : le cinéma bien sûr, de John Ford, Mizogushi, Naruse, mais aussi la littérature de William Faulkner à Robert Desnos, le rock, la musique métissée de l’angolais Bonga et de Gil Scott-Heron, et un long compagnonnage avec le philosophe Jacques Rancière. La synthèse de ses aspirations, Costa l’incarne toute entière dans son maître, le documentariste-poète-peintre-sculpteur António Reis, qui assista un temps de Manoel de Oliveira avant de fonder le Novo cinema portugais (Jaime, 1974). Cinéaste, anthropologue, peintre ou photographe, Pedro Costa ne choisit pas mais par tous les chemins convoque la mémoire : échos d’époques qui communiquent à travers le temps, réminiscences de toiles de maître… les clefs toutefois se donnent assez ouvertement, comme la série de photographies de Jacob Riis qui ouvre le film ; Kleber Mendonça Filho on s’en souvient avait fait de même au début des Bruits de Recife. Encore faut-il informer et aiguiser son regard : même la manière d’éclairer un portrait (ici Géricault) vaut réflexion à déplier. De la photographie comme de l’art du portrait il est donc bien entendu question dans les films de Pedro Costa et ici peut-être plus qu’à l’habitude, le cinéma même presque immobile ajoutant à la photographie le mouvement contenu qui fait suspension, interruption de la vie. Les tableaux vivants qui donnent visage à la musique doivent donc être regardés en gardant en mémoire la séquence d’ouverture. Et si le réalisateur sculpte autant les ténèbres que la lumière, travaillant la trajectoire de Ventura comme une quête d’intersection du clair-obscur, il s’agit tout autant d’un effort esthétique, auquel Costa ne renonce jamais, que d’une exposition où le métaphorique glisse vers la mythologie. Le soin apporté au son, aux cadrages, aux lumières, fait en effet de chacune de ces scènes un fragile moment de peinture, ou mieux de théâtre antique : moins de dialogues et d’histoire que jamais. Plus de nuit. Et le récit de passages dans toutes les directions de ce dédale d’images et de figures fourni par la faculté du réel à « réinventer la fiction », selon le mot de Jacques Rancière. Si la destruction de Fontainhas progresse de film en film, documentée à partir de Juventude em Marcha, ce monde résiste et persiste parce qu’il repose sur les épaules de celles et ceux qui tiennent encore debout, et affirment une consistance symbolique face à ce qui psychiquement s’effrite et matériellement s’écroule.
Sur le web
« Adolescent à Lisbonne, Pedro Costa a vécu la Révolution des Œillets – le coup d’état initié par de jeunes officiers de gauche le 25 avril 1974. Ce putsch militaire réveilla le Portugal de ses quarante-huit ans de dictature fasciste et contribua à mettre un terme à une présence coloniale séculaire en Afrique. Des films comme Torre Bela de Thomas Harlan (1975) ou Scenes from the Class Struggle in Portugal de Robert Kramer (1977) ont montré que le but des « capitaines d’avril », tous marxiste-léninistes, était de confier le pouvoir aux ouvriers et paysans portugais afin d’en finir avec « l’exploitation de l’homme par l’homme » et de construire une nouvelle société. Très vite, pourtant, la menace de sanctions et même d’une intervention militaire de la part de l’OTAN, ainsi que la pression des intérêts économiques multinationaux, aboutirent à un désarmement des « Rouges » et à un retour du pays dans le giron du capitalisme occidental.
Ventura, montre comment ce dernier – le maçon cap-verdien dont En avant jeunesse ! décrivait si poétiquement le passé cauchemardesque et le morne avenir – traversa lui-même cette période révolutionnaire. Costa, à cette époque, se joignait aux manifestations pour crier en chœur que « le peuple, uni, jamais ne sera vaincu », tandis que Ventura, âgé de vingt ans, se cachait dans des recoins sombres de la capitale, à l’instar de centaines de migrants qui comme lui étaient terrifiés par ces rassemblements et craignaient d’être torturés ou mis à mort par les soldats.
Si Costa et Ventura avaient pu traduire en mots leurs souvenirs et visions du monde, ils n’auraient pas fait ce film. Il est difficile pour Costa d’exprimer les sentiments qui ont nourri Ventura (Cavalo Dinheiro), et plus encore de faire la moindre déclaration sur le sens du film. Par certains aspects, il s’agit d’un poème en hommage aux habitants de Fontainhas, la zone ultra-paupérisée et métissée où Ventura a passé l’essentiel de sa vie et dans laquelle Costa avait tourné Ossos (1997) et Dans la chambre de Vanda (2000) (le quartier a depuis été démoli). Le synopsis officiel du film, particulièrement laconique, explique : « Tandis que les jeunes capitaines dirigent la révolution à travers les rues, les gens de Fontainhas partent à la recherche de Ventura, perdu dans les bois. » Description hermétique – mais Costa ne disait-il pas que son cinéma est « une porte qui se referme et nous laisse deviner » ?
Aussi mystérieux soit le film, l’origine de Ventura est des plus concrètes et repérables : une série de photographies. Il y a d’abord celle de Gil Scott-Heron, un poète et musicien américain que Costa avait vu il y a des années en restant frappé par son extraordinaire ressemblance physique avec Ventura. Le cinéaste contacta le musicien et tous deux se mirent à travailler sur un morceau de rap en vue d’un film. Malheureusement, la mort de Scott-Heron en 2011 mit un arrêt brutal à cette collaboration, et le cinéaste dût finalement recourir, pour sa bande-son, à la chanson « Alto Cutelo » du groupe cap-verdien Os Tubarões. Il y a ensuite les photographies de la presse de l’époque rendant compte de la révolution et de ses suites : « Dans ces images des manifestations urbaines, on pouvait voir des centaines de milliers de visages blancs, et pas un seul visage noir », remarque Costa dans l’appendice de son livre Casa de Lava : Scrapbook.
Interrogé sur son rapport avec la photographie, Pedro Costa déclare : « Mon intérêt pour les photos de Jacob Riis date de longtemps, aussi longtemps que j’aime le cinéma, je ne fais pas de différence ou valeur. J’ai toujours regardé des films et, en parallèle, je fais attention à la photographie. D’une certaine façon, la photo c’est toujours beaucoup plus simple et beau que le cinéma, du moins le cinéma récent ou contemporain, parce qu’on y voit toujours des gens, la société humaine, notre monde. Mais la photo réaliste, le reportage – les paysagistes ou la photo « artistique » et expérimentale ne m’intéressent pas du tout. Lewis Hine, Eugene Richards, Roy DeCarava, Robert Frank, Jacob Riis, je les aime beaucoup et depuis longtemps. Il y a des photos qui peuvent vous apporter beaucoup plus qu’un film. Et encore aujourd’hui, dans les journaux, dans les magazines. »
Sur les espaces du film, il ajoute : «…il y a un air d’épouvante ou de fantastique qui règne, des pierres et des couloirs et des forteresses d’autrefois, mais je crois que ça vient aussi d’une certaine durée qui plie et tord ces espaces. Je pense que c’est plutôt dans le rythme, le tempo, un mouvement différent. Et, à cause de mes films précédents, les gens sont un peu trop pris par une certaine imagerie mythologique du quartier de Fontainhas. Quartier qui a disparu, je le rappelle, qui n’existe guère qu’au cinéma. Mais vous avez raison : la façon dont Ventura et Vitalina et Benvindo et les autres entrent et sortent et habitent les plans, est différente des autres films parce qu’ils se trouvent dans des espaces qui ne sont pas à eux… Cavalo Dinheiro, là aucun espace traversé n’est à eux, ce sont des espaces hostiles. Ce sont des prisons. Prison, hôpital, asile, usine, chantier, bureau… Ce sont des lieux d’enfermement. Et ils les traversent comme sur une lame de couteau… il y a tellement de lames visibles et invisibles disséminées dans le film. C’est en effet un film sur l’enfermement, ça commence au moment où Ventura est enfermé. Ou s’enferme. Je pense aussi que Ventura et ses camarades maîtrisent moins le temps. Le temps de leur vie quotidienne, le temps de la narration de leurs vies, bref, le temps de l’Histoire. On passe du coté de la mémoire, du délire, de la fabulation. De la folie. Je crois que si on le compare aux autres films, on constate qu’avant ils étaient plus dans un temps de réflexion, de recherche des moyens d’appartenance et organisation de leur espace et de leur temps, du chez soi. Là, c’est déjà ailleurs, quelques couloirs et cellules inconnues et menaçantes. Pour ma part, et encore sur cette question des durées, j’ai aussi décidé de ne laisser beaucoup de temps ni aux personnages ni aux spectateurs pour penser. On est dans l’action et dans la parole…»
Sur ses relations avec les acteurs, il confie : « Mon travail, c’est aussi de faciliter un petit peu le travail très dur, très difficile et exigeant des acteurs. On a essayé de faire en sorte que tous les décors, tous les espaces, aient le confort – et la clôture – d’un studio juste pour faciliter le travail de Ventura, de Vitalina, de Tito. Et avec le temps, on apprend des choses ; moi j’ai appris que je travaille mieux à l’intérieur, dans des chambres qui sont un peu entre des labos et des studios… Je ne suis pas un cinéaste du « plein air », de la « spontanéité de la rue », ça ne s’accorde pas avec les conditions des acteurs avec qui je travaille. Dans ce sens, je suis chaplinien à outrance: il nous faut travailler dans des conditions propices, répéter, répéter en sécurité et confort et, peut-être aussi, en secret… Je le dis toujours: Ventura est un acteur de studio, peut-être un des derniers grands. Vitalina aussi, Vanda l’était à mort… elles viennent de la tradition des Katherine Hepburn, de Joan Crawford, d’Ava Gardner, toutes ces actrices qui sont habituées à une certaine routine, à un certain éclairage, à une approche du travail très méthodique, comme au théâtre ou comme en musique… Il y a un continent inconnu entre nous. Je n’en saurai jamais assez et ils ne me raconteront jamais beaucoup. Parfois c’est drôle. D’autres fois c’est triste et désespérant. Mais ce sont ces sentiments, toute cette expérience commune, ce chemin qui fait les films, moi en imaginant des choses et eux en ne me donnant pas exactement ce que j’attends, mais en partageant tout ce qu’il est possible de partager. »
En évoquant la révolution des Oeillets, il déclare : «… je crois que plutôt que de se souvenir, ce film fait tout pour oublier. Je crois que l’émancipation ça serait ça aussi : ne pas oublier l’oubli. C’est aussi important. Les faits de l’Histoire : en Avril 1974 j’étais un gamin de 13 ans, j’ai assisté émerveillé à la révolution, je courrais dans les rues, j’ai crié les mots d’ordre naïfs. Je commençais à vivre, pendant ces deux ans je découvrais, en même temps, la politique, les filles, la musique, le cinéma… Et pas très loin, à quelques centaines de mètres de moi, Ventura paniquait en haut de son échafaudage. Lui et ses frères Cap-Verdiens, Angolais, Guinéens ne comprenaient pas ces mouvements des forces armées, la foule qui chantait, qui occupait les usines, qui virait les patrons. Ils ne voulaient que travailler, travailler à tout prix, économiser pour faire venir épouse et enfants du pays. Ils avaient peur de se faire renvoyer chez eux, de perdre leur contrat de travail qui était souvent, il faut le rappeler, leur vrai passeport… la plupart étaient clandestins, comme clandestines étaient les baraques qu’ils bâtissaient, les week-ends, dans la banlieue de Lisbonne. Alors ils se cachaient, ils sortaient très peu de leurs ghettos. En 1975 il y avait déjà une considérable population africaine à Lisbonne. Avec toutes ces histoires de Ventura dans l’oreille, un jour, juste pour vérifier, je suis passé à la bibliothèque pour consulter les journaux de l’époque : sur les photos des immenses foules et des manifs, je n’ai pas trouvé un seul visage noir… » » (Entretien avec Pedro Costa sur Cavalo Dinheiro par Miguel Armas, Londres, octobre 2014; elumiere.net)
« À chaque nouveau film de Pedro Costa, il semble que le cinéaste livre un peu plus les clefs de son travail, en nouant toujours plus fortement ses présupposés formels avec sa provocation politique. Le début de Juventude em marcha substituait au ton de la conversation en chambre de No quarto da Vanda celui de la déclamation tragique. Cavalo dinheiro commence silencieusement par un défilé de photos en noir et blanc. Un décor de misère que l’on identifie aisément : celui des tenements de New York, photographié à la fin du dix-neuvième siècle par un photographe préoccupé des questions sociales et souvent accusé pour cela de « misérabilisme », Jacob Riis. Faut-il penser que c’est pour Pedro Costa, souvent accusé à l’inverse d’esthétiser la misère, une occasion de revendiquer une tradition d’engagement militant ? Ou bien une manière d’illustrer la thèse rageuse que les conditions de vie de « l’autre moitié du monde », plus d’un siècle après, ressemblent toujours à cela ? Mais le trouble éprouvé par le spectateur porte sur autre chose. Ces photographies de rues étroites, de baraques chancelantes et d’intérieurs aux corps entassés lui rappellent quelque chose : les ruelles de Fontaínhas, la chambre de Vanda, la boutique de sa mère, la baraque de Ventura et Lento et même la rivière sur laquelle glissait la barque des deux compères. Et plus tard dans le film, une succession de plans fixes sur les espaces habités par les migrants cap-verdiens semblera mettre les noirs et blancs de la New York d’autrefois aux couleurs du présent de l’Europe postcoloniale. C’est comme si les photos de Jacob Riis avaient servi de modèles aux plans du cinéaste, de la même façon que les histoires de zombies de Tourneur avaient inspiré ses personnages de morts-vivants. Comme si la politique des films de Pedro Costa, celle qu’il emprunte au photographe, était d’abord une manière de construire des cadres, de construire l’immédiate union entre la matérialité d’une situation et la matérialité d’un découpage de l’espace.
Mais il faut aussitôt compliquer les choses car, pendant que les photos défilent puis cèdent la place à un portrait d’homme noir peint par Géricault, un bruit de pas commence à résonner, comme en écho à celui qui, dans Juventude em marcha, nous introduisait, avec Ventura, au milieu des peintures du Gulbenkian. Dans Juventude em marcha, après une confrontation silencieuse, d’autres bruits de pas résonnaient dans les souterrains du musée par où le visiteur importun se trouvait évacué. Ici c’est directement dans les souterrains que nous entrons en suivant le bruit des pas. C’est cela que l’art cinématographique de Pedro Costa ajoute au témoignage photographique de Jacob Riis : la narrativisation de l’espace par le bruit du temps. Un bruit du temps qui est lui-même multiple. Il y a le bruit des voix et des pas de quelques individus ; il y a l’histoire de leur vie qu’ils racontent, revivent ou réinventent ; il y a la rumeur de l’Histoire à laquelle leur vie a été mêlée : la colonisation et la décolonisation, les chants de la révolution des Œillets et ceux de la jeune république cap-verdienne. Il y a les résonances qui se tissent d’un film à l’autre ; il y a celles enfin qui mêlent les voix des vivants et des morts et transforment leurs déplacements en voyage mythologique. De film en film, c’est cette dimension mythologique que Pedro Costa a toujours plus affirmée comme le vrai moyen de prendre la mesure de la violence infligée à tous ceux qui ont dû venir perdre leur vie dans les chantiers et les taudis des métropoles du Capital. Avec No quarto da Vanda on pouvait encore s’imaginer voir un documentaire sur les habitants de Fontaínhas. Mais, dans Juventude em marcha, l’illusion réaliste cédait de plus en plus le pas à la reconstruction mythologique. Quand Ventura et Lento dialoguaient à la manière d’acteurs tragiques dans l’appartement brûlé, on avait l’impression d’être passé de l’autre côté, d’être en présence d’habitants des Enfers. Cavalo dinheiro pousse cette logique à l’extrême en mettant en œuvre un principe de condensation radical.
Condensation des espaces d’abord : le rapport de notre monde social aux Enfers mythologiques est figuré comme la circulation de Ventura entre deux niveaux d’un même lieu : les dédales d’un souterrain appartenant au royaume de la mort et les couloirs d’un hôpital ordinaire où une société traite ceux qu’elle a épuisés ou mutilés, ceux qui se rassemblent au début du film dans la chambre de Ventura. Entre le séjour des morts et celui des malades, l’ascenseur de l’hôpital joue le rôle de la barque de Charon. Et l’escalier menant aux souterrains est le lieu d’une autre rencontre entre la vie et la mort. C’est là que Ventura aperçoit d’abord la silhouette d’une nouvelle figure, une nouvelle visiteuse dans l’univers de Pedro Costa : Vitalina, la veuve qui est arrivée trop tard du Cap-Vert pour assister à l’enterrement de son mari, peut-être tombé d’un échafaudage, peut-être simplement mort de la vie que mènent les migrants, mais aussi la femme qui hérite de l’énergie qui semble avoir abandonné Ventura, l’énergie des forces obscures qui circulent entre le pays des vivants et le pays des morts.
Les seules échappées hors de cet hôpital où les fenêtres mêmes semblent opaques, les seuls moments où la nature apparaît, sont les souvenirs et les hantises d’événements traumatisants : le jardin d’Estrela où les immigrés fuyaient les militaires pendant la révolution des Œillets au risque de s’y entre-tuer, ou les abords de la fabrique abandonnée par un patron en faillite. Les lieux au demeurant se transforment les uns dans les autres : le jardin d’Estrela devient un paysage de forêt et de rochers dont on ne sait plus s’il est ici ou là-bas. La fabrique en ruine communique avec l’hôpital mais aussi apparemment avec les bureaux où Vitalina vient réclamer sa pension. Et les personnages eux-mêmes échangent leurs rôles : Vitalina prend un moment la robe du médecin et raconte en première personne ce qui est arrivé à Ventura le 11 mars 1975 ; son mari mort se confond avec l’ancien rival de Ventura qui partage aujourd’hui (mais quel aujourd’hui et est-ce bien lui ?) sa condition de pensionnaire de l’hôpital. Ventura mêle au souvenir ancien d’une contestation sur son salaire l’histoire arrivée à son neveu, trouvant à sa sortie d’hôpital l’entreprise abandonnée et vidée de ses machines.
Mais, bien sûr, ce sont surtout les temps qui se trouvent condensés… Comme la réalité et le fantasme, le passé et le présent se mêlent inextricablement. Dans le cinéma ordinaire, le grand écart des temps se règle souvent par l’emploi de deux acteurs de générations différentes. Mais, bien sûr, Pedro Costa n’a qu’un seul « acteur » pour jouer le jeune homme fringant à la chemise brodée et au couteau vite sorti et le vieil homme épuisé traînant en pyjama dans les couloirs. C’est le Ventura d’aujourd’hui qui doit revêtir la parure du jeune coq d’autrefois. C’est lui qui répond aux questions off du médecin d’hier et décline son âge de dix-neuf ans et trois mois avant de déclarer la profession de retraité du bâtiment. C’est lui qui répond aux questions de la Vitalina de 2014 sur son prochain mariage de jeune homme avec sa fiancée Zulmira, ou mène avec son neveu Benvindo (mais est-ce vraiment son neveu ?) cette discussion, non située dans le temps, sur les paroles d’une chanson. Il n’a, pour tous ces rôles et tous ces temps, qu’un seul corps, celui précisément qu’ont façonné les espérances et les désillusions de l’immigré, les blessures sur les chantiers et les frayeurs devant les militaires révolutionnaires ou encore les effets de l’alcool ou de la drogue. Ventura n’est ni un vieil immigré répondant aux questions d’un documentariste sur sa vie ni un acteur jouant le rôle d’un vieil immigré. Il est un homme qui rejoue sa vie, qui la rejoue comme le présent chargé de toute une histoire, la sienne et celle de ses semblables, et n’a pour cela qu’un seul corps avec les marques que sa vie y a laissées, un seul corps en un seul temps, pour montrer le passage de quarante années sur les corps ouvriers. Pour répondre à cela, il faut que chaque image de Pedro Costa se montre capable d’en contenir plusieurs.
On ne peut en effet résoudre le problème en disant simplement que c’est, de toute façon, la même chose qui arrive toujours, la même vieillesse qui commence et recommence dès le jeune âge pour ceux qui sont nés dans la mauvaise moitié. Cette sagesse désabusée est résumée, dans la chambre de Ventura où les douleurs assemblées forment un chœur des esclaves, par les paroles que Tito prononce, le dos tourné, pour dire que les militaires ne changeront rien : « Nous continuerons à tomber du troisième étage. Nous continuerons à être mutilés par les machines. Notre tête et nos poumons nous feront toujours aussi mal. Nous serons brûlés. Nous perdrons la tête. C’est la moisissure qui est dans les murs de nos maisons. Nous avons toujours vécu et nous mourrons toujours ainsi. C’est notre maladie. » Ces paroles semblent énoncer par avance tout ce qu’il y a à dire et notamment les réponses que fera Ventura à son interrogateur invisible : il connaît sa maladie et peut répondre que ce qui lui est arrivé lui arrivera à nouveau. Car cette maladie des hommes sans nom englobe par avance tous les aléas de leur vie, les coups de couteaux qu’ils échangèrent comme les révolutions qui sont passées sur eux… le film entier semble n’être qu’une longue lamentation où ceux qui perdent leur vie sur les chantiers loin de leur terre reprennent à leur compte les paroles de ceux qui voulaient leur montrer leur condition, par exemple celles que, dans Fortini/Cani, Franco Fortini lisait devant la caméra des Straub : « Vous n’êtes pas où arrive ce qui décide de votre destin. Vous n’avez pas de destin. Vous n’avez pas et vous n’êtes pas. En échange de la réalité vous a été donnée une apparence parfaite, une vie bien imitée. »
Mais l’imitation de la vie, n’est-ce pas ce que fait, qu’on le veuille ou non, l’art cinématographique ? En notre temps, comme au temps de Jacques Tourneur ou de Douglas Sirk, le cinéma n’est-il pas le lieu privilégié pour interroger le rapport entre la vraie vie et les histoires de fantômes, sortis du passé ou d’un autre monde ? Et si les Straub sont présents dans Cavalo dinheiro, ce n’est pas pour les paroles désabusées qu’ils ont pu transmettre sur la condition des exploités. C’est bien plutôt pour avoir montré que le chant du malheur n’était jamais une simple monodie, que toute histoire, si linéaire qu’elle semble être, recèle toujours au moins la possibilité de deux variantes. Dans leur œuvre, exemplairement, la leçon sur le malheur de ceux qui ne sont rien s’est divisée en deux : l’affirmation lyrique que les pauvres sont quelque chose et ont une voix pour le dire, et la querelle dialectique sur ce qui est et ce qui n’est pas. C’est un peu cette tension qui organise Cavalo dinheiro entre l’épisode lyrique de la chanson Alto cutelo qui accompagne la « visite » de la caméra dans les quartiers des immigrés et l’épisode dialectique de l’ascenseur où s’affrontent le vieux Ventura et le soldat statufié de la révolution du 25 avril… La lamentation sur le destin de la jeune vie porte alors aussi bien sur le vieil homme fatigué qu’est devenu Ventura que sur la statue, peinte en doré, qu’est devenue la grande espérance d’avril 1974. C’est pourquoi aussi les voix finissent par s’autonomiser ; elles ne sont plus adressées par un protagoniste à l’autre ; elles semblent plutôt dialoguer entre elles, entre accablement et espérance, comme les personnages laissés pour compte de la « vie nouvelle » le font à la fin des pièces de Tchekhov : « Le jour viendra où nous accepterons nos souffrances. Il n’y aura plus ni peur ni mystère / nous quitterons ce monde ensemble et on nous oubliera. On oubliera nos visages / Nos souffrances seront des joies pour les hommes à venir. » »(Extraits du texte de Jacques Rancière, publié dans Trafic n° 95, Automne 2015, Paris: Éditions P.O.L.;sabzian.be)
« Il y a des films qu’une seule et même personne pourra qualifier un jour de chef d’œuvre ou de concentré d’ennui un autre jour, selon les conditions de projection et l’état d’esprit et la forme physique lors de celle-ci. Ventura en fait partie ! Un film qui débute par des photographies prises par Jacob Riis dans des taudis de New York à la fin du dix-neuvième siècle, une façon insolite d’introduire le spectateur dans le bidonville cap-verdien de Fontainhas, un bidonville où vivait Ventura au début des années 70 et qui a été détruit pour donner naissance au barrio de Casal da Boba. Ventura, c’est le personnage principal du film, un homme originaire du Cap Vert qu’on ne va pas cesser de suivre sans qu’on sache toujours si on est dans le présent du personnage, en 2013, ou bien dans les souvenirs qu’il a du début des années 70, un peu avant ou pendant la Révolution des œillets…
… Chef d’œuvre ? Concentré d’ennui ? Sur un domaine, au minimum, le qualificatif « chef d’œuvre » n’est pas usurpé pour ce film, meilleure réalisation du Festival du film de Locarno en 2014 et présenté dans de nombreux autres festivals, et qui a donc attendu 8 ans pour sortir dans notre pays : la beauté des images que l’on doit au Directeur de la photographie Leonardo Simões ! Ce film dans lequel on ne voit jamais la lumière du jour, passant de scènes nocturnes à des scènes tournées dans des sous-sols, dans des chambres ou dans des couloirs, est paradoxalement plein de lumière, une lumière qui se reflète sur la peau noire des personnages ou sur le costume argenté du militaire statufié, une lumière qui met régulièrement en avant la couleur rouge de vêtements portés par des protagonistes. A l’exception de 2 ou 3 mouvements de caméra, tous les plans sont des plans fixes et, pour nombre d’entre eux, on a l’impression de regarder un tableau du Caravage. Concentré d’ennui ? Si l’on tient absolument à rapprocher Ventura de films d’autres réalisateurs, c’est vers le philippin Lav Diaz ou le thaïlandais Apichatpong Weerasethakul qu’on peut se tourner. Toutefois, si, dans Ventura, l’action est minimale on ne peut s’empêcher d’être saisi par la tension qu’on ressent en permanence et qui permet de rester « accroché » au film, à condition, bien sûr, de faire preuve d’une certaine vigilance. Par ailleurs, une cause importante peut contribuer à faire passer le spectateur de la vigilance à l’ennui : le manque de connaissance que nous, français, avons pour la plupart de l’histoire du Portugal, de ses rapports avec ses anciennes colonies, de la Révolution des œillets. C’est ainsi qu’on peut être étonné de la peur que semblent avoir les immigrés cap-verdiens de cette Révolution, alors qu’on a plutôt en mémoire son côté progressiste et le désir affiché par les capitaines marxistes de l’armée de terre qui en étaient le moteur de mettre fin aux guerres coloniales. La scène de l’interrogatoire de Ventura, une scène qui se déroule le 11 mars 1975, permet de mieux comprendre cette peur : le 11 mars 1975 est le jour où le Général Spinola a fomenté un putsch de droite, lui qui fut Président de la junte de Salut national durant les 3 semaines qui ont suivi le 25 avril 1974, jour du renversement de la dictature portugaise, puis Président de la République durant les 6 mois qui ont suivi. Dans ce film sans accompagnement musical mais dans lequel on entend en entier une morna du groupe cap-verdien Os Tubarões et un extrait d’un morceau de Kodé di Nona et José Vaz, on retrouve dans le rôle principal le comédien Ventura qui interprétait déjà le rôle principal dans En avant, jeunesse ! de Pedro Costa, un film présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2006. A ses côtés, c’est Vitalina Varela qui interprète son propre rôle. 5 ans après Ventura, Pedro Costa a jugé nécessaire de prolonger son rôle dans Vitalina Varela, un film qui a obtenu le Léopard d’Or lors du Festival du film de Locarno en 2019… »(critique-film.fr)
« Découvrir Ventura (anciennement baptisé Cavalo Dinheiro, dont la sortie était attendue depuis 2014) après Vitalina Varela est une expérience troublante. D’abord parce que d’un film à l’autre se répète une même rencontre, entre deux Cap-verdiens jouant leurs propres rôles ; ensuite parce qu’ils résonnent formellement, voire parfois se confondent. Née de l’inversion des sorties, cette impression d’assister à un film alternatif est d’autant plus forte que Vitalina apparaît ici à la manière d’un fantôme, marchant à pas feutrés dans un passage à moitié éclairé, comme une émanation venue d’une dimension parallèle. On comprend bien, devant Ventura, pourquoi Costa a fini par lui consacrer un long-métrage entier : Vitalina crève l’écran. Elle est cet « oiseau noir posé sur le toit » qu’évoque à son médecin l’affaibli Ventura, homme hanté par un traumatisme qui gangrène son corps désormais tremblotant. Dans un tout autre registre que celui de Vitalina, phare ténébreux qui murmure en se tenant droit au-dessus des ténèbres, Ventura (déjà au cœur d’En avant, jeunesse !) se couche, se tord, se recroqueville. C’est ce qu’annonçait discrètement l’un des premiers plans, après la série de photographies de Jacob Riis qui ouvrent le film : le Portrait de Noir attribué à Géricault (1814) est illuminé de travers, comme s’il fallait regarder de biais cette figure pour mieux la comprendre.
Difficile de résumer un film constitué, encore plus que sa fausse suite, de séquences ne suivant pas de cap clairement défini (« tu n’as pas d’horizon », dit-on à Ventura). Sibyllin, le récit organise des allers et retours entre le présent, où Ventura erre dans un hôpital dans lequel sont réunis les laissés-pour-compte de la périphérie lisboète, et le passé, celui des souvenirs du personnage, où l’on devine l’origine de son traumatisme (un matraquage fasciste en pleine révolution des Œillets) au gré de déambulations souterraines et nocturnes. Si Ventura semble pris au piège d’une geôle éternelle, passant son temps à « parler aux murs », le film est toutefois plus ouvert et tortueux que Vitalina Varela, plus inégal, aussi, en empruntant des chemins de traverse parfois surprenants (comme cette séquence musicale qui présente plusieurs habitants du quartier de Fontainhas dans une série de tableaux vivants). Alors que Vitalina se confrontait à l’obscurité pour marcher vers la lumière, la trajectoire de Ventura s’avère de son côté plus retorse, puisqu’il finit souvent par se tenir à l’intersection de la lumière et des ténèbres. De nombreuses scènes en attestent : dans un caveau strié de zones d’ombre et de lumière, le vieil homme vient s’asseoir sur la ligne séparant la clarté de l’obscurité ; plus tard, au sortir de l’hôpital, il s’arrête à un endroit éclairé aux côtés de son médecin, puis retourne dans les ténèbres pour n’être plus, dans le dernier plan, qu’un sombre reflet sur la vitrine d’une coutellerie.
Des silhouettes illuminées dans un monde obscur : c’est ainsi que l’on pourrait résumer la « forme Costa », encore une fois riche, dans les recoins de ses labyrinthes nébuleux, de petites épiphanies plastiques. Citons par exemple ce plan dans lequel, par un jeu d’ombre et de lumière, le neveu de Ventura, Benvindo, apparaît avec des ailes d’ange sur son dos, ou encore cette séquence centrale dans laquelle Vitalina s’adresse, pour la dernière fois du film, à Ventura. Dans cette scène magnifique, Ventura livre à la veuve endeuillée une lettre signée de son défunt mari. Lisant le manuscrit en silence, elle se lève puis s’approche d’une porte dont la vitre, opaque, laisse passer un peu de lumière. Survient alors l’un des rares mouvements d’appareil du film : une fois la porte ouverte, la caméra glisse de Vitalina à Ventura par l’intermédiaire d’un panoramique. Tandis qu’elle fait un pas vers la lumière, préfigurant la trajectoire de son futur film, lui reste assis dans le couloir, à moitié dans la pénombre. On le devine : l’ancien manœuvrier préfère les interstices et les lieux de passage, tel cet ascenseur dans l’hôpital où prend place une longue scène dialoguée. Entre deux étages, à mi-chemin entre la surface et les souterrains, Ventura règle ses comptes avec les fantômes de son histoire. Cette séquence étirée pose un cadre et permet à ce dernier, statufié par la mise en scène, de s’exprimer plus directement, mais on peut regretter qu’elle mette aussi à plat les différents thèmes du film : la violence des luttes, la promesse désespérée d’une révolution, le poids de la rancœur et surtout l’injustice. « Un jour viendra où nous accepterons toutes ces souffrances. Il n’y aura plus ni peur ni mystère » clame, aux côtés du vieil homme, la statue d’un soldat. De la peur et du mystère : voilà ce que sécrète à son meilleur Ventura, film dont la beauté vénéneuse étend encore davantage le dédale d’images et de figures mémorables bâti par Pedro Costa. (critikat.com)
Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.
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