Vera Drake


 


Vendredi 18 mars 2005 à 20h45

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Mike Leigh – Royaume-Uni – 2004 – 2h05 – vostf

Vera Drake est une mère de famille exemplaire et totalement dévouée à son entourage. Pourtant, derrière son quotidien apparemment banal, Vera cache une activité secrète : elle aide certaines femmes à mettre fin à leur grossesse involontaire..

MIKE  LEIGH

« J’avais 7 ans en 1950. Bien sûr j’ai des souvenirs de ce monde d’austérité de l’aprèsguerre où rien n’avait été renouvelé des années 20 et 30. Mais ce n’est pas pour autant et en aucune façon un film autobiographique(..). Pour Vera Drake, nous avons voulu créer un style visuel qui nous permette d’atteindre l’essence de la fin des années 40, son esprit, son aspect physique, ses sensations. Mais sans être littéral, car ce film pas plus que les autres n’est naturaliste, il se veut à la recherche d’une réalité distillée. Les couleurs par exemple, ces gris et ces verts, sont plus présentes qu’elles ne l’étaient réellement, elles sont l’expression d’un réalisme intensifié (…). J’ai choisi la date de 1950 (…) Il me semblait que cette époque était celle d’une solidarité saine et innocente. Un peuple avait traversé un traumatisme et se retrouvait uni dans une volonté d’effort collectif. Et la famille était le centre de cette entraide (…). Vera Drake a une trajectoire pure, inévitable, une progression inéluctable dans une seule direction. Tout ce qui arrive est très dépouillé et contribue à la marche vers le destin de Vera Drake (…). Elle est simplement quelqu’un qui croit très sincèrement qu’elle doit faire ce qu’elle fait. Il n’y a rien d’héroïque dans son comportement. Dans toutes les sociétés, à toutes les époques, il y a eu des gens comme elle qui ont accompli cet acte pour aider des femmes en difficulté. En un sens, elle est innocente. Je connaissais le travail d’Imelda [Staunton, l’interprète du rôle de Vera Drake] et je pensais qu’elle serait parfaite pour le rôle. Elle est présente depuis longtemps à la scène et à l’écran. Je savais que Imelda serait capable d’aller au-delà des rôles comiques qu’on lui avait confiés, je ressentais cela de façon instinctive. Le vrai défi pour moi était de discuter du bien et du mal, de la pureté et de la criminalité d’une manière convaincante. Il fallait que le public soit confronté à un dilemme moral car rien n’est tout blanc ou tout noir dans ce film. Bien sûr, je suis personnellement pour que les femmes aient la liberté de choisir l’interruption de grossesse, mais ce n’est pas manichéen, car il est vrai que l’on détruit ainsi la vie. Il me fallait trouver une métaphore pour ces choix éthiques sans être simpliste. La dialectique entre Vera et cette femme manipulatrice [Lily, interprétée par Ruth Sheen], véritable chevalier d’industrie, me semblait éclairer ce dilemme (…). Vera est une femme que la société rend coupable. Pour elle, qui est une citoyenne respectable, une personne propre, être soudain définie comme criminelle est une expérience humiliante et dévastatrice (…) (Le parler de l’époque) est très précis et authentique. Nous avons fait d’énormes recherches en nous plongeant dans les journaux du temps, en écoutant les émissions de radio, en visionnant les films de l’immédiat après-guerre pour que mes collaborateurs, mes comédiens et moi-même en soyons imprégnés. »  (Extraits de l’entretien accordé par Mike Leigh à Michel Ciment, © Positif, février 2005, n°528)

Filmographie sélective de Mike Leigh  

1981 : Bleak Moments (Léopard d’Or, Locarno) 1982 : Home Sweet Home (82, TV) 1984 : Mean Time (84, TV) 1988 : High Hopes (Prix de la critique, Venise) 1990 : Life is Sweet 1993: Naked  (Prix de la mise en scène et Prix d’interprétation masculine, Cannes) 1996 : Secrets et Mensonges (Palme d’Or et Prix d’interprétation féminine, Cannes) 1997 : Deux filles d’aujourd’hui 1999 : Topsy-Turvy (deux Oscars et Coupe Volpi à Venise) 2002 : All or Nothing 2004 : Vera Drake  (32 prix internationaux dont le Lion d’Or et le prix d’interprétation féminine, Venise).

Sur le web

Grand vainqueur de la Mostra de Venise en 2004, Vera Drake est reparti du Lido auréolé de la récompense suprême, le Lion d’Or, ainsi que de la coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine pour Imelda Staunton. Le jury était présidé par un compatriote de Mike Leigh, le cinéaste John Boorman. Ajoutons que, seize ans auparavant, c’est pour son rôle de faiseuse d’anges dans Une affaire de femmes de Claude Chabrol qu’Isabelle Huppert recevait le Prix d’interprétation à Venise.

« La plupart de mes films parlent des relations parents-enfants : en avoir, ne pas en avoir, en vouloir, ne pas en vouloir. Dans ce film, l’action se déroule dans un pays, la Grande-Bretagna, à une époque où l’avortement est illégal. Je voulais simplement montrer la difficultédans lequelle se retrouvent celles et ceux convaincus que l’avortement est parfois un mal nécessaire. Vera est une femme optimiste, généreuse, qui aime la vie. Pourtant, elle pratique des avortements. Elle ne le fait pas pour l’argent, elle veut juste aider les gens dans le besoin (…) Placer mon histoire en 1950 me permettait d’établir la base morale du problème de façon implicite, sans avoir à me transformer en un ardent propagandiste. Deplus, mon rôle est de poser des questions, non de tirer des conclusions hâtives. Cette question demeure délicate et difficile. »

Vera Drake est le deuxième film d’époque de Mike Leigh après Topsy-Turvy, dont l’action se situait dans le Londres de la fin du XIXe siècle. Concernant la reconstitution historique, ce dernier confie qu’il a eu pour ambition de capter « l’esprit de l’époque« , et non de réaliser « un film nostalgique sur 1950« . Il ajoute :  » Les années d’après-guerre étaient noires, très fonctionnelles. En fait, nous vivions toujours dans l’esprit et le confort relatifs d’avant la guerre. Avec mes collaborateurs -le chef-opérateur Dick Pope, la styliste Eve Stewart et la chef costumière Jacqueline Durran- nous avons créé ce ton sombre, monochrome, très utilitaire. Malgré la joie de vivre de Véra, l’esprit du film demeure sombre. En revanche, dans les scènes de danse du samedi soir où les gens détendent enfin après des journées de dur labeur, nous avons réhaussé les couleurs. Car on savait aussi s’amuser à l’époque !« 

Comme souvent chez  Mike Leigh (Secrets et mensongesAll or nothing), le thème de la famille est central dans Vera Drake. Le réalisateur s’en explique, en reliant cette question à celle de l’engagement politique : « La famille demeure (…) mon sujet de prédilection. Les familles constituent d’ailleurs des microcosmes de la société. Dans ce sens, on peut dire que tous mes films ont un côté politique. Ce film davantage encore que les autres, puisqu’il montre un individu en marge de la société pour avoir bravé ses lois. Bien sûr, je ne fais pas de politique à proprement parler. Je ne montre aucun politicien et ne donne pas d’arguments politiques. Vera Drake est une métaphore, une distillation cinématographique et universelle. »

« Film politique, Vera Drake s’inscrit dans la lignée des grands films réalistes, en présentant les contradictions d’un système social, où la femme ne peut que subir la pression des hommes et les exigences de l’honneur familial. Les figures féminines qui se succèdent entre les mains de Vera sont autant de variations d’une détresse tant physique que morale : chacune est dans une situation unique et déchirante, chacune est clairement identifiée sous le jeu d’une caméra qui soigne les visages, les expressions et prend le temps de détailler avec sensibilité une part de leur désespoir. Si l’avorteuse opère seulement parmi les couches sociales les plus défavorisées, le réalisateur prend bien soin de montrer en parallèle le parcours « officiel » d’une jeune fille de bonne famille, dont l’avortement est ainsi cautionné par le système lui-même, qui se nie finalement au nom de la santé mentale du personnage. Critique sociale, Vera Drake souligne en permanence le contraste des conditions, en jouant sur les parallèles dans la trame du récit, puisque l’on passe durant toute la première partie du film, du travail pénible de Vera, à des scènes de la vie bourgeoise…Par-delà la portée sociale du film, Mike Leigh réussit à donner vie à tous ses personnages, même les plus secondaires, en soignant chaque geste, en brossant chaque portrait sous la forme d’une multitude de rapides tableaux de la société qu’il met en scène. L’humanité qui s’en dégage place ainsi l’avorteuse dans une optique de bonté jusqu’à l’outrance, bonté désintéressée de cette femme qui n’est pas payée pour l’aide qu’elle apporte aux jeunes femmes. Mike Leigh parvient à capter la moindre lueur du regard, les larmes et frémissements de désespoir des visages filmés en gros plans, de manière à rendre palpable le tragique de chaque situation et les déchirements intérieurs de ses personnages, prisonniers de normes qui les dépassent. Vaste chronique réaliste d’une société qui n’est plus, le film Vera Drake fait toutefois émerger des questionnements toujours d’actualité, que ce soit à propos de la relativité des principes moraux, avec ici le détournement d’un geste jugé inhumain par la société, en un véritable acte d’amour et de générosité, ou à propos d’un monde à deux vitesses où, encore une fois, les pauvres pâtissent des contradictions sociales là où les riches les contournent. » (critikat.com)

Le cinéaste a confié le rôle en or de Vera Drake à une grande actrice de théâtre, Imelda Staunton, vue au cinéma aux côtés d’Andie MacDowell (Crush le club des frustrées) et sous la direction de Kenneth Branagh (Peter’s Friends). Elle s’est également illustrée dans le doublage de films d’animation tels que Chicken run où elle prête sa voix à Bernadette dans la version originale (dans la version française, c’est Josiane Balasko qui double ce personnage.)

Si Imelda Staunton est une nouvelle venue dans l’univers de Mike Leigh, le cinéaste britannique s’est encore une fois entouré de plusieurs de ses fidèles : Stan, le mari de l’héroïne, est interprété par Phil Davis, qui jouait le rôle du coursier dans High Hopes et était également à l’affiche de Secrets et mensonges (1988). L’imposant Peter Wight, qui incarne l’inspecteur Webster a été vu dans Naked (1993) et Secrets et mensonges. Quant à Jim Broadbent, ici en juge, il avait décroché le Prix d’interprétation à Venise pour Topsy-Turvy, dans lequel il jouait le rôle de l’auteur d’opérettes W.S. Gilbert. On retrouve également dans Vera Drake une grande partie du casting du précédent film de Leigh, All or nothing, de Heather Craney à Daniel Mays en passant par Alex Kelly. Le chef-opérateur Dick Pope et le compositeur Andrew Dickson sont eux aussi des collaborateurs privilégiés du réalisateur.

Tout comme sur All or nothing, le producteur exécutif de Vera Drake est le Français Alain Sarde, qui finança plus d’une centaine de films, signés par la crème des cinéastes français, de Techiné à Godard en passant par Sautet, Tavernier, Doillon ou encore Blier. Ce n’est pas la première fois qu’il produit l’oeuvre d’un cinéaste étranger : ses deux premiers films en tant que producteur associé ont été tournés en France par l’Italien Ferreri (Touche pas à la femme blanche, 1974) et le Polonais Polanski (Le Locataire, 1976), qu’il retrouvera pour Le Pianiste, Lunes de fiel et Oliver Twist. En 1997, il exerce cette même fonction sur Ouvre les yeux, le deuxième opus de l’Espagnol Amenabar. En 2000, il produit le premier film que tourne hors de son pays l’Autrichien Michael Haneke, Code inconnu, et c’est grâce à lui que l’Américain David Lynch parviendra à tourner pour le cinéma Mulholland Drive, initialement destiné au petit écran. La même année, et toujours aux Etats-Unis, Sarde produit Speaking of sex de John McNaughton (inédit en France). Il collabore ensuite avec Emir Kusturica (La Vie est un miracle).


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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