Samedi 21 septembre 2019 à 20h30
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Stéphane Batut – France – 2019 – 1h46
Juste erre dans Paris à la recherche de personnes qu’il est seul à voir. Il recueille leur dernier souvenir avant de les faire passer dans l’autre monde. Un jour, une jeune femme, Agathe, le reconnaît. Elle est vivante, lui est un fantôme. Comment pourront-ils s’aimer, saisir cette deuxième chance ?
Notre article
par Bruno Precioso
Il est des métiers du cinéma qui maintiennent durablement dans l’ombre, aussi brillante soit la filmographie qu’on affiche au terme de sa carrière… Stéphane Batut, spécialiste du visage à donner à un rôle, peut-être même à un film, a attendu cette année pour faire sortir le sien de l’ombre. Pour ce jeune réalisateur de 51 ans amoureux d’Audrey Hepburn et pétri de cinéma français et américain des années 50, ce sont paradoxalement les lieux qui commandent plus souvent que les personnages ; les lieux qui racontent des histoires, et suscitent le vagabondage de l’esprit. L’idée que les espaces sont inspirants le suit depuis ses études de cinéma, au tournant des années 1980 et 90. En tant que directeur de casting depuis plus de 20 ans, d’abord en charge de figurants puis des seconds rôles, il se tient prudemment éloigné de la réalisation qui le tente tout en l’inquiétant. Sur les tournages de Xavier Beauvois, d’Arnaud Desplechin ou de Claire Denis il mesure l’ampleur de la tâche, apprend le métier, apprend surtout la patience. Ce n’est qu’après avoir assisté les documentaristes Nicolas Klotz et Claire Simon (dont nous avions proposé voici deux saisons le très beau Le bois dont les rêves sont faits) que Stéphane Batut a pensé pouvoir se risquer à la lumière… Ses premières réalisations sont donc placées sous le signe du documentaire : Le Chœur recueille en 2007 les confidences politiques de la clientèle d’un café dans un entre-deux tour des présidentielles ; puis suit Le rappel des oiseaux, un moyen-métrage tourné en 2009 autour d’un rituel funéraire tibétain qui attendra 6 ans pour sortir sur les écrans. L’accouchement, pour lent qu’il fut, n’a pas découragé le réalisateur qui a choisi la fiction pour son premier long – sans pour autant renoncer tout à fait à l’univers documentaire. C’est dans son passé de chasseur d’acteurs que Stéphane Batut a appris à entremêler les registres, sans s’interdire de nourrir son écriture des rencontres d’acteurs et des portraits de casting qui ont inspiré le film bien avant les premières lignes de scénario. A la demande de Claire Simon en effet, Stéphane Batut avait appris à noter les mots exacts de tous les comédiens, professionnels ou non, afin de conserver « l’inconscient de la langue ». Méthode qu’il a fait sienne puis étendue à tous ses castings suivants. La galerie de portraits révélés lors de ces entretiens au fil des tournages pour d’autres a construit pour ce film en attente les premiers dialogues, donné chair aux premiers personnages… et même orienté le casting puisque chaque fois que cela a été possible les mots relevés dans les carnets de Stéphane Batut ont été restitués à leurs auteurs véritables. Entre ces noyaux de souvenirs s’est établi le récit, tranche par tranche. Le travail a commencé avec les deux personnages centraux une fois établi le délicat mariage entre comédiens professionnels et amateurs, à commencer par celui du débutant Thimothée Robart avec Judith Chemla, révélée voici 6 ans dans Camille redouble, et actrice aguerrie à 34 ans, avec 21 films à son actif.
Le cinéma comme sport de combat
Une telle hybridation représente la prise de risque minimale pour quelqu’un dont la quête de singularité chez les personnages est une seconde nature, et qui est entré dans le cinéma professionnel en 1995, en prenant en charge le casting de N’oublie pas que tu vas mourir de Xavier Beauvois ; le film (récompensé comme ce premier opus de Stéphane Batut du prix Jean Vigo) semble déjà suggérer, avec 25 ans d’avance, les problématiques existentielles propres au jeune réalisateur. Tout au long de sa carrière et de ses choix de films, on retrouve d’ailleurs les enjeux de fonds et de forme que porte ce Vif-argent, souvent plus discrètement que les documentaires qui le précèdent, mais avec une grande intégrité : actualité, sensibilité, épaisseur des personnages engagés dans des questions vitales, ancrage dans un réel souvent cru. C’est aussi ce que dit le compagnonnage du directeur de casting avec des réalisateurs tels que Claire Simon, souvent installés dans le monde du documentaire où la confrontation est la règle du jeu. Pour Paria, de Nicolas Klotz (2001), Stéphane Batut avait ainsi affronté la production pour imposer un SDF difficilement contrôlable dans le 2e rôle principal qui était précisément celui d’un sans-abri… Si le parti pris d’un film comme Gomorra, entièrement tourné par des comédiens non-professionnels eux-mêmes pris dans la nasse des problématiques mafieuses (voire « acteurs » du réel à l’occasion) constitue donc une forme d’idéal pour notre réalisateur, ce Vif-argent reste prudemment au bord de la démarche documentaire plus intégrale qu’il a parfois mise en pratique en tant que directeur de casting. On sent pourtant qu’elle l’attire ; les origines du projet sont assez mêlées au Rappel des oiseaux qui hanta Stéphane Batut des années avant que sa sortie en salle ne dégage la voie à la fiction (et lui inspira probablement son rêve d’un casting animalier envisagé comme un horizon fantasmatique).
Une poétique de la ville, ou l’univers du fantastique
Autant que la sélection des visages et des voix, la détermination des lieux de tournage constitue pour la création de Vif-argent un point crucial, puisqu’en bon représentant de l’école documentaire il n’était pas pensable pour Stéphane Batut de tourner à partir d’un décor, c’est-à-dire d’un univers d’opérette. Et puisque l’envers du décor relève ici d’une éthique autant que d’une poétique, la ville de Paris assume le rôle de personnage principal de l’aveu même du réalisateur, à l’origine du scénario tout du moins… Là encore, un rapport au réel très personnel s’impose puisque l’essentiel de Vif-argent est tourné dans le quartier des Buttes-Chaumont où vit Stéphane Batut ; univers familier qu’il prend soin de peupler de ses occupants réels : musiciens de rue, chanteur du métro, commerçants véritables habitent l’espace bien plus que de simples figurants, et leur voisin réalisateur leur concède des espaces – leurs espaces propres à l’intérieur de son film, auxquels ils apportent leur chair… Le parc, centre de gravité du film, intéressait Stéphane Batut pour sa « (…) sorte d’excès romantique qui peut se prêter au fantastique. » comme d’autres endroits du quartier qui pouvaient assumer la dimension fantastique de Vifargent : « L’immeuble d’Agathe, le canal, les Buttes-Chaumont… Vers l’avenue de Flandres, il y a un pont sur lequel passe le chemin de fer de la Petite Ceinture et qui est éclairé la nuit par des fluos violets. C’est là que s’est confirmée l’idée d’assumer une lumière de plus en plus artificielle vers la fin du film ». Ce premier film est donc résolument multiple et embrasse toutes les envies de son éclectique réalisateur, transmet son énergie sans retenue, sans se soucier non plus de poser en manifeste de cinéma. Les grands anciens auxquels Stéphane Batut choisit finalement de rendre hommage sont d’ailleurs reliés entre eux par un certain rapport aux couches qui constituent le réel mais si différents les uns des autres : ainsi Georges Franju, George du Maurier ou Sacha Guitry projettent leur ombre sur cette eau qu’il faut, comme le veut le proverbe chinois, boire en pensant à sa source.
Sur le web
Selon le réalisateur, Vif-Argent « évoque un éclat furtif, quelque chose qui étincelle dans la nuit comme ce que vivent soudain Juste et Agathe dans le film. Puis le vif-argent c’est aussi le nom du mercure utilisé comme principe actif en alchimie, un agent révélateur. Et Mercure c’est aussi le messager des Dieux dans la mythologie, celui qui conduit les âmes aux enfers« .
Vif-Argent est le premier long métrage de fiction de Stéphane Batut. Avant de passer derrière la caméra, il a longtemps été directeur de casting pour les films de Claire Denis, Serge Bozon ou encore Xavier Beauvois. Assister ces metteurs en scène a été une véritable école pour Batut mais a également eu tendance à modérer ses désirs de réalisation. C’est après avoir travaillé avec Nicolas Klotz ou Claire Simon, qui ont une approche documentaire de la fiction, que Batut s’est lancé dans la réalisation de deux documentaires : Le Choeur et Le Rappel des oiseaux.
C’est son expérience en tant que directeur de casting qui a inspiré à Stéphane Batut Vif-Argent. Il s’est en effet nourri des souvenirs que lui racontaient les acteurs lors des castings : « L’idée était de réaliser un portrait de la ville à travers ces gens rencontrés au hasard des rues. J’ai compris ensuite que celui qui pourrait faire le lien entre ces souvenirs serait une sorte d’alter-ego qui aurait un caractère fantastique. Quand j’écoutais ces histoires, j’y voyais quelque chose de fatal, comme une esquisse du destin de ces personnes. Je voyais en eux, déjà, des fantômes, figures éminemment cinématographiques. L’histoire d’amour est venue ensuite« .
Le réalisateur connaît bien le quartier des Buttes-Chaumont puisqu’il y vit. Le parc, qui en est le centre de gravité, est « dans une sorte d’excès romantique qui peut se prêter au fantastique. » Lors des repérages, le réalisateur a remarqué d’autres endroits du quartier qui revêtaient une note fantastique : « l’immeuble d’Agathe, le canal, les Buttes-Chaumont… Vers l’avenue de Flandres, il y a un pont sur lequel passe le chemin de fer de la Petite Ceinture et qui est éclairé la nuit par des fluos violets. C’est là que s’est confirmée l’idée d’assumer une lumière de plus en plus artificielle vers la fin du film« .
Il s’agit du premier film de Thimotée Robart, repéré par le directeur de casting Alexandre Nazarian lors d’un casting pour un projet d’Eugène Green. « Il n’avait pas été retenu au final. Il n’avait jamais joué. Thimotée avait une drôlerie naturelle, de la sensualité, et puis il était très juste, avait le bon degré d’innocence et d’insouciance qui correspond au personnage« , raconte le réalisateur.
Georges Franju, George du Maurier et Sacha Guitry sont remerciés dans le générique de fin. La dernière phrase du film est d’ailleurs une citation de la dernière phrase de Donne-moi tes yeux de Sacha Guitry. Le film a été présenté à l’ACID au Festival de Cannes 2019 et a été lauréat du prix Jean Vigo 2019.
« Stéphane Batut crée un film poétique et attachant, mais surtout très intelligent, notamment dans son interaction entre le monde des vivants et des morts. Les deux univers s’entrechoquent régulièrement, se croisent sans se toucher, se rencontrent sans le savoir, s’aiment sans en avoir conscience. Le cinéaste met en scène des situations adroites pour exprimer cette réalité : les fantômes peuvent interagir mais se cachent pour ne pas alarmer les vivants. Cette règle s’applique à merveille quand Juste doit prendre un taxi et monte seulement quand les vivants ouvrent la porte, se faufilant discrètement à côté d’un inconnu dont il ne peut voir le visage. C’est donc également un univers frustrant, presque punitif, quand Juste déambule dans les rues parisiennes à la recherche de son amour perdu, mais qu’il ne peut voir aucun des vivants, qu’il ne peut pas les toucher, leur parler, où même leur montrer sa propre existence.Vif-Argent est finalement une belle vision de l’amour et de la mort, deux notions aux antipodes l’une de l’autre, qui animent le cinéma depuis la nuit des temps. Entre cruauté et beauté, entre tristesse et générosité, le film oscille entre deux univers, deux lectures du sentiment amoureux…Subtilement interprété et brillamment écrit, Vif-Argent est un sérieux représentant du cinéma français indépendant. » (Mondocine.net)
« Pour son premier long métrage, Stéphane Batut réalise avec Vif-argent une œuvre d’une grande force émotionnelle, d’un éclat poétique qui raisonne dans la sensibilité du spectateur. Ce film fantastique relevant d’un cinéma d’auteur intelligent offre également de magnifiques rôles aux acteurs Thimotée Robart et Judith Chemla, tous deux magnifiques. Film de fantômes, d’âmes errantes, de disparition et d’oubli, d’invisibilité également, Vif-argent s’inscrit dans la longue tradition d’un cinéma de genre auteurisant, celui de Jean-Paul Civeyrac (Fantômes, en 2001) ou de Campillo avec Les revenants en 2004. Le rythme est lent, posé, réfléchi, infiniment sensoriel, tout en conservant le mystère inhérent à ces rencontres fantastiques entre morts et vivants.
Le cinéma est beau, beau comme son acteur principal, le jeune Thimotée Robart formidable de désincarnation dans un premier rôle en retrait du monde, qui va jusqu’à travailler sa diction pour marquer son retrait et son incompréhension alors que l’oubli le gagne. Chargé d’accompagner les êtres fraîchement morts, vers un au-delà curieusement administratif, il recueille de beaux souvenirs qui donnent une vraie puissance émotionnelle, humaine et sociale au film.
Le réalisateur Stéphane Batut qui instruit le fantastique d’une mission romantique saisissante, avec de magnifiques scènes de colère, de frustration et de fébrilité, n’en oublie pas toute la dimension humaine de cette mort, s’intéressant à des êtres de la diversité ethnique, de la diversité d’itinéraire, puisqu’à travers ces trépas, c’est bien aux vivants de notre société plurielle dont il s’intéresse. Vif-argent, avec son titre de lumière, est d’un éclat diamantin, celui d’une nuit argentée où les lumières vives et contrastées subjuguent. Le travail de la directrice de photographie Céline Bozon est remarquable, et participe à élever cette première proposition de cinéma en incontournable pour tous ceux qui chérissent les propositions de cinéma alternatives. Nous n’oublierons pas de mentionner la présence magnétique de Judith Chemla au générique. Cette actrice, doublement nommée aux César, ne craint jamais de prendre des risques, de se mettre à nu dans ses sentiments vertigineux. Elle apporte énormément à ce film phosphorescent, qui nous fait vibrer dans ses nuits de rencontres, ses voyages vers la lumière et l’inexorable détachement du passé. Stéphane Batut a réalisé une première œuvre fine et intelligente aux promesses magnifiques. » (cinedweller.com)
« …La musique est très présente dans le film. On n’échappe pas à la traditionnelle scène de danse des comédiens, sinon qu’au lieu de s’installer dans une boîte de nuit, la caméra choisit un parc tout à fait éclectique pour devenir une piste de fête. A ce moment d’ailleurs, Stéphane Batut donne la voix à une chanteuse absolument touchante. En ce sens, Vif-argent constitue une sorte de passage de témoins. Le film donne en effet l’opportunité à ce jeune Thimotée Robart d’exprimer son talent indéniable de comédien, et à toute une série de jeunes interprètes d’engager une chanson. Le cinéaste lui-même s’essaye à la mise en scène, avec la pudeur et la maladresse des premiers essais. Il n’empêche qu’il est allé au bout de son projet, et que le spectateur ressort, certes avec le sentiment d’une œuvre trop chargée, mais aussi avec celui qu’il y a, en tout état de cause, un avenir certain dans la carrière de ce cinéaste, ne serait-ce que du fait que l’auteur a été récompensé par le prestigieux Prix Jean-Vigo pour ce film. » (avoir-alire.com)
« Chronique d’un amour impossible dans un Paris quasi fantomatique, nocturne et coloré, le premier film de Stéphane Batut, ancien directeur de casting, est une petite pépite de délicatesse. Point besoin d’effets spéciaux ni de maquillage outrancier pour introduire du fantastique dans cette jolie histoire de morts-vivants qui n’est pas sans rappeler le réalisme poétique du cinéma d’avant-guerre. Le réalisateur revendique d’ailleurs la double inspiration de Georges Franju et Sacha Guitry dans cette traversée de la capitale, à travers les souvenirs de ses habitants, et dans le jeu sur le visible et l’invisible créé par de jolis effets de transparence – notamment une magnifique scène d’amour – dont il sait ne pas abuser. D’abord hésitant et un peu emprunté, le film, couronné par le prix Jean-Vigo, parvient peu à peu à affirmer sa poésie et son lyrisme romantique qui en font toute sa singularité. » (la-croix.com)
Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso
Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.
Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury). Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici