Walkabout



Mardi 20 Avril 2021 à 20h00

Espace Magnan – Les Mardis du cinéma 

Film de Nicolas Roeg – Australie/United-Kingdom – 1971 – 1h40 – vostf

Deux adolescents Australiens, un frère et une sœur, se retrouvent abandonnés dans le bush. Survivant tant bien que mal dans le désert hostile, ils rencontrent un jeune Aborigène en plein « walkabout », une errance initiatique rituelle.

Chers amis cinéphiles,

Nous sommes heureux de pouvoir vous proposer une projection avec présentation et débat grâce à l’invitation lancée à Cinéma Sans Frontières par les Cinémardis (Espace Magnan) dans le cadre de leur programmation sur la plate-forme « La vingt-cinquième heure ». Je serai en compagnie de Marie-France Leccia.

Invitation que nous avons acceptée avec plaisir, d’autant qu’il s’agit du film culte de Nicolas Roeg: Walkabout (1971)

Comment accéder à la séance:

– Cliquer sur le lien suivant: https://sallevirtuelle.25eheure.com/seance/8559
– Acheter sa place (3,50€) sur la plate-forme la 25ème heure pour un horaire précis comme au cinéma, à rebours de la vague de liberté virtuelle du numérique: n’importe où, n’importe quand, quand ça nous chante.

Ce sera donc le Mardi 20 avril à 20h. Et nous nous sentirons déjà un peu moins seuls. Ce n’est pas rien par ces temps de fragmentation, d’atomisation tous azimuts qui nous frappent de plein fouet.

Notre article

par Josiane Scoleri

Walkabout est un film dont on ne sort pas indemne. C’est un film mille-feuilles qui se lit simultanément à de multiples niveaux et c’est sans doute ce qui fait toujours sa force, cinquante ans après sa sortie.
Nicolas Roeg tisse ces différentes trames par un art consommé du montage et de l’ellipse, en privilégiant à tout moment les impressions sensorielles, visuelles et sonores, plutôt que les dialogues.
Le film est certainement d’abord un hymne à la Nature avec un grand N où la fascination va souvent de pair avec un sentiment d’inquiétude, voire de menace diffuse. Les immenses paysages arides du centre de l’Australie, mais aussi cette faune unique au monde, tellement étrange, renvoient l’humain à son insignifiance et à sa vulnérabilité. Et ce d’autant plus que le film met en regard de cette puissance tellurique nos pitoyables réalisations d’apprentis sorciers: nos villes formatées, les prouesses technologiques qui finissent par nous asservir, la perte de sens de nos existences.
Il suffit pour cela au réalisateur de quelques minutes dans les scènes d’introduction et de conclusion qui enserrent le corps principal du récit. Le cadre est posé. Il s’avère implacable.
N’oublions pas au début du film le suicide inexpliqué du père et son désir de mort envers ses propres enfants.
La mise en scène de Nicolas Roeg procède par contrastes et juxtapositions. Le mur de briques du premier plan et le travelling latéral qui aboutit au désert sans transition ni coupure, pour ne citer qu’un exemple. Ou encore la musique de didjeridoo sur des images de foules anonymes et de centre commercial sans âme.
Mais le cœur du film, c’est bien sûr la rencontre entre le jeune garçon aborigène et les deux enfants blancs, une adolescente et son petit frère. Ils n’auront jamais de nom pendant toute la durée du film et apparaissent au générique de fin comme: the black boy, the white girl, the white boy. Ce n’est pas un détail, loin de là. Nicholas Roeg nous parle ce faisant de l’improbable face à face entre deux mondes qui auront tant de mal à communiquer.
Il est d’ailleurs significatif à ce propos que le petit garçon passe beaucoup plus facilement que sa grande sœur par dessus le langage parlé, en mimant spontanément ce qu’il veut dire pour se faire comprendre du jeune aborigène. Il est encore dans l’enfance, alors que sa sœur a déjà intégré les codes de son monde et les inhibitions qui vont avec.
Au-delà de ce qui aurait pu être une confrontation simpliste, rousseauiste pourrait-on dire, entre l’aborigène capable de survivre dans cet environnement hostile (et c’est tout le propos du Walkabout chez les Aborigènes) et les deux pauvres Occidentaux complètement démunis qui seraient bien vite morts de soif et de faim sans lui, le film a la grande intelligence de développer une autre ligne mélodique, plus subtile où le frémissement des corps en devenir de l’adolescence se superpose à la pulsion vitale indispensable à la survie.
C’est très certainement une des grandes réussites du film de mêler intimement ces deux fils narratifs qui fonctionnent comme des vases communicants. Au fur et à mesure que les jours passent, que les trois personnages partagent des repas, des moments de détente ou de jeu, la proximité fait naître le trouble. Si le jeune homme accueille ce trouble avec fluidité, la jeune Anglaise s’en trouve considérablement déstabilisée.
Elle a souvent d’ailleurs des remarques étriquées où elle essaie de se raccrocher à ses préjugés: «Il ne comprend pas, il n’a sûrement jamais vu de Blancs avant nous, il n’a jamais eu de jouet».
Mais en même temps, ce moment ultime de l’enfance avant le grand basculement dans l’âge adulte est rendu plastiquement par des images d’un Eden dont on sait bien que personne ne retrouvera plus jamais la clef après l’avoir quitté.
Et c’est encore une autre strate du film éclatant dans la scène où la jeune fille se baigne nue dans un magnifique trou d’eau entre les rochers. La caméra est assez loin, discrète et respectueuse, révélant à la fois la beauté idyllique du site et la liberté du corps, non entravé, en union avec les éléments.
C’est le point culminant du récit. La croisée des chemins. Pour tous les protagonistes.
Entre temps, Nicolas Roeg aura glissé quelques scènes lourdes de sens sur les rapports entre colons et Aborigènes, sur le lien à la terre et au vivant.
Sans guère de commentaires discursifs, nous voyons comment un couple de Blancs fait commerce d’objets d’«artisanat» fabriqués en série par la population locale, des objets vides de sens qui ne correspondent plus à rien, si ce n’est à la logique touristique.
Il est intéressant de noter d’ailleurs que le jeune qui fait son walkabout ignore complètement la femme qui lui adresse la parole. Comme si elle était littéralement transparente.
De même, le frère et la sœur se retrouvent seuls lorsqu’ils explorent la mine abandonnée après s’être fait rabroués par le gardien qui règne comme un Cerbère sur ce site fantôme, propriété privée – ou plutôt spoliation- oblige.
Ne pouvaient manquer, malheureusement les chasseurs en safari, équipés de fusils à lunettes qui font un véritable massacre en quelques secondes.
Trois scènes qui tombent comme un couperet et qui apportent encore une autre dimension au film.
Une manière de nous dire crûment la réalité du monde environnant qu’on aurait sans doute tendance à mettre un peu entre parenthèses face aux aventures de nos 3 jeunes héros dans leur décor grandiose.
On en oublierait presque l’équipe de météorologistes, obnubilés par le décolleté de la seule femme de leur équipe ! Ceux-là ont l’air inoffensif et sont plus ridicules qu’autre chose, mais ils témoignent eux aussi de leur main mise sur ce territoire.
Toutes les scènes où apparaissent les colons, blancs par définition, disent en creux à quel point leur vision du monde se situe aux antipodes de celle des Aborigènes : les statuettes rituelles dévoyées en objets de pacotille, la terre, objet de toutes les vénérations, éventrée et laissée à l’abandon, les animaux tués sans nécessité et même l’observation du ciel et des éléments, devenue impossible sans la médiation de la technique.
Nicolas Roeg joue souvent du montage alterné pour faire se télescoper des images qui vont immanquablement créer des associations chez le spectateur : par exemple, la stupéfaction des enfants qui explorent un trou d’eau où pousse un arbre à fruits rouges et celle des Aborigènes qui découvrent la carcasse calcinée de la voiture du père. Ou encore les plans sur les branches sinueuses d’un eucalyptus où les adolescents vont se balancer.
Il faut encore citer ces nombreux plans de coupe avec toutes les sortes de lézards géants, de perroquets multicolores, d’aigles ou d’insectes. L’impact visuel est très fort. Mais au-delà de cette étrangeté qui nous saute aux yeux, à nous Occidentaux, souvenons-nous que ces animaux ont tous fonction de totem pour les Aborigènes qui en ont une connaissance intime.

Et puis il y a la chaleur. Écrasante, propice aux hallucinations. Le soleil envahit souvent l’image tel une boule de feu et la bande son regorge à ces moments-là de distorsions, de grésillement et d’effets larsen. Il faudrait sans doute dire un mot à ce propos de la petite radio portable dont la voix off, quand elle surgit, relie les enfants blancs à leur monde par toute une série de platitudes (recettes de cuisine, publicités). On comprend que le réalisateur ne laisse rien au hasard. Tout fait sens.
Comme font sens les peintures corporelles et la danse rituelle par lesquelles le jeune homme noir tente de faire comprendre ses sentiments à une jeune fille qui a trop peur d’elle-même et de ce qu’elle pourrait ressentir. Il reste à l’extérieur, elle se barricade à l’intérieur -au propre comme au figuré. Cette scène donne encore une fois lieu à des images splendides jouant de la lumière en extérieur et de la pénombre dans la maison. N’oublions pas que Nicolas Roeg a commencé sa carrière au cinéma comme chef op et qu’il a continué à tenir ce rôle dans tous ses films.
Dans Walkabout, son premier film en solo, il fait preuve qui plus est d’un sens du cadre et de la composition des plans proprement stupéfiant, le corps des acteurs, formidables de justesse et de naturel tous les trois, structurant l’espace en autant de tableaux.
Toutes les ressources du cinéma sont utilisées à plein, et c’est bien à cela qu’on reconnaît un grand film.

Sur le web

Hypnotique. C’est l’effet que produit la « balade sauvage » à laquelle nous convie Nicolas Roeg dans Walkabout, méditation panthéiste et cruelle sur la société occidentale et les rapports troublés entre l’homme et la nature. Après quelques plans furtifs d’une métropole bruissante, où l’activité humaine semble incessante, le cinéaste arrache à la « civilisation » une adolescente et son petit frère pour les projeter, seuls, dans une vaste étendue désertique. C’est alors que leur trajectoire de survie commence – ou plutôt, leur réapprentissage de la vie. Car il s’agit bien du parcours initiatique de deux enfants qui, à travers leur odyssée sauvage et leur rencontre avec un jeune Aborigène, vont peu à peu se réapproprier le monde. Les images de ces hommes affairés, au début du film, puis, bien plus tard, de ce boucher qui coupe mécaniquement la viande ou de ces scientifiques lorgnant une jeune femme d’un œil concupiscent sont comme annonciatrices de l’inexorable aliénation à laquelle la soi-disant modernité destine nos deux jeunes protagonistes : tels Robinson Crusoé face à Vendredi, l’adolescente et le petit garçon abandonnent leurs réflexes occidentaux, se débarrassent de leur uniforme d’écolier et finissent même par se défaire de leur radio, ultime lien qui les rattachait encore à la société contemporaine. La séquence où la jeune fille, qu’on a découverte corsetée dans sa jupe et son costume, s’ébat, nue, dans un lac d’eau claire est emblématique de sa libération physique et mentale. Mais Walkabout n’est pas un hymne pastoral et candide à la Nature. Malgré la majesté des paysages et la chaude lumière qui vient caresser les personnages, Nicolas Roeg filme les dangers qui guettent les enfants à leur insu, à l’instar de Charles Laughton dans La nuit du chasseur : ici un python, là un scorpion, plus loin encore un étrange animal qui en dévore un autre et, bien entendu, l’omniprésence d’un soleil implacable brûlant tout sur son passage. Face à cette nature parfois hostile, le jeune Aborigène se révèle un guide bienveillant avec les deux Occidentaux. Et surtout, le cinéaste montre qu’entre êtres humains, la communication peut s’établir, en dépit de la barrière de la langue. Dans cette magnifique relation qui se tisse entre les trois protagonistes, le petit garçon est un médiateur poétique, dans la grande tradition du cinéma fantastique où les enfants assurent le lien entre le monde réel et le fantasmagorique. Décidément, Walkabout n’en finit pas de dévoiler ses merveilles…

«Pour sa première réalisation en solitaire, Nicolas Roeg, déjà notoirement réputé dans le milieu du cinéma britannique comme monteur, caméraman ou surtout directeur de la photographie, se rendit en Australie pour y adapter (avec le dramaturge Edward Bond, auteur d’un traitement d’une quinzaine de pages) le roman The Children, écrit sous le pseudonyme de James Vance Marshall par Donald G. Payne. Si la grande ligne directrice de l’intrigue de ce roman de littérature jeunesse est conservée par Roeg et Bond (deux enfants perdus dans le bush rencontrent un adolescent aborigène en plein « walkabout »), l’esprit en est lui substantiellement modifié. En effet, comme son titre original l’indique, le roman de Marshall s’attarde avant tout sur le parcours initiatique des deux enfants, livrés à eux-même suite à un accident d’avion, et qui apprennent grâce à leur impromptu guide à découvrir les dangers et les trésors de la nature pour y survivre. L’essentiel du film est manifestement ailleurs, et comme souvent, les intentions se révèlent dans les différences voulues par les adaptateurs : alors que la société « occidentale » est totalement absente du roman, elle encercle le film de Nicolas Roeg par un prologue et un épilogue signifiants; de plus, les enfants ne se retrouvent pas seuls dans le désert par « accident », mais s’y trouvent abandonnés par le suicide de leur père ; enfin, alors que les relations avec l’enfant aborigène sont dans le roman essentiellement axées sur l’initiation et la découverte de la nature, le film y ajoute de manière appuyée une dimension « découverte de soi », érotisation des corps et perte de l’innocence comprises. Pour résumer, et avant donc d’entrer dans le détail, il est donc évident que loin du «  détruit et corrogentil » périple initiatique imaginé par Marshall, le film de Roeg dresse un dur portrait de la société des hommes, quimpt ses enfants comme ceux qui lui sont étrangers.

Lorsque Nicolas Roeg entame son projet, la question de la place des aborigènes dans la société australienne est donc particulièrement d’actualité. Par ailleurs, son film occupe une place importante dans l’histoire du cinéma australien par la manière dont il traite le personnage même de l’aborigène : jusqu’alors, la place qui lui était réservée était limitée à celle du pisteur primitif ou à l’indigène menaçant… et était d’ailleurs la plupart du temps interprété par des comédiens blancs au visage peint. Le fait d’accorder une place aussi essentielle à un protagoniste aborigène (incarné par un comédien lui-même natif) et de consacrer une bonne partie de l’intrigue à un aspect aussi important de leur culture était donc assez révolutionnaire. A ce sujet, laissons l’écrivain-ethnologue Bruce Chatwin nous résumer le principe du Walkabout tel qu’il le décrit dans son indispensable Chant des pistes : « Je ne me souviens pas du moment où j’ai entendu l’expression Walkabout pour la première fois. Mais il m’était resté l’image de ces noirs « civilisés » qui, un jour, travaillaient heureux dans une station d’élevage et qui, le lendemain, sans un signe d’avertissement et sans bonne raison, prenaient leurs cliques et leurs claques et disparaissaient dans la nature. Ils abandonnaient leurs vêtements de travail et partaient ; pendant des semaines, des mois voire des années ; ils traversaient à pied la moitié du continent, parfois uniquement dans le but de rencontrer un homme, puis ils revenaient comme si rien ne s’était passé… Ce que les Blancs avaient l’habitude d’appeler le walkabout, le « voyage à travers le pays » était, en pratique, une sorte de bourse-télégraphe de brousse, qui permettait de faire circuler des messages entre des gens qui ne se voyaient jamais et qui pouvaient mutuellement ignorer leur existence. » Cette composante culturelle et mystique du voyage des deux enfants, qui dans son illustration flottante permet à Nicolas Roeg de mettre en place un certain nombre de figures qui deviendront récurrentes de son style atypique, n’est cependant pas ce qui semble intéresser le plus le cinéaste, et le moins que l’on puisse dire est que Walkabout, s’il a le mérite de poser un regard sur le peuple aborigène, n’est à son égard ni indulgent ni optimiste. Dans sa description des aborigènes (et personnage principal exclu), le film se concentre ainsi surtout sur deux des travers les plus notoires dans lesquels sont tombés les aborigènes au contact du monde occidental, à savoir l’alcoolisme et le commerce folklorique, avec ces objets manufacturés « genuinely australian ». Walkabout n’est donc pas un film pro-aborigène, et on peut même douter qu’il soit « pro » quoi que ce soit, car là n’est pas son propos : le regard est froid, et oscille entre une forme implacable de darwinisme (l’inadaptation du mode de vie aborigène les voue à la disparition) et une lucidité guère plus complaisante avec la société contemporaine…Walkabout demeure une œuvre assez unique, porteuse d’un regard singulier et toujours énigmatique…Plus qu’une simple randonnée donc, une expérience envoûtante sur des routes peu empruntées, entre anthropologie et mysticisme, qui, si elle peut laisser sur le bord de ses chemins de traverse, ne risque pas de laisser son spectateur indifférent.» (dvdclassik.com)

«1971 est une année particulière pour le cinéma australien. Elle voit naître deux films d’exception pour ce grand pays, Wake in fright de Ted Kotcheff, et Walkabout de Nicolas Roeg. Ces deux long-métrages résonnent comme deux définitions parfaites du continent austral et ont pour particularité d’avoir été réalisés par des étrangers, Roeg étant anglais et Kotcheff canadien. Leur regard sur cette terre encore mystérieuse pour les occidentaux est un coup de tonnerre et une fondation pour ce cinéma national passionnant à plus d’un titre. Walkabout est peut être encore plus emblématique en cela qu’il révèle un visage, un corps, qui ne cesseront de hanter les films australiens, celui de David Gulpilil, âgé de 17 ans au moment du tournage…Dans ce film Roeg fustige très clairement l’ingérence du colonisateur anglais, qu’il représente lui-même d’une certaine manière, brisant l’initiation du personnage de Gulpilil, à jamais bouleversé par cette rencontre imprévue qu’il n’arrivera pas à dépasser. Ces images de son peuple, presque subliminales, habitant les oripeaux de la vie occidentale dans une décharge de voitures, sont déchirantes…Avec une mise en scène syncopée et poétique, Nicolas Roeg a réussi une charge extrêmement puissante contre la volonté normative implacable de l’occident. C’est ici un monstre qui broie les peuples et leurs cultures, pour imposer une économie de marché et des concepts économiques qui font abstraction de toute logique humaine. Le destin de la jeune fille, le fatalisme qui s’y attache, ainsi que le cynisme qui s’en dégage, font presque du film une tragédie tellement le sentiment de perte est lourd et douloureux. Au delà de ces considérations très politiques, Walkabout fait donc émerger un sublime acteur, qui brillera sur cinq décennies, dans des chefs d’œuvres tels que The last wave (1976) de Peter Weir, ou plus récemment Charlie’s country (2013) de Rolf de Heer. A bien des égards David Gulpilil est devenu un des visages les plus importants du cinéma australien en général, et des aborigènes en particulier. Il demeure le plus bel ambassadeur d’un art du bout du monde trop peu célébré et trop peu mis en lumière.» (lebleudumiroir.fr)

«Nicolas Roeg pourrait présenter une vision idyllique du Paradis perdu avec ce nouvel Adam et cette nouvelle Eve élevant le premier enfant d’un nouveau monde, comme une rencontre rêvée entre deux civilisations menant à la renaissance. Mais il ne se fait nulle illusion quant au retour à un Eden qui somme toute n’aura jamais existé et n’embellit jamais la réalité. Malgré l’entente, le trouble, perçoit-t-on dès le départ les prémisses de l’échec. Significatif est à ce titre l’omniprésence du grésillement d’un poste de radio qui les suit, annonçant les risques de la fin de l’espèce ou bien des recettes de cuisine; de la ville au désert, métaphore très forte d’une civilisation qui colle aux pieds de ceux qui lui appartiennent, et dont la présence s’étend partout, sans possibilité d’y échapper. On ressent la peur s’installer progressivement chez la jeune fille, et son tiraillement entre sa fascination, son instinct de découverte, son appel à l’éveil des sens et de la sexualité, bref son désir, et son aspiration à revenir à la civilisation. Ainsi, revenant aux sources de l’humain, l’interrogation de Roeg et de Bond est d’ordre ontologique : malgré le retour à l’originel, à la pulsion, aux penchants naturels, le poids de l’éducation et de l’extraction reste tout puissant. Aussi tolérant soit le regard, il reste toujours des poussières de méfiance, de défiance et de condescendance vis-à-vis de l’autre, la tentation d’une hiérarchisation entre les races et les cultures, qui rend impossible l’affranchissement total du préjugé collectif. Et puis, au delà de toute considération sociale et critique, le cinéaste s’interroge tout simplement sur la notion même de différence de culture et de mécanisme intellectuel des deux héros, qui rend leur union impossible. C’est là qu’intervient une utopie dont Roeg n’est pas dupe, qui n’est pas sans évoquer les théories du « flower power » : cette relation éphémère ne repose que sur un fantasme poétique de vie idéale. Nul ne peut suffisamment s’adapter aux coutumes de l’autre. Aussi, Walkabout évoque la fin de l’enfance et l’entrée dans l’âge adulte, comme la fin de la beauté et l’entrée dans le quotidien. Il évoque les quelques traces de libertés et d’évasion vécues avant le retour à l’enfermement de la « vraie vie » Cette aventure au delà du temps en communion avec l’univers n’aura été qu’une courte parenthèse, désormais gravée comme un paysage mental, un fantasme impossible, un souvenir envolé, un instant à jamais révolu. Cet Eden devient la figure abstraite d’une humanité perdue, de « l’être » disparu ; il définit un paysage protégé et métaphorique appartenant au règne de l’Idée, comme signe d’une quête impossible du bonheur. Ce « moi » n’existe plus qu’en rêve, à l’intérieur de soi.» (culturopoing.com)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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