Water



Dimanche 17 décembre 2006 à 10h30 et 14h30 –  Festival de Cinéma Indien

Musée des Arts Asiatiques – 405 Promenade des Anglais – Arenas – Nice

Film  de Deepa Mehta – Inde – 2005 – 1h57 – vostf

Le film révèle la situation critique des veuves dans l’Inde coloniale de 1938, au moment où Gandhi arrive au pouvoir. L’intrusion d’une veuve de 7 ans dans leur « maison » va affecter la vie des autres résidentes et ébranler tout ce qu’elles s’étaient résignées à accepter.

Notre critique

Par Philippe Serve

Être veuve en Inde, voilà une situation guère enviable. Bien sûr, la situation s’est aujourd’hui améliorée (même si trop lentement) par rapport à ce qu’elle fut pendant 2000 ans. Traditionnellement, la femme indienne est rendue responsable – au sens moral, non pénal – de la mort de son mari. Si son époux décède avant elle, c’est qu’elle n’a pas agi comme il aurait fallu. Il lui faut donc expier, se racheter. Elle possède alors – comme le rappelle l’un des protagonistes du film de Deppa Mehta, un brahmane – trois possibilités. La première – la plus radicale – consiste à s’immoler sur le bûcher funéraire de son époux. Cette pratique -dite de la sati – a été interdite par le colonisateur anglais en 1829 et l’est toujours mais il arrive encore que de telles horreurs se produisent, environ une fois par an, dans les régions les plus pauvres et où la volonté sacrificielle de la veuve n’est que rarement établie. Autrement dit, il s’agit la plupart du temps de meurtres maquillés ou « comment se débarrasser d’une belle-mère encombrante« … Ces cas aujourd’hui exceptionnels deviennent, hélas, l’occasion de véritables cultes locaux et de sanctification de la victime, tournant par là-même le dos à la condamnation de tels actes. La deuxième solution est celle d’épouser le plus jeune frère du défunt mari. Beaucoup choisissaient (et choisissent encore) cette alternative. Du moins lorsque la famille la leur proposait. Car nombre d’entre elles profitaient de l’occasion pour se débarrasser de cette pièce humaine rapportée, de cette bouche de trop à nourrir qui pouvait empêcher les fils d’hériter. Ces femmes partaient alors dans des ashrams pour veuves où elles (sur)vivaient de charité et de mendicité en attendant la mort. Certaines avaient recours à la prostitution. C’est de ce milieu que parle Water. Les veuves devenaient donc des parias dont la seule présence pouvait porter le mauvais oeil (lors des naissances, par ex.). Le film de Deepa Mehta l’illustre à diverses reprises : une femme indienne normale doit aller se purifier après un contact physique et accidentel avec une veuve ; l’ombre de celle-ci ne doit pas effleurer un couple de mariés, etc.

De même que Fire, premier volet de la Trilogie des éléments présenté il y a quinze jours dans le cadre de ce Festival, aura eu l’immense mérite de provoquer le débat en Inde sur la condition de la femme mariée, d’avoir fait tomber les masques d’intolérance et, peut-être, d’avoir redonné courage à des millions de femmes, Water permet aux spectateurs du monde entier de découvrir ce qui fut une tragique réalité. Mais malgré, une fois de plus, une reconnaissance de qualités indéniables, l’auteur de ces lignes reprochera à la réalisatrice sa tendance à américaniser ses films, à les rapprocher sans cesse davantage des critères hollywoodiens : images trop léchées afin de redoubler le caractère exotique plaisant tant au public occidental et débouchant sur un hyper-esthétisme à la limite du guide touristique, également présent dans les plages musicales mi-indiennes / mi-new age, ou dans le choix de ses deux interprètes principaux (Lisa Ray et John Abraham), originellement top-models et visiblement choisis davantage pour leur plastique impeccable que pour leur pur talent. Autre tendance lourde – qui, il est vrai, se retrouve dans bon nombre de films indiens – ce penchant à toujours rajouter une couche dramatique supplémentaire à une histoire qui n’en appelait pourtant pas davantage (je fais ici référence à un épisode concernant la petite Chuyia). Il y a donc, sous un vernis d’apparente sobriété, un excès formel et un peu trop de sentimentalisme dont la fonction est toujours de forcer émotionnellement la main (et le cœur) du spectateur.

A l’inverse, on ne saura que louer la performance étonnante de naturel de la petite Sarala dans le rôle de Chuyia et celle de Sima Biswas dans celui de Shakuntala. Grande actrice de théâtre, révélé au cinéma par son interprétation de Bandit Queen (1994), son premier film, Sima Biswas vampirise littéralement l’écran à chacune de ses apparitions grâce à son immense talent. On retrouvera l’actrice (ainsi que John Abraham, la belle Nandita Das héroïne de Fire, et l’acteur anglais Terence Stamp) dans le prochain film de Deepa Mehta consacré à la tragédie du navire Kamagatu Maru qui, transportant 376 émigrants indiens, se vit refoulé en 1914 par les autorités canadiennes avant de devoir retourner à son point de départ et d’achever son odyssée dans le chaos et le sang.

Cinéma sans Frontières et son animateur tiennent à remercier le plus vivement possible le musée des Arts asiatiques et sa conservatrice, Marie Foissy, de les avoir associés, via ce Festival indien, à l’exposition Devi, Diva, les 7 voiles de Bollywood. Ces remerciements vont aussi très directement à Eliza Barrère ainsi qu’à tout le personnel du musée, sans exception, pour leur collaboration, leur accueil, leur disponibilité et leur gentillesse jamais démentis.

Sur le web

Water, co-production indo-canadienne, a rencontré un grand succès aux Génie Awards 2006 d’Ontario, au Canada. Le long-métrage a obtenu trois prix : pour sa photographie, sa musique et pour l’actrice Seema Biswas. Water a également été récompensé au festival de Valladolid (Prix de la jeunesse) et par les critiques de Vancouver, qui lui ont décerné les prix de la Meilleure actrice pour Lisa Ray et celui de la Meilleure réalisatrice pour Deepa Mehta.

Water est le troisième volet de la « trilogie des éléments » conçue par la réalisatrice Deepa Mehta, après Fire (1996) et Earth (1998).

Pour Water, la réalisatrice Deepa Mehta s’est inspirée d’une scène qu’elle a vécu alors qu’elle n’était âgée que de 10 ans. Cette image qui l’a poursuit depuis ces nombreuses années et qui l’a poussée à en faire un film est celle d’une veuve hindoue : « Pliée comme une crevette, le corps desséché par l’âge, les cheveux blanc rasés très court, elle a détalé à quatre pattes, cherchant furieusement quelque chose qu’elle avait perdu sur les marches du Gange. Sa détresse était visible tandis qu’elle cherchait parmi la foule des premiers pèlerins du matin. Personne ne lui prêtait attention, pas même lorsqu’elle s’est assise pour pleurer, n’ayant pas réussi à retrouver ce qu’elle avait perdu.« 

Depuis le début de sa « trilogie des éléments« , Deepa Mehta est considérée comme la principale ennemie des fondamentalistes hindous et de leur chef Bal Thackeray. Ainsi en 2000, un groupe d’émeutiers a attaqué et brûlé les plateaux de production de Water et a proféré des menaces de mort contre la réalisatrice. Le gouvernement indien a réprouvé publiquement cette atteinte à la liberté d’expression et a fourni 300 troupes, afin de protéger la production du film ainsi que Deepa Mehta. Cependant, les opposants de Water sont parvenus à mettre l’équipe du film sur écoute et ont continué à faire pression : des effigies de la réalisatrice ont été brûlées quotidiennement à travers le pays et la tentative de suicide d’un contestataire ont poussé le gouvernement à interrompre la production du film pour des raisons de « sécurité publique« . Malgré de nombreuses marques de soutien, comme celle de George Lucas, le gouvernement n’est pas revenu sur sa décision. Il aura fallu alors cinq ans pour que la production de Water soit relancée au Sri Lanka, sous un faux titre et dans le plus grand secret.

Suite aux nombreux et tragiques évènements qui ont entouré la production de Water, la réalisatrice Deepa Mehta a admis que les différents sujets abordés par son film reflétaient bien la réalité sociale et politique de l’Inde au moment du tournage : la montée en puissance des fondamentalistes hindous, leur intolérance… Mener à terme la production de Water s’est révélée être une mission personnelle pour la réalisatrice, aidée du producteur David Hamilton. Cependant, plusieurs changement ont dû avoir lieu, surtout dans le casting. Nandita Das a été remplacée par Lisa Ray et Seema Biswas a accepté de reprendre le rôle tenu à l’origine par Shabana Azmi.

Le réalisateur américain George Lucas (la saga Star Wars) a pris position en faveur de la réalisatrice Deepa Mehta lorsque les autorités indiennes firent tout pour bloquer la production de Water. De cette manière, il acheta une page entière du magazine spécialisé Variety pour exprimer son soutien et demander au gouvernement indien de reconsidérer sa décision afin de permettre à Deepa Mehta de terminer son film dans de bonnes conditions.

La réalisatrice Deepa Mehta, elle-même d’origine Hindoue, n’avait pas réellement conscience de la situation dans laquelle vivait ces veuves avant de commencer ses recherches pour le scénario de Water. Les préceptes selon lesquels ces femmes mènent leurs vies remontent à plus de 2000 ans.

Water prend place dans l’Inde de la fin des années 30, une période où les mariages d’enfants étaient encore très répandus. Les jeunes filles se retrouvaient souvent mariées à des hommes plus âgés pour des raisons essentiellement financières. Une fois que ces hommes décédaient, leurs jeunes veuves se retrouvaient alors enfermées dans des ashrams (institutions). C’est en lien avec cette terrible tradition que la réalisatrice à choisi son sujet : « J’ai décidé de suivre une jeune veuve de 8 ans, et de décrire sa vie dans un ashram où sa présence commence à perturber et affecter la vie des autres résidentes.« 

Les comédiennes Nandita Das et Aishwarya Rai, Miss Monde 1994, furent un temps pressenties pour incarner le personnage de Kalyani. C’est finalement Lisa Ray qui tient le rôle à l’écran.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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