Vendredi 08 mai 2009 à 20h30
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Gaston Kabore – Burkina-Faso – 1982 – 1h15 – vostf
L’histoire d’une enfant muet découvert dans la brousse et appelé Wend Kuuni, « le don de Dieu ».
Notre critique
Par Josiane Scoleri
Wend Kuuni, premier long-métrage de Gaston Kaboré nous place d’entrée de jeu dans ce qui sera l’une des thématiques fondamentales de son oeuvre: le questionnement sur l’identité et la recherche des racines comme préalable indispensable à toute projection dans l’avenir. C’est très certainement une problématique cruciale pour l’Afrique, mais elle est de toute manière lourde de sens pour tous les individus et sous toutes les latitudes.
L’histoire de Wend Kuuni n’est pas clairement datée, mais elle se situe quelque part au tournant du XIXième siècle, avant l’arrivée de l’homme blanc et les bouleversements apportés par la colonisation. Pour Gaston Kaboré, historien de formation, il est important que les Africains procèdent à ce retour sur leur propre histoire et qu’ils le fassent avec des mots et des images qui leur soient propres. Il en découle une forme du récit qui doit beaucoup à la structure du conte, avec des fils de narration qui s’entrecroisent, des flash-backs, des méandres et des ruptures qui nous donnent un montage d’une étonnante modernité.
Le cinéma africain a donné naissance à un genre cinématographique appelé « le film de village« , décrié parfois par certains sous l’appellation « film de calebasse« … (lisez film passéiste, nostalgique des traditions, montrant une Afrique idyllique, intemporelle, rejoignant les clichés occidentaux sur les « indigènes », etc…).
Il faut d’abord noter que si tant de films africains se situent dans la brousse c’est bien évidemment parce que ce sont les villages qui constituent encore et toujours l’armature de la société et un contrepoids souvent indispensable aux mégalopoles chaotiques qui se sont développées récemment. Mais surtout, il va se soi que ce travail de ré-appropriation de soi-même auquel sont appelés tous les Africains ne peut se faire sans remonter à la source et donc à la communauté rurale originelle.
Wend Kuuni participe de ce mouvement. Ce qui donne une description du mode de vie ancestral qui peut sembler paisible mais qu’on aurait tort, à mon avis, de considérer comme un paradis… Les valeurs de solidarité sont certes bien présentes. Wend Kuuni est accueilli dans sa famille d’adoption comme un « don de Dieu » (c’est le sens de son nom en langue Moré) et trouve assez facilement sa place dans son nouvel environnement, même s’il vient d’ailleurs et qu’on ne sait rien sur lui. Mais le film montre aussi les conflits et les tensions engendrés par les préjugés découlant directement de la tradition qui peuvent vite s’avérer un carcan mortel.
Sur ce point, Gaston Kaboré, tout comme un autre grand réalisateur de la première génération, Ousmane Sembene, se montre particulièrement sensible au sort réservé aux femmes tout au long de leur vie. Une enfance où l’éducation est généralement le privilège des garçons. Une adolescence marquée par un mariage souvent précoce et toujours arrangé. Une vie adulte où il n’y a de place que pour la maternité. Malheur à la femme stérile, et donc répudiée, mais aussi à la veuve qui n’a d’autre choix que le re-mariage dans la famille de l’époux décédé. Tout écart par rapport à ce parcours tout tracé (et plutôt universel- mis à part la toute récente exception occidentale) se paie très cher, le plus souvent par la vie. Tous les personnages féminins du film sont à ce titre tout à fait emblématiques. Que ce soit la mère de Wend Kuuni au destin tragique, sa jeune sœur d’adoption ou encore la jeune femme qui s’en prend à son vieux mari impotent.
Il est intéressant de noter d’ailleurs que Gaston Kaboré éprouvera le besoin de creuser davantage cette problématique en tournant quinze plus tard, avec les mêmes acteurs, un nouveau chapitre de la vie de Wend Kuuni, intitulé « Buud Yam » ( « l’herbe du lion » utilisée par les guérisseurs) où l’affrontement entre tradition et modernité prendra une autre dimension encore du fait de la confrontation avec l’homme blanc (médecine traditionnelle/médecine occidentale, magie-sorcellerie/rationalisme scientifique, superstitions, croyances, foi et préjugés de part de d’autre, etc…).
Sur le plan formel, il faut encore remarquer la très grande finesse avec laquelle Kaboré filme les paysages africains, majestueux en soit de part leur échelle et leur végétation. Ce qui frappe ici, c’est le rapport étroit entre l’homme et la nature, le sentiment d’appartenance et de respect mêlé de crainte qui empreint tous les gestes de l’homme face à son environnement. L’harmonie qui se dégage de ces plans n’est pas de l’ordre de la carte postale. On sent bien plutôt l’intimité d’un lien profond et vital auquel contribue très certainement le rythme du film.
Kaboré, dès ce premier film, s’écarte des schémas de narration traditionnels grâce à un montage qui privilégie les allers et retours et retarde souvent le moment de donner au spectateur les clés du récit. Ce qui introduit une manière de suspense dans la lenteur qui est très certainement l’un des aspects les plus personnels dans l’écriture filmique de ce réalisateur.
Autre aspect du film qui montre une réelle originalité, c’est le soin apporté à la bande-son qui entremêle musique occidentale et de musique africaine de façon à la fois surprenante et significative. La musique ici ne sert pas à souligner ou à amplifier ce qui se passe à l’écran ( façon Hollywood), elle fait corps avec l’image et nous aiguille subtilement sur des pistes qui sans elle ne seraient guère apparentes.
L’utilisation de la musique occidentale dans toutes les scènes qui donnent à voir le mode de vie pastoral prévalent avant l’arrivée des colonisateurs n’est certainement pas anodine. C’est peut-être même grâce à elle que le spectateur se rend compte instantanément à quel point nous ne sommes pas dans « la carte postale » De même, l’apprentissage de la flûte de bambou par Wend Kuuni nous parle plus sûrement de sa difficulté à être au monde, de sa blessure secrète et de son besoin d’expression au-delà du mutisme dont il est victime. C’est ainsi que la musique habite l’écran et lui donne une intensité artistique et émotionnelle rare au cinéma.
Ces correspondances entre image et son, entre rythme et narration, entre forme et fond sont la marque d’une oeuvre parfaitement maîtrisée, malgré le manque de moyens et d’expérience. Indubitablement, Gaston Kaboré s’inscrit-il ainsi dès son premier film dans l’histoire du cinéma africain.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
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