Western



Vendredi 26 Janvier 2018 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Valeska Grisebach – Allemagne, Bulgarie, Autriche – 2017 – 2h01

Un groupe de travailleurs allemands débute un travail difficile de construction sur un site de la campagne bulgare. Cette terre étrangère éveille le sens de l’aventure de ces hommes, confrontés à leurs préjugés et à la méfiance des locaux à cause de la barrière de la langue et des différences culturelles. Les hommes vont alors tout faire pour tenter de gagner la confiance des habitants.

Notre critique

Par Bruno Precioso

Lorsque Fenimore Cooper publie Le dernier des Mohicans en 1836, il ne peut évidemment pas se figurer qu’un demi-siècle plus tard le genre qu’il inaugure se confondra presque charnellement avec l’invention des Frères Lumières, tout juste débarquée au nouveau monde et qui bouleverse alors le regard porté sur le monde. Il faut dire qu’au tournant du siècle, la « matière de l’Ouest », comme on parle pour les romans de chevalerie médiévaux d’une « matière de Bretagne », s’est déjà glissée dans de multiples peaux comme par exemple les spectacles équestres d’un Buffalo Bill, la littérature populaire des dime novels, le théâtre ou les illustrés. Matière aisément polymorphe donc, mais c’est le cinéma qui lui offrira un espace naturel d’épanouissement au point que le mot finit par être synonyme d’une catégorie cinématographique à l’exclusion de toute autre format…

Entre autres caractéristiques du western, il devient un genre quasi-national pour les Etats-Unis, accompagnant l’essor des Studios dont il incarne l’âge d’or au milieu du XXème siècle, et dont le déclin sera souvent lu comme mimétique de la fin d’une époque pour le cinéma d’outre-Atlantique ; des films comme The Misfits (John Huston, 1961) ou la Porte du Paradis (Michael Cimino, 1974) sont autant de jalons dans l’histoire du cinéma américain, et sans doute dans l’histoire de la relation des Américains avec leur histoire et leur mythologie propres. Car si le western semble instantanément capable de faire mythologie au sens où Roland Barthes l’entendait, il est aussi le lieu privilégié du questionnement de l’inconscient des mythologies américaines, voire de leur mise en accusation par le détricotage formel. Le premier western ‘‘officiellement’’ reconnu comme tel serait Le Vol du grand rapide tourné en 1903, un moyen-métrage d’une vingtaine de minutes se limitant à l’attaque d’un train par des bandits à cheval. On y trouve dès l’abord les caractéristiques essentielles de ce qui sera le genre : le territoire de l’Ouest, l’espace dit de la « frontière sauvage », les populations qui s’y croisent, et le plus souvent le caractère incertain, sinon violent, de leurs rencontres. Mais l’une des déterminations majeures du genre, inhérente aux auspices sous lesquelles il apparaît à la fin du XIXème et au début du XXème siècle et pourtant régulièrement escamotées, est son caractère d’extrême actualité à la limite du documentaire parfois. En effet les premiers westerns s’inspirent directement de faits récents (pour Le Vol du grand rapide par exemple, les exploits du gang dit du Wild Bunch jusque vers 1898, soit 5 ans auparavant). La fin de la conquête de l’Ouest étant strictement contemporaine des premiers films, les acteurs et les décors à disposition sont authentiques. Le western concentre donc aussi un puissant paradoxe, se faisant à la fois le rapporteur d’une actualité des marges, et simultanément constructeur de
mythe quasi-instantanément ; l’installation des Studios à Hollywood en 1910 scellera du reste la solidarité des deux termes du paradoxe.

A ce titre le processus de création du nouveau film de Valeska Grisebach respecte l’esprit des origines puisqu’elle affirme au sujet de ses acteurs : « aucun n’est professionnel. Ils ont tous un métier ! J’ai rencontré Meinhard Neumann, l’acteur principal, sur un marché de chevaux à Brandebourg. J’ai immédiatement su que je voudrais faire un film avec lui. J’ai ressenti le même genre d’affinités immédiates avec les autres acteurs. Tous se sont rencontrés régulièrement par la suite pour apprendre à se connaître. C’est de cette manière que avons su si nous pouvions faire un film ensemble, et surtout comment. Le processus du casting et des auditions a été long. »

Pour Valeska Grisebach, née en 1968 au nord-ouest de l’Allemagne – donc assez loin de Monument Valley, ce fut d’abord une passion d’enfant, la fréquentation du cinéma d’aventures, le hors-temps du monde des enfants dans son cinéma de Brême. En tant que réalisatrice et pour son troisième long-métrage, elle estime que c’est véritablement en tant qu’objet cinématographique que le genre est à interroger. « Le western est un genre universel. Nous tous, même si nous ne venons pas d’Amérique, nous savons beaucoup de choses sur le western. J’ai grandi dans les années 1970 avec les westerns à la télé. Ce dernier temps, je me suis aperçue de ma fascination personnelle pour ce genre, même si c’est un genre très masculin. Quand j’étais petite, regarder un western était toujours quelque chose de doux-amer. En tant que fille, je devais m’identifier avec ces héros masculins. En même temps, je suis restée naturellement toujours un peu exclue. Avec ce film, je voulais prendre le dessus sur cette fascination et ce héros masculin. C’était intéressant de faire une réflexion cinématographique sur ce sujet. »

La réalisatrice allemande incarne parfaitement la nouvelle génération du cinéma allemand qui s’affirme depuis une quinzaine d’années, notamment grâce aux femmes : Maren Ade avait fait sensation à Cannes avec Toni Erdmann en 2016 (prix de la Critique et FIPRESCI), et la même produit Western pour Valeska Grisebach un an après son succès cannois. Les deux réalisatrices, malgré 8 ans d’écart (Maren Ade est née en 1976), ont d’ailleurs débuté en même temps en 2000-2001 leur carrière cinématographique ; leur proximité va jusqu’aux sujets de leurs films, très voisins puisque Toni Erdmann se déroulait en Roumanie alors que Western est filmé en Bulgarie ; toutes deux ont reçu l’approbation rapide de la critique, dès 2005 pour Maren Ade (Der Wald vor lauter Bäumen, prix spécial à Sundance) et 2006 pour Valeska Grisebach qui, après son premier moyen-métrage (Mein Stern, en 2001) vit son premier long Sehnsucht (Désirs, 2006) obtenir plusieurs prix notamment à Buenos Aires. Ce 3e opus, onze ans après le précédent, a marqué la sélection Un Certain Regard qui a senti une filiation entre Toni Erdmann et Western. Lorsqu’elle évoque sa méthode de travail Valeska Grisebach affirme : « Je n’ai jamais une histoire en tête lorsque je débute un film. En revanche, j’ai toujours un sujet fort qui guide mes recherches et mes associations d’idées. J’aime me servir de ce guide comme d’une base que je peux ensuite modeler avec les acteurs, qui s’impliquent alors dans le processus. Nous découvrons parfois ensemble de quoi le film est fait et occasionnellement, que tout va à l’opposer de l’idée de départ. C’est très excitant pour moi de confronter de façon continuelle fiction et réalité. Je suis nerveuse lorsque tout est parfaitement programmé. »

Une bonne part de liberté, sinon d’improvisation, des acteurs non professionnels investis dans la construction du film, la réalisatrice revendique d’ailleurs un style flou et décalé dont Milos Forman est la référence pour le partage des tâches (pour Black Peter, il avait imposé à ses acteurs de tourner sans script), Antonioni la pierre de touche pour la mécanique de ses films… On pourrait penser que de tels parrains sont autant des anges gardiens que des figures écrasantes, mais la force du cinéma de Grisebach réside précisément dans ce qu’elle choisit de ne pas contrôler, de livrer à la spontanéité puisque pour elle, « (…) ce sont les acteurs qui créent le bénéfice de la réalisation d’un film. »

Sur le web

La cinéaste allemande Valeska Grisebach, née Brême en 1968, a suivi des études de philosophie et d’Allemand à Berlin, Munich et Vienne. Elle est affiliée à l’ « Ecole de Berlin » (vague moderniste apparue dans le courant des années 2000) qui regroupe de jeunes cinéastes allemands en marge de l’industrie, produisant des films réalistes et sobres. Parmi eux, Christian Petzold, Christoph Hochhaüsler, Angela Schanelec, Ulrich Köhler ou encore Maren Ade, qui a connu l’an passé un succès inespéré avec Toni Erdmann et a produit Western. Pour Valeska Grisebach, cette émulation fut importante : «J’avais fait mes études de cinéma à Vienne et en rentrant en Allemagne en 2000, il était très intéressant d’y trouver un mouvement et des réalisateurs ayant une réflexion proche de la mienne, valorisant avant tout la capacité du cinéma à enregistrer la réalité.» (liberation.fr)

La réalisatrice Valeska Grisebach, fascinée par le western, a décidé de livrer sa propre version du genre en reprenant les codes pour les transposer à notre époque; « Le western est un genre universel. Nous tous, même si nous ne venons pas d’Amérique, nous savons beaucoup de choses sur le western. J’ai grandi dans les années 1970 avec les westerns à la télé. Ce dernier temps, je me suis aperçue de ma fascination personnelle pour ce genre, même si c’est un genre très masculin. Quand j’étais petite, regarder un western était toujours quelque chose de doux-amer. En tant que fille, je devais m’identifier avec ces héros masculins. En même temps, je suis restée naturellement toujours un peu exclue. Avec ce film, je voulais prendre le dessus sur cette fascination et ce héros masculin. C’était intéressant de faire une réflexion cinématographique sur ce sujet« , révèle la cinéaste sur le site RFI.

La réalisatrice Valeska Grisebach revient sur sa méthode de travail : « Je n’ai jamais une histoire en tête lorsque je débute un film. En revanche, j’ai toujours un sujet fort qui guide mes recherches et mes associations d’idées. J’aime me servir de ce guide comme d’une base que je peux ensuite modeler avec les acteurs, qui s’impliquent alors dans le processus. Nous découvrons parfois ensemble de quoi le film est fait et occasionnellement, que tout va à l’opposer de l’idée de départ. C’est très excitant pour moi de confronter de façon continuelle fiction et réalité. Je suis nerveuse lorsque tout est parfaitement programmé.« 

Interrogée sur des artistes qui l’inspirent dans son travail, la réalisatrice Valeska Grisebach évoque immédiatement Milos Forman : « J’aime raconter cette anecdote de Milos Forman, qui à l’occasion de son premier long métrage, Black Peter, a retiré le script du film des mains de ses acteurs juste avant le tournage. Cela encouragé à communiquer oralement avec mes acteurs sur les scènes et les dialogues. Je recherche volontairement ce flou, cette imperfection, mais aussi ce décalage entre les intentions et les actes. Pour Western, c’est le cinéma de Michelangelo Antonioni qui m’a beaucoup inspiré. Sa vision de l’architecture et la mécanique de ses films… Mais plus que tout, ce sont les acteurs qui créent le bénéfice de la réalisation d’un film.« 

« Des étendues sauvages à perte de vue, des chevaux, une rivière, des groupes d’hommes solitaires et virils qui se font face. C’est dans ce décor digne des grandes plaines du Farwest, brûlé par le soleil lumineux et dense du Sud de la Bulgarie, aux limites de la civilisation que la réalisatrice allemande Valeska Grisebach place ce duel contemporain aux relents de xénophobie latente entre deux communautés peu enclines à se supporter. Les ouvriers allemands attirés par des salaires conséquents dans ce coin reculé d’Europe n’ont aucune intention de conquérir des territoires. Ils n’ont d’autre objectif que la construction d’une centrale hydraulique destinée à améliorer la distribution chaotique de l’eau dans les différents villages de la région. Ce service rendu à une population qui vit encore selon des rites ancestraux autorise les nouveaux venus à adopter une attitude de colonisateur. Ils commencent par planter le drapeau germanique sur le chantier de manière à affirmer leur supériorité ethnique face à des villageois qui n’ont gardé du peuple allemand que l’image sanguinaire des soldats de la dernière guerre. Ils se hasardent même à quelques taquineries excessives à l’encontre d’une jeune fille du village, creusant un peu plus le fossé entre eux et les autochtones. Entre provocations et incompréhension, la tension s’accélère laissant entrevoir la naissance d’un conflit, d’autant que ces aventuriers de nulle part manient allègrement carabines et couteaux. Mais tel n’est pas le propos de la réalisatrice qui privilégie la voie de la contemplation humaine et politique pour nous conter cet affrontement des temps modernes… Ce film vaut surtout pour l’authenticité de ses comédiens, tous non professionnels comme ce fut déjà le cas des précédents films de Valeska Grisebach : Mein Stern (histoire d’amour entre deux adolescents) en 2001 et Désirs(s) (chronique provinciale d’un adultère) en 2006. Symbole de l’Europe d’aujourd’hui qui continue de préférer la suprématie de certains États à l’unification de tous, Western nous offre une belle leçon d’humanité et d’espoir malgré un déroulement légèrement lénifiant, heureusement compensé par un casting bluffant. » (avoir-alire.com)

« Vissé tout du long aux allées et venues du personnage de Meinhard, grande tige moustachue au cuir tanné, venue là « pour se faire du fric », Western s’identifie à son impassibilité, à sa pénétration rentrée, et semble s’ouvrir sous les auspices d’un comportementalisme distant, dont on craint d’emblée l’issue fatale. Mais les soupçons s’estompent devant l’incroyable sinuosité du récit, qui épouse avant tout la mobilité de son héros, sa propension à l’action, sa débrouillardise patiente. Meinhard bricole, répare, construit, monte à cheval, apprend, communique ; il désamorce une situation crispée qui semble pouvoir s’enflammer à chaque instant, entre des Allemands arrogants, et des Bulgares qui se débattent avec les effets de la crise (chômage, exil des jeunes, manque d’argent). Ainsi, plutôt que d’embrayer sur la logique du pire, le film opère toute une série de contournements, déjouant sans cesse ce qui pouvait sembler inévitable : la violence, le drame, l’affrontement, la guerre…Le véritable objet du film réside aussi, peut-être, dans cette « compagnie des hommes » qu’il s’attache à décrire. La masculinité y est scrutée, non pas comme une généralité, mais dans ses aspérités et sa rugosité, dans ce qu’elle peut avoir à la fois de pathétique, de ridicule même, mais aussi d’émouvant. La caméra s’attarde lentement sur les rituels qui la constituent et s’échauffent pendant le gel du chantier : la drague, parfois lourdaude, les rodomontades, les jeux d’argent et d’alcool, mais aussi la camaraderie, l’effort partagé, le temps passé ensemble. Valeska Grisebach en tire un saisissant portrait des hommes entre eux, doublé d’une étude précise du geste, de la mobilité masculine. Et qu’il faille une réalisatrice pour nous rappeler, aujourd’hui, qu’un amour des hommes est encore possible, n’a évidemment rien d’anodin. » (lemonde.fr)

« Le film comporte certes son lot de topiques et de réminiscences du western hollywoodien : ici, une baignade mouvementée qui rappelle une scène d’altercation autour d’un point d’eau dans La Ville abandonnée (William Wellman, 1948), là, l’érection d’un drapeau allemand au sommet du camp qui, entre autres, évoque la scène finale de Sur la piste des Mohawks (1939) – où Valeska Grisebach substitue à la ferveur patriotique du film de John Ford une solitude très romantique face à l’immensité d’une nature sauvage. Mais ces instants, loin d’être figés dans un fétichisme cinéphile, communiquent surtout un sentiment d’incomplétude : ce sont des éclats fugitifs que Western dissipe dans ses détours imprévus…De fait, le film cherche moins à souligner des rapports de force binaires – Bulgares contre Allemands, hommes contre femmes, justes contre corrompus, Meinhard contre Vincent…– qu’à suggérer, par petites touches, l’effritement d’un ordre bien établi… C’est peut-être dans cette manière très ténue de jouer avec l’ambivalence des signes et des signaux que Valeska Grisebach marque le plus nettement son attachement au genre. Nombre de héros de westerns du répertoire, fussent-ils ouvertement racistes, maîtrisent en effet parfaitement le langage des Indiens – que ce soit leur langue à proprement parler (James Stewart dans La Flèche brisée, de Delmer Daves) ou l’interprétation des traces qu’ils laissent dans le plan (John Wayne dans La Prisonnière du désert, de John Ford) –, ce qui instaure une passerelle tangible, fût-ce sur le mode du conflit, entre les deux communautés. Dans Western, la situation est donc inverse : Meinhard, outre qu’il ne maîtrise pas le bulgare, n’arrive pas à établir un partage clair entre le signe amical et le signe de désapprobation, l’accueil et le rejet. Si la langue hybride – faite de gestes et de phrases démembrées – qui naît des rencontres successives entre Meinhard et les villageois permet d’abolir en partie la frontière qui les sépare, elle reste dès lors l’objet d’un doute quasi permanent. » (critikat.com)

Tous les comédiens de Western sont des non-professionnels, comme le confie la cinéaste Valeska Grisebach : « Aucun n’est professionnel. Ils ont tous un métier ! J’ai rencontré Meinhard Neumann, l’acteur principal, sur un marché de chevaux à Brandebourg. J’ai immédiatement su que je voudrais faire un film avec lui. J’ai ressenti le même genre d’affinités immédiates avec les autres acteurs. Tous se sont rencontrés régulièrement par la suite pour apprendre à se connaître. C’est de cette manière que avons su si nous pouvions faire un film ensemble, et surtout comment. Le processus du casting et des auditions a été long.« 

Western a été présenté dans la section Un Certain Regard lors du Festival de Cannes 2017.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.

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