Vendredi 14 octobre 2016 à 20h30
Film de Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma, Marielle Gautier et Hugo P. Thomas – France – 2016 – 1h22
Dans le cadre de notre Quinzième Saison, notre premier événement est une Avant Première en présence de deux des réalisateurs Marielle Gautier et Hugo P. Thomas du film Willy 1er. En première partie : un de leur court-métrage, Ich bin eine Tata
À la mort de son frère jumeau, Willy, 50 ans, quitte pour la première fois ses parents pour s’installer dans le village voisin. “À Caudebec, j’irai. Un appartement, j’en aurai un. Des copains, j’ en aurai. Et j’vous emmerde !”. Inadapté, Willy part trouver sa place dans un monde qu’il ne connaît pas.
notre critique
Par Josiane Scoleri :
Willy 1er est un film qui étonne et qui détonne dans le paysage cinéphilique français aujourd’hui. D’abord par sa facture : quatre réalisateurs ( 3 garçons et une fille) pour un premier long-métrage, ce n’est pas banal. Et surtout, Willy 1er n’a pas ce côté lisse et vaguement « classieux » qui est souvent la marque de la French Touch dans les festivals… Au contraire, c ’est un film heurté, dans son rythme et dans les changements de ton qui reflètent les péripéties de Willy. C’est un film qui aurait pu sombrer dans le mélo vaguement social ou carrément virer misérabiliste glauque. Tous les ingrédients sont là, mais Willy 1er poursuit sa route fièrement, ancré tout à la fois dans le réel et dans le rêve. Et s’il évite si facilement les obstacles, c’est certainement grâce au personnage de Willy, porté et grandement inspiré par la personnalité et la vie de Daniel Vannet lui-même. Véritable roi de cette histoire, pas étonnant qu’il porte un titre, à tout seigneur, tout honneur !
Ce qui fait très certainement la force de Willy 1er du côté de la mise en scène et de la réalisation, c’est à la fois le ton et la distance vis à vis des personnages tout aussi justes l’un que l’autre. On sent beaucoup de tendresse dans le regard porté par ces jeunes gens -ils ont entre 24 et 29 ans- sur cet homme déjà cinquantenaire qui en a visiblement beaucoup bavé toute sa vie. Et si on rit souvent dans Willy 1er, on rit avec Willy mais jamais de lui. C’est, à mon sens la colonne vertébrale du film. Willy 1er, c’est un peu sur un mode mineur, une synthèse de Bruno Dumont première et deuxième manières ( disons aux deux extrêmes, L’Humanité d’un côté et Ma Loute de l’autre). Je dis sur un mode mineur parce que Willy1er n’a ni l’aridité presque hiératique du premier , ni la volonté de satire féroce du second dans sa loufoquerie même. Willy 1er est un film tendre. Ça n’en fait pas pour autant un film « cul-cul la praline », loin de là. La dureté du monde est frontalement présente dans le film comme elle est présente dans la vie de Willy, mais Willy a une manière bien à lui de s’en échapper qui n’existe pas absolument pas chez les personnages de Bruno Dumont. Et ça fait du bien. Le film fourmille de trouvailles, grandes et petites, qui relancent en permanence à la fois le récit et l’image, mais dont aucune n’est gratuite. Que ce soit, la figure de Michel, le jumeau de Willy qui reste présent à son frère, par-delà sa disparition, ou bien les scènes très naturalistes, tournées dans la cuisine de la ferme. Ou encore les photos de famille et les posters très seventies qui trouvent leur place sur le papier peint plutôt sixties, sans oublier la musique qui accentue elle aussi le côté France profonde, l’incontournable bistrot de village avec le patron derrière son zinc : c’est ici et nulle part ailleurs.
Les différents moments du films reprennent le credo de Willy « À Caudebec, j’irai ». Il s’agit du bourg, qui fait figure de ville, en tout cas de centre urbain à côté de l’isolement de la ferme des parents de Willy. « Un appartement, j’en aurai un« , le signe de l’autonomie par excellence : ne plus habiter chez les parents, « Un scooter, j’en aurai un », là, c’est carrément le gage d’une indépendance rêvée. Willy en sait quelque chose, lui qui n’aime pas marcher. « Des amis, j’en aurai », en ces quelques mots, c’est toute la question de la sociabilité, du lien à l’autre, sans lequel il n’y a pas de vie humaine possible. On le voit, dans son innocence présumée, Willy sait pertinemment ce qui est essentiel. Et il termine par « Et je vous emmerde », parce qu’il est toujours possible de faire sa crise d’adolescence, même à 50 ans, la preuve. Ou, pour dire les choses autrement, Willy 1er est un film d’apprentissage. On comprend mieux la jeunesse des réalisateurs…E t Willy, dont l’univers était minuscule, si balisé, si rassurant dans son étroitesse même, (cf les très belles scènes du début avec son jumeau, les repas sous la véranda, les dérapages en voiture,etc…) va apprendre à se débrouiller dans le vaste monde. Que ce soit, sur le mode burlesque (l’entretien de boulot ou la leçon d’anglais, les deux scènes sont hilarantes) ou dans la veine proche du réel ( formidable Noémie Lvovsky dans le rôle de la curatrice), le film nous réserve sans cesse des surprises par ces changements de ton qui sont autant de mini-incursions dans un genre cinématographique. On au ra même droit à un rodéo nocturne qui part sur une expédition punitive ( ah, le cinéma américain…) pour aboutir à …une confession intime. Autre point fort du film, le rythme qui ne faiblit en aucun moment. Et si chacune des quatre parties a son moment culminant, c’est le volet des amis, qui est le plus riche, en découvertes pour Willy et en émotions pour nous. Willy va apprendre que « tout se qui brille n’est pas or » qu’il y a une différence entre des connaissances, des rencontres ponctuelles plus ou moins bien intentionnées et de véritables amis. Et s’il se laisse d’abord prendre au miroir aux alouettes des tournées bien arrosées et des pseudo-camarades qui n’hésitent pas à le plumer, il ne tardera pas en reconnaître en Willy II une autre âme cabossée comme la sienne, capable de l’écouter et de le comprendre. Là aussi, ça commence burlesque dans les rayons du supermarché, les phases d’approche ne sont pas simples, mais les deux Willy chérissent leur rêve et apprendront ainsi à se dévoiler l’un à l’autre. Les réalisateurs filment avec une sûreté étonnante et beaucoup de délicatesse cette lente rencontre entre deux univers qui tout semblait séparer au départ. Encore une belle surprise que viendra couronner le dernier plan, à la fois simple et très construit. Un dernier plan, de fait, à l’image du film tout entier.
sur le web
Chose plutôt rare, Willy 1er a été réalisé par quatre personnes : Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma, Marielle Gautier et Hugo P. Thomas. Tous ont fait l’École de la Cité de Luc Besson dans la première promotion, celle de 2012 et ont fait équipe pour la première fois en 2015 lorsqu’ils ont participé au « 48 heures Film Festival » (où le but est de monter un film en 48 heures). C’est à la suite de cette expérience qu’ils ont décidé de tourner un long métrage. Les 4 réalisateurs ne divisent pas les postes lorsqu’ils travaillent ensemble. Ils sont ainsi tous autant à la mise en scène, à la direction d’acteurs qu’au découpage. « A quatre, on a quatre fois plus d’idées ! Quand on écrit, on a chacun un point de vue différent qui nous permet d’aller plus loin. Si on n’est pas d’ accord, on se confronte ; on prend le temps de réfléchir à la meilleure chose à faire. Et ça marche assez bien comme ça », précise Marielle Gautier.
Les quatre cinéastes étaient à l’origine réunis par l’envie de faire un film sur Daniel Vannet, qu’il avaient déjà filmé par le passé. Ils l’ont d’ailleurs rencontré lorsqu’ils réalisaient Perrault, La Fontaine, mon cul ! centré sur un père qui veut apprendre à lire pour obtenir la garde de son fils. Willy 1er est ainsi un film de fiction fidèle à la réalité de Daniel. Ludovic Boukherma se souvient : « On s’est documentés sur l’illettrisme , et on a découvert l’association Mots & Merveilles près de Maubeuge qui apprend à lire à des personnes illettrées. On y voyait notamment Daniel dans son apprentissage de la lecture. On a donc commencé à écrire en pensant à lui, et on s’est inspiré s de lui pour créer un personnage, tout en se demandant quel acteur pourrait jouer son rôle. Et puis on en a conclu que ça devait être lui. On l’ a donc contacté, on l’a fait venir à Annecy, deux jours avant le tournage de ce court – métrage, et on a travaillé. On a compris tout de suite qu’il se passait quelque choseavec lui devant une caméra. Alors on a enchaîné avec un autre court-métrage avec lui, Ich bin eine Tata !«
Selon les quatre metteurs en scène, Willy 1er est une sorte de biopic sur Daniel Vannet. Ils expliquent ainsi avoir gardé certaines anecdotes personnelles que le comédien leur avait racontées comme une base pour pouvoir les prolonger et les adapter. L’objectif n’était pas de donner forme à un documentaire comme ils l’expliquent : « Daniel a perdu son frère, mais ce n’était pas son jumeau. On lui en a inventé un dans le film. Avant tout parce que l’idée de faire jouer Daniel face à son double nous attirait. Également , l’histoire d’amitié avec l’autre Willy, elle, est totalement inventée. On s’inspire des choses de sa vie pour en faire des éléments de fiction. Ce qui nous plaît chez lui, c’est que c’est vraiment un personnage de cinéma. Il est très magnétique. D’où notre idée d’en faire un héros. Un héros de cinéma. »
Dans Willy 1er, il y a de la musique qui a été composée par Hugo P. Thomas et Sofiane Kadi ainsi que des morceaux de variétés représentatives de l’univers des quatre réalisateurs. Au sujet de ces dernières, Ludovic Boukherma confie : « Dans ces chansons, il y a beaucoup de références à la culture populaire qui est la nôtre. Marielle vient d’Italie, Hugo de Savoie, Zoran et moi du Lot-et- Garonne. Serge Reggiani, Carole Arnaud, Michael Raitner, ce sont des chansons de variété française qui ne sont pas forcément de notre génération, avec un côté parfois suranné, mais elles sont, avant tout, authentiquement belles. Ce sont des chansons qu’on aime. »
Plusieurs acteurs de Willy 1er, comme les parents de Daniel, sont des non-professionnels. Les 4 réalisateurs voulaient de cette manière renforcer le naturel des situations. Ils ont, dans cette optique, donné aux comédiens peu d’indications pour favoriser leur improvisation. Ils notent : « On leur a surtout donné une trame précise du déroulement de la scène, sur ce qui doit s’y passer, en installant les éléments les uns après les autres. A partir de là, ils improvisent. L’improvisation, c’est aussi ce qui nous a paru le plus adapté pour des acteurs non – professionnels, pour rendre les situations de manière naturelle. » Daniel Vannet emporte le 1er prix d’interprétation masculine au Festival de Clermont-Ferrand pour leur court-métrage Perraut La Fontaine Mon Cul ! De là, tout s’enchaîne : ils tournent avec lui le court-métrage Ich bin eine tata et lui confient le rôle principal de leur premier long métrage, au côté de Noémie Lvovsky, Willy 1er.
Willy 1er a été primé au Festival du Cinéma Américain de Deauville, a remporté le grand prix du film culte de Trouville -sur-Mer, et en marge de de la compétition officielle du Festival de Cannes, a été présenté à l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion).
La réalisatrice Marielle Gautier en compagnie de Josiane Scoleri, présidente de Cinéma Sans Frontières lors de la projection en avant-première du film Willy 1er au cinéma Mercury à Nice .
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri et Martin De Kerimel
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