Winnipeg mon amour



Vendredi 22 janvier 2010 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de  Guy Maddin – Canada – 2007 – 1h19 – vostf

Winnipeg mon amour est un hommage doux-amer à la ville natale de Guy Maddin au Canada. Ville des superlatifs, selon le réalisateur : la plus froide au monde, le plus petit parc du monde, la ville des somnambules, des magnétiseurs et des séances de spiritisme, une ville somnolente, habitée par les esprits. C’est ainsi que la décrit à la première personne le narrateur, en la regardant défiler derrière la fenêtre d’un train. Plongeant son regard dans le paysage délavé, il repense à son enfance, à l’histoire et à la topographie de sa ville.

Notre critique

Par Philippe Serve

Si Winnipeg mon amour n’est pas un documentaire, Guy Maddin a en revanche reconstitué bon nombre de scènes qu’il avait vécues, en mêlant acteurs et images d’archives.

Après avoir recueilli les témoignages de ses amis habitant dans le coin, Guy Maddin s’est retrouvé avec de quoi faire toute une série sur sa ville natale, mais a finalement gardé de quoi atteindre son objectif initial : 75 minutes.

« En tant que réalisateur ayant vécu 50 ans à Winnipeg, j’ai été à la fois enchanté, intoxiqué et asphyxié par ma ville natale. Elle a été ma muse bien avant que je prenne la caméra. Je suis tombé amoureux de cet endroit, non seulement pour ce que j’en ai connu et aimé, mais également pour ce qu’il a été, et qu’il pourrait redevenir! Tel un soupirant insouciant et irrationnel, j’ai fondé tous mes espoirs sur cette ville, pour avoir en retour le coeur brisé par l’impitoyable cours « progressiste » qu’elle s’échine à prendre, délaissant inexorablement son charme passé et tombant dans l’oubli insipide et la médiocrité auxquels elle aspire. Mes espoirs brisés, j’ai grandi avec d’amères désillusions sur ma ville natale », explique Guy Maddin. « Mais avant de fuir, je dois, par pure délectation nostalgique, passer en revue tout ce qui a compté pour moi dans ce monde autrefois merveilleux et enchanteur, car il n’est pas d’endroit plus singulier dans toute l’Amérique du Nord, ni partout ailleurs !« 

Le réalisateur Guy Maddin est doublement présent dans Winnipeg mon amour : d’abord en tant que narrateur de l’histoire, puis sous les traits du comédien Darcy Fehr, qui interprète son rôle.

WINNIPEG… TOUJOURS L’HIVER

Winnipeg, Winnipeg, Wonderful Winnipeg… Winnipeg l’enneigée, la somnambule… Huitième ville du Canada (plus de 600 000 habitants), située au sud de la province du Manitoba, région centrale du pays « au cœur du cœur du continent. » Si la ville était célèbre jusque là pour son équipe de hockey sur glace et ses hivers rigoureux (- 18° en moyenne), elle est aujourd’hui connue pour avoir donné le jour au plus original des cinéastes actuels, ce drôle de type (« guy » en anglais), Guy Maddin. Dans son précédent film, Des Trous dans la Tête (Brand Upon The Brain ! 2006, présenté par CSF le 12 décembre 2008), le réalisateur réinventait son enfance, traçant un drôle de portrait de sa mère, personnage central que l’on retrouve aujourd’hui dans l’hommage décalé de ce Winnipegois pour sa ville. L’autobiographie transfigurée et fictionnalisée, Maddin l’avait déjà pratiquée en 2003 avec Cowards Bend the Knee (Et les lâches s’agenouillent) où le spectateur était plongé au coeur d’une histoire de vengeance sur fond de voyeurisme, le tout enserré dans le salon de coiffure de sa mère transformé en bordel. Avec au centre son propre personnage, joueur de hockey interprété par l’acteur Darcy Fehr qui renouvellera l’expérience dans My Winnipeg. Film au récit très sexualisé, oscillant entre érotisme formel et perversité chic, l’œuvre prévue au départ pour être une installation que le spectateur devait découvrir à genoux et à travers le trou d’une serrure, pâtit quelque peu de cette origine et divisa la critique sans trouver son public. Une sorte d’arrêt dans la jeune et pourtant prolifique carrière de Maddin (9 long-métrages et 27 courts en 13 ans !), jusque là sans faute.

Mais il en aurait fallu davantage pour décourager Maddin et le dissuader de tisser ses films à la soie plus ou moins authentique de son enfance. Avec Des Trous dans la Tête, non seulement il remit les pendules à l’heure mais réussit certainement son film le plus maîtrisé, se réconciliant du coup avec la critique comme avec le public. Un an plus tard seulement, il en remettait une couche avec ce My Winnipeg où il double ses souvenirs d’enfant et d’adolescent d’un hommage (amour vache ?) à sa ville, déjà présente dans maintes de ses œuvres, par exemple dans le très délirant The Saddest Music in the World (2003). Drôle d’hommage en effet où le protagoniste central (lui-même) ne cherche qu’à s’enfuir de cette ville figée dans son froid et son brouillard qui envahissent jusqu’aux tréfonds du train dans lequel il somnole et rêvasse.

Laissant libre cours à son imagination nourrie aux mamelles du surréalisme et du cinéma muet, Guy Maddin nous entraîne dans un voyage teinté d’onirisme farfelu auquel on ne saurait résister. Toujours aussi doué pour nous proposer des images sorties d’ailleurs et illustrant les scènes les plus improbables (la promenade aux chevaux gelés, appellation non contrôlée, laissera le spectateur bouche bée), le cinéaste reste fidèle à son univers tout en creusant son sillon encore plus profond. Prisonnier de la tristesse du lieu ainsi que d’un double sentiment de perte et d’amertume, Guy Maddin veut donc s’enfuir et se réveiller, s’extraire une fois pour toutes de cette torpeur maligne dont chaque Winnipegois serait invariablement victime tôt ou tard.

Pour cela il lui faut descendre au fond du passé, multiplier les vraies/fausses re-créations, inventer de nouvelles formes cinématographiques, compiler et déstructurer des archives, diversifier les formats avec une tendresse toute particulière pour le Super 8, insérer de la couleur dans sa symphonie d’un noir et blanc charbonneux, .injecter un peu de cinéma d’animation (par exemple au sein de l’hilarante séquence de la grande grève de 1919), etc. Devant un tel film, le spectateur doit, d’un même élan, tout croire et ne rien croire. Comment séparer le vrai du faux ? Winnipeg enferme-t-elle réellement dix fois plus de somnambules que toute autre ville dans le monde ? Guy Maddin vit-il vraiment le jour dans le vestiaire du stade de hockey ? A quel moment le cinéaste nous informe-t-il et quand nous balade-t-il ? Le pronom possessif du titre (Mon Winnipeg) nous indique la direction à prendre. My Winnipeg n’est pas seulement un documentaire très spécial mais aussi un film sur le cinéma, sur son mystère, sur son va-et-vient incessant entre vérité et mensonge. Un kaléidoscope où triomphe la maîtrise incroyable qu’à ce Canadien du montage d’images autant que de sons, d’Histoire entremêlée d’histoires. Histoires de confluents, là où les deux rivières de la ville se rejoignent, où les veines s’épousent, où les rails du train se croisent, où les cuisses de la femme se ferment en fourrure avant de mieux s’ouvrir,  My Winnipeg réunit et fond nombre d’éléments épars sous l’œil omniprésent de la Mère. Une histoire de bisons, de neige, de salon de coiffure et de beauté, de chihuahua réincarné en bouledogue, d’un candidat au suicide – quotidien et toujours identique – The Ledge Man, d’un cerf accompagné d’une perte de virginité, de spiritisme et de ballet, de rues aux noms des prostituées de la ville, de concours de Golden Boys, de hockeyeurs septuagénaires, de gelée orange, etc.

D’une nostalgie têtue et furieusement drôle, poétique et grivois, le neuvième long-métrage de Guy Maddin a cette fois fait l’unanimité. L’auteur de ces lignes s’en réjouit et espère que le public de Cinéma sans Frontières lui réservera, à son tour, grand accueil.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).

Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
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