Yôkihi, L’Impératrice Yang Kwei-Fei


 


Vendredi 25 février 2005 à 19h

Musée des Arts Asiatiques – 405 Promenade des Anglais – Arenas – Nice

Film de Kenji Mizoguchi – Japon – 1955 – 1h27 – vostf

La Chine au 8ème siècle, à l’apogée de la dynastie des Tang. L’Empereur Hsuan Tsung, qui ne parvient pas à se consoler de la perte de son épouse, se consacre à la pratique de la musique et délaisse les charges de l’État. Son entourage tente de le distraire en lui présentant, en vain, les plus belles filles du pays. Le général An Lu-Shan, amateur de femmes et assoiffé de pouvoir, remarque alors la grande beauté d’une simple servante, Yang Kwei-Fei, et la présente à l’Empereur. Celui-ci est rapidement séduit et goûte avec Kwei-Fei aux bonheurs de l’amour. Mais la famille Yang, introduite à la cour, profite abusivement de ses privilèges et s’attire la haine du peuple…

« Mizoguchi, dans l’un de ses derniers chefs-d’œuvre, nous raconte une belle histoire d’amour dont le déroulement inéluctable va nous plonger peu à peu, au fil de plusieurs retours en arrière, dans le dilemme de l’empereur chinois Huan-Tsung, condamné à choisir entre la femme aimée, sa Très Haute Dame, et le pouvoir. Décision qui l’engagera bien au-delà d’une impériale rupture. Une critique divisée salua le film lors de sa sortie : allons-nous pénétrer grâce à lui dans « l’infini du monde oriental » ou bien suivre « un film japonais à la manière hollywoodienne » ? Cette dernière réserve, longtemps récurrente concernant le cinéma japonais distribué en France, devrait tomber lorsque se dressera devant nos yeux l’impératice hiératique  mais ô combien touchante !  jouée par la très belle Machiko Kyo. » (Institut Jean Vigo)

Notre critique

Par Philippe Serve

KENJI MIZOGUCHI 
(1898 – 1956)   

Il fut un temps, dans les années 50 et 60, où les critiques et cinéphiles français, rangés soit derrière Les Cahiers du Cinéma, soit derrière Positif, se déchiraient pour savoir qui de Kenji Mizoguchi ou d’Akira Kurosawa était le plus grand, les deux cinéastes japonais étant systématiquement opposés. Aimer l’un était forcément rejeter l’autre. Une vingtaine d’années plus tard, on découvrit que le cinéma nippon recelait un troisième génie (déjà mort à l’époque), Yasujiro Ozu. Puis la décennie suivante un autre encore, Mikio Naruse… Si aujourd’hui on peut avouer aimer autant les uns que les autres, force est de constater que, même parmi les plus jeunes cinéphiles, le vieux combat « Mizo contre Kuro » a toujours cours ! Plutôt que de trancher ce qui n’a pas lieu de l’être, admirons simplement un pays capable de produire en même temps autant de cinéastes ayant marqué pour toujours l’Histoire du cinéma mondial.

Kenji Mizoguchi est le plus ancien des quatre, ayant commencé à tourné en 1923 – l’année du grand tremblement de terre de Tokyo (130000 victimes) – devançant de 4 ans Ozu, de 7 Naruse et de 18 Kurosawa. En 33 ans, il tournera 89 films dont 56 muets. Sur ces 56 films de ce que l’on peut qualifier sa « première période », quatre seulement nous sont parvenus, tous les autres détruits ou perdus par le temps, les mauvaises techniques de conservation des films, les bombardements intenses sur le Japon lors de la seconde guerre mondiale. Autrement dit, c’est plus de la moitié de sa filmographie qui aujourd’hui nous échappe. Restent donc une trentaine de films dont plus d’une quinzaine de chefs d’œuvres absolus en matière cinématographique.  A partir de là, chacun a « son Mizoguchi » préféré : Les Contes de la Lune vague après la pluie (Ugetsu Monogatari, 1953), L’Intendant Sansho (Sanshô dayû, 1954), La Vie de O’Haru, femme galante (Saikaku ichidai onna, 1952), Les Amants crucifiés (Chikamatsu Monogatari, 1954) ou L’Impératrice Yang Kwei-fei (Yôkihi, 1955). Peu importe, une seule chose est sûre et certaine : le film élu ne peut que correspondre à un éblouissement. Le spectateur qui touche à la grâce de Mizoguchi ne s’en remet jamais. Et, malgré ses efforts répétés, ne comprend jamais tout à fait d’où provient le mystère du miracle répété de film en film. C’est que Mizoguchi déroute l’analyse de par sa simplicité même. Tournant résolument le dos à toute psychologie, refusant les effets voyeurs, appuyés ou jugés « faciles » – mais parfois techniquement compliqués – le réalisateur de Mademoiselle Oyu (Oyû-sama, 1951) donne l’impression de filmer comme il respire ! Tournant vite et quasiment sans répétitions, comment pouvait-il parvenir à une telle maîtrise du cadre, de l’image, de mouvements de caméra si confondant d’élégance ? Mystère. A moins que ce ne fut là la marque la plus pure du génie. Ses collaborateurs, tel son fidèle scénariste pendant les vingt dernières années, Yoshikata Yoda, ou ses acteurs – la formidable Kinuyo Tanaka, par exemple, dont il fut secrètement si amoureux – ne se firent jamais prier pour confesser quel enfer c’était de tourner sous la direction de ce tyran aussi implacable sur un plateau que timide et doux dans la vie. Et pourtant, tous, ils revinrent systématiquement travailler avec lui, conscients de participer à des oeuvres d’une dimension tout bonnement exceptionnelles.

Dans l’opposition un peu simpliste évoquée plus haut, Kurosawa se retrouvait qualifié de cinéaste humaniste et Mizoguchi cinéaste de femmes. L’affaire était pliée. S’il est vrai que les créatures féminines laissent aisément le pas aux hommes chez le réalisateur de Ran, il apparaît trop réducteur de cantonner Mizoguchi à cette simple dimension féminine, certes très dominante. Car en parlant des femmes, éternelles victimes des rêves de grandeur, de pouvoir ou d’argent de leurs compagnons et sacrifiées aux pressions insupportables de la société, c’est bien aussi des hommes et, au-delà de cette société entière dont Mizoguchi traite dans ses films. Le portrait d’une victime ne contient-il pas toujours en creux celui de son bourreau ?  (à partir de 1930, année de son premier film parlant)  Mizoguchi était un homme engagé, révolté par ce qu’il constatait autour de lui dans ce Japon d’abord militarisé et menant une agressive et sanglante politique criminelle de conquête territoriale, puis défait, martyrisé et gouverné par une puissance occupante.

Sa fréquentation assidue des années durant des quartiers de plaisir, des prostituées, des geishas, l’avaient conduit à une connaissance intime du malheur, de l’hypocrisie, du sens du tragique. Il n’était pas un homme optimiste et imaginer une comédie signée de ses mains semblerait bien incongrue. Le drame ou plutôt le mélodrame, voilà son terrain de prédilection ! Ses personnages et surtout ses héroïnes subissent toutes les avanies possibles. Les histoires racontées par Mizoguchi sembleraient peutêtre si excessives et improbables filmées par tout autre qu’elles frôleraient sans doute le too much et le ridicule. Mais voilà, Mizoguchi eut toujours le génie d’ignorer le pathos, ce sentimentalisme inhérent à tout mélodrame. Refusant par exemple et très symboliquement les gros plans sur les visages de ses interprètes, il préférait les filmer de loin, enserrés ou perdus dans leur cadre naturel, écrasés par leur destin, déclenchant du même coup une émotion extrême. La beauté et l’élégance de ses fameux plans-séquences (nul n’en a jamais réussi comme lui), ses lents et parfois presque imperceptibles travellings accompagnant ses personnages avant que la caméra ne s’élève et dans de somptueux mouvements de grue ne vienne les surplomber, plaçant le spectateur comme en apesanteur, autant d’actes de pur cinéma qu’il maîtrisait à merveille et mettait au service d’une véritable vision. Sur sa tombe est écrit : Le plus grand cinéaste du Monde. Pas certain qu’il y ait exagération…

Filmographie de Kenji Mizoguchi :

1930 Le Pays natal Okichi, la maîtresse de l’étranger 1931 Et pourtant, ils s’avancent 1932 Les Dieux de notre temps L’Aube de la fondation de la Mandchourie 1933 Le Fil blanc de la cascade La Fête de Gion, Groupe Kamikaze 1934 Le Col de l’amour et de la haine, Osen aux cigognes 1935 Oyuki la vierge, Les Coquelicots 1936 L’Elégie de Naniwa,  Les Sœurs de Gion 1937 L’Impasse de l’amour et de la haine 1938 Ah, le pays natal !, La Chanson du camp 1939 Histoire des chrysanthèmes tardifs 1940 La Femme d’Osaka 1941 La Vie d’un acteur 1942 Les 47 Ronins 1944 L’Histoire de Miyamoto Musashi 1945 L’Epée Bijomaru, Le Chant de la victoire 1946 La Victoire des femmes Cinq femmes autour d’Utamaro 1947 L’Amour de l’actrice Sumako 1948 Les Femmes de la nuit 1949 Flamme de mon amour 1950 Le Destin de Madame Yuki 1951 Miss Oyu, La Dame de Musashino 1952 La Vie d’Oharu, femme galante 1953 Les Contes de la lune vague après la pluie, Les Musiciens de Gion 1954 L’Intendant Sansho, Une femme dont on parle Les Amants crucifiés 1955 L’Impératrice Yang Kwei-Fei Le Héros sacrilège 1956 La Rue de la honte  

Disponibles en DVD : deux sublimes coffrets distribués par GCTHV :  1. Les Amants crucifiés, L’Intendant Sansho, L’Impératrice Yang Kwei-fei, Le Héros sacrilège + DVD bonus. 2. Les Contes de la Lune vague après la pluie, Miss Oyu, La Vie de O’Haru, Les Musiciens de Gion, La Rue de la honte.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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