Vendredi 11 février 2005 à 20h45
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Hirokazu Kore-Eda – Japon – 2004 – 2h21 – vostf – Interdit au moins de 12 ans
Quatre frères et soeurs vivent avec leur mère. L’ainé, Akira, s’occupe de ses jeunes frères et soeurs, chacun d’un père différent. Un matin d’hiver, leur mère disparaît et les enfants commencent à vivre seuls.
Notre critique
Par Philippe Serve
Une oeuvre de la maturité où l’émotion le dispute à la pudeur
Dans son premier film, Maborosi (1995), Hirokazu Kore-eda traitait déjà de l’absence (un mari suicidé) et de la nécessité de survivre et de reconstruction d’une jeune femme et de son petit garçon. Un beau film, magnifiquement cadré et photographié mais handicapé par une lenteur par trop systématique et pas toujours justifiée. Une lenteur qui, à l’inverse, donnait toute sa plénitude au deuxième film du cinéaste nippon, le superbe After Life (1998). Le thème de la Mort devenait le sujet même du film et l’expérience démontrait un saut qualitatif évident. Avec Distance, Hirokazu Kore-eda trouvait une sorte de reconnaissance sous la forme d’une sélection pour la compétition officielle du Festival de Cannes (2001). Encore et toujours la Mort, via les conséquences meurtrières de la secte Aum. Trois ans plus tard, le cinéaste était de retour sur la Croisette où il créait l’un des événements majeurs de la dernière édition. Le premier intérêt du film, sur un plan scénaristique, est de nous montrer le long et lent processus menant à la perte. Un point en faveur duquel la lenteur joue pleinement son rôle puisque grâce à elle le spectateur a l’impression de suivre au quotidien cette impitoyable descente en enfer. Impression renforcée par la durée même du tournage, une année entière afin de respecter non seulement les saisons mais aussi la croissance réelle des jeunes interprètes. Ici, pas de raisons sociales ou politiques à la dégradation des conditions de vie. La cause est humaine mais reste pour une bonne part hors de notre portée. Il serait tentant d’appliquer à Nobody Knows l’étiquette de récit d’apprentis- sage, si usitée dès qu’un ou des enfants occupent le centre de l’écran. Mais l’erreur serait sans doute grande. Même si l’on se doute bien que, à la fin du film, Akira aura mûri au travers des douloureuses épreuves traversées. Pour illustrer son histoire (adaptée de faits réels), Hirokazu Kore-eda devait se garder de trois pièges : sentimentalisme, démonstration et misérabilisme. Non seulement il les évite mais il ne s’en approche même pas. Et là il gagne définitivement son pari. Toute sa mise en scène repose sur une énorme pudeur et un style « cinéma vérité » où simplicité rime avec perfection. On retrouve ici les qualités purement cinématographiques déjà mises en lumière dans ses films précédents. On apprécie en particulier cette maîtrise des plans rapprochés ou gros plans signifiants d’objets, d’une main, d’une tâche de vernis à ongle qui ressemble trop à du sang et qui finira par ne plus laisser qu’une ombre de regret : celle de la mère. Cette oeuvre de la maturité s’avère le film le plus facile d’accès de tous ceux de son auteur et dégage une émotion d’autant plus intense qu’elle s’impose peu à peu, comme une évidence. La référence explicite au chef d’œuvre d’animation de Isao Takahata, Le Tombeau des Lucioles (1987) ne se trouve pas là par hasard. Si Nobody Knows nous parle si fort, c’est que sous sa surface très japonaise, il renferme un vrai universalisme. Cette histoire aurait aussi bien pu se passer à Londres, New York ou Nice qu’à Tokyo. Un mot sur le Prix d’interprétation accordé à Cannes au jeune interprète de Akira, Yûya Yagira. Comme d’habitude lorsque des enfants ou des nonprofessionnels sont récompensés, certains s’offusquèrent. Même si d’autres acteurs le méritaient tout autant (en tout premier lieu au formidable Choi Min-sik pour Old Boy), ce prix est loin d’être volé tant le jeune garçon tient son rôle avec une intelligence et une finesse tout à fait exceptionnelle.
Filmographie :
Maborosi (1995) / After Life (1998) / Distance (2001) / Nobody Knows (2004).
Sur le web
Nobody knows a été présenté en sélection officielle, en compétition, au Festival de Cannes en 2004. Il en est reparti auréolé du Prix d’interprétation masculine, décerné à Yagira Yuya, qui joue le rôle de l’aîné des enfants. A 14 ans, c’est le plus jeune comédien récompensé sur la Croisette. Toutefois, Yagira Yuya, contraint de rentrer au Japon pour y passer des examens, n’a pu venir chercher son prix le soir de la cérémonie. « Ses examens se sont mal passés, mais il espère qu’avec ce prix, le professeur sera plus compréhensif et indulgent avec lui… » a déclaré avec humour Kore-Eda Hirokazu, venu récupérer le trophée. Le jury cannois était présidé par Quentin Tarantino.
Comme pour son précédent film, Distance -présenté à Cannes en 2001-, dont le point de départ est le massacre d’une secte, le cinéaste s’est inspiré d’un fait divers, connu sous le nom de « l’affaire des quatre enfants abandonnés de Nishi-Sugamo« , qui avait marqué le Japon en 1988. « Ce fait divers a suscité en moi diverses questions. la vie de ces enfants ne pouvait pas être que négative. Il devait y avoir une richesse autre que matérielle, basée sur des moments de complicité, de joie, de tristesse et d’espoir. Je ne voulais donc pas montrer « l’enfer » vu de l’extérieur, mais « la richesse » de leur vie, vue de l’intérieur. »
Kore-Eda Hirokazu n’a pas fait lire de scénario aux enfants, et a fait peu de répétitions, adaptant certaines situations à la personnalité des comédiens (notamment pour le choix des aliments lors des scènes de repas). Le tournage s’est déroulé dans l’ordre chronologique, de l’automne 2002 à l’été 2003, afin de rendre compte des changements de saisons, et de suivre l’évolution physique et psychologique des jeunes comédiens. Les scènes ont été montées au fur et à mesure du tournage.
Kore-Eda Hirokazu explique comment il a choisi le jeune acteur qui tient le rôle principal : « J’ai été frappé par le regard perçant de Yagira Yuya. Au cours de cette année de tournage, Yuya a beaucoup grandi et sa voix a mué. Au début, il était timide, alors qu’à la fin du tournage, c’est lui qui menait le groupe. C’est en partie un hasard si Yagira Yuya s’est développé dans la vie réelle comme son personnage qui passe de l’enfance à l’âge adulte. Le cinéma, c’est de la fiction, mais c’est aussi un bout de pellicule sur lequel est fixé un morceau de ma vie et de sa vie. »
Dans Nobody knows, Kore-Eda Hirokazu évoque un problème de société, celui des enfants livrés à eux-mêmes : « D’après les statistiques du Ministère de l’Education nationale, le nombre d’enfants entre 7 et 14 ans au domicile inconnu est passé de 533 en 1987 à 302 en 2000 mais ces chiffres ne concernent que les enfants dont la naissance a été déclarée », révèle le cinéaste. « Et si l’on tient compte du fait que la natalité a baissé, on peut supposer qu’il y a aujourd’hui plus d’enfants qui vivent clandestinement, comme c’est le cas d’Akira et de ses frères et soeurs. Cette affaire n’est donc pas un cas isolé propre à Tokyo, mais un problème de société qui nous concerne. Le protagoniste du film ne représente pas le jeune garçon de ce fait divers de 1988, mais un enfant comme il en existe des milliers aujourd’hui parmi nous, sans qu’on le sache. »
« On ne peut manquer de penser au Shara de Naomi Kawase, où la disparition a cette hésitation fantastique, au coin d’une rue, près d’une porte rouge vers un autre monde. Kawase et Hirokazu Kore-eda ont une expérience certaine dans le documentaire, un art commun de capter le réel ; ils partagent également le même chef opérateur, Yutaka Yamazaki, pièce maîtresse dans la pureté et la grâce quotidienne que distillent les deux films. Pourtant, l’absence chez le réalisateur de Nobody knows a un autre goût. Rien de surnaturel, plutôt de la terre qui emprisonne, salit les visages et abîme les vêtements. On ne s’envole plus guère pour offrir une vision du paradis, au contraire, on reste collé au sol infernal, observant les avions qui, eux, sont autorisés à déchirer les nuages. Et si la nuit noire possède chez Kore-eda des habits fantastiques, c’est par son sentiment d’inquiétude, son horreur vertigineuse. Le métro muet ramène toujours vers la maison et sa musique familière, finalement sourde, pas plus perceptible que le tic tac d’une pendule – ou d’un compte à rebours.
Le ton semble pourtant beaucoup plus léger dans Nobody knows que dans les précédents longs métrages de Hirokazu Kore-eda. Maborosi suivait les pas défaits d’une veuve, After life se penchait sur ce dont rêvent les morts, et Distance racontait le pèlerinage douloureux là où d’autres ont disparu. Nobody knows se base sur un fait divers dont les tournants peuvent s’annoncer sordides (une mère abandonne ses enfants à leur propre sort), mais la caméra de Kore-eda est à niveau du regard d’enfant. Naïve, innocente, insouciante. L’absence a le sucre de la liberté : l’école buissonnière se perpétue, la maison est un terrain de jeu, la superette un parc d’attraction. Les interdits s’écroulent, et une escapade dans la rue devient une grande aventure pleine de souffle et d’ivresse – même les chaussures poussent leur cri de joie. Avec la douceur mais aussi la cruauté d’un Takahata à son meilleur, Hirokazu Kore-eda peint l’enfance brisée dans un chef-d’œuvre qui n’aurait pas eu à rougir d’une Palme. » (avoir-alire.com)
Lors de la conférence de presse du Festival de Cannes, Kore-Eda Hirokazu expliquait pourquoi il avait choisi de confier le rôle de la mère à You, une vedette de la télévision au Japon, dont c’est la première expérience cinématographique : « Je voulais que la mère apparaisse comme quelqu’un d’humain. Si les spectateurs sortaient de la salle en se disant que c’est une personne odieuse, j’aurais le sentiment d’avoir échoué. Je voulais qu’on puisse la comprendre. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi You, qui dégage une grande humanité. » Sur le tournage, You s’est montrée très à l’aise avec les enfants, si bien que le cinéaste l’a impliquée dans la direction d’acteurs, et parle d’elle aujourd’hui comme d’un « deuxième metteur en scène« .
Pour l’image, Kore-Eda Hirokazu a de nouveau fait appel à Yutaka Yamazaki, chef-opérateur sur ses deux précédents longs-métrages, After Life et Distance. Ce directeur de la photographie a également été remarqué pour son travail sur Shara, un autre singulier portrait de famille, présenté à Cannes en 2003 et réalisé par Naomi Kawase, cinéaste venue, comme Hirokazu, du documentaire.
Jewel, la chanson qu’on entend pendant le générique de fin, est interprétée par la chanteuse Tate Takako, qui joue dans le film le rôle de la caissière de la supérette.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.
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