A Bread Factory 1ère Partie



Dimanche 02 Décembre 2018 à 14h

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Patrick Wang, USA, 2018, 2h02, vostf

Rencontre-débat en présence du réalisateur  Patrick Wang !

Il y a quarante ans, dans la petite ville de Checkford, Dorothea et Greta ont transformé une usine à pain désaffectée en un espace dédié aux arts : La Bread Factory. Mais un couple célèbre d’artistes-performeurs chinois est arrivé en ville et menace de récupérer les subventions culturelles permettant de faire vivre ce lieu. Non sans humour, les habitants de Checkford tentent de s’adapter aux changements et la Bread Factory de survivre…

Notre critique

Par Bruno Precioso

Est-ce un effet de l’état des choses aux Etats-Unis, une sorte d’état des lieux qui se complèterait, pièce après pièce, film après film, comme l’histoire de l’Italie contemporaine s’afficha tout au long des années 1970 ? Si ce puzzle est en voie d’être complété, nul doute que ce nouveau film de Patrick Wang en participe. Certaines circulations artistiques se nouent par des voies inattendues, sont parfois portées par une intuition bien plutôt que par une identité de forme ou un manifeste commun.  Par certains aspects ce pourrait être le cas entre le dernier film de Fred Wieseman, Ex libris, consacré à l’immense New York Public Library dans un moment de crise politique, et ce film de longue haleine et belle ambition, A bread factory, qui s’inscrirait alors comme un écho de contre-point au documentaire du vétéran Wieseman. On avait rencontré le cinéma de Patrick Wang à Cinéma Sans Frontières lors de la programmation, voici deux ans, de son poétique Grief of others (le Chagrin des autres en version originale, auquel la traduction française avait préféré le Secrets des autres). Ce 2ème long-métrage nous avait donné une certaine impatience de découvrir l’opus suivant tant il est vrai que le Grief of others avait suscité autant d’émotions que de questions enthousiastes, dès sa présentation à Cannes à l’ACID. Rien ne semblait pourtant gagné d’avance : son 1er film, In the family, n’avait pas connu de sortie officielle aux Etats-Unis, se contentant de quelques apparitions dans des salles de cinéphiles résistants ; même les habituels festivals du cinéma indépendant américain l’avaient refusé – par 30 fois ! – avant que les prix ne finissent par fleurir. En France, sa tardive sortie en salles n’était due qu’à l’opiniâtreté militante du distributeur (Ed Distribution, également distributeur de Bill Plymton et de Guy Maddin…) qui l’accompagne encore. A bread factory n’est que le troisième long d’un réalisateur de 42 ans qui ne fait pas grand-chose comme les autres : là où la majorité des réalisateurs se font connaître par des courts-métrages, son entrée dans le monde de la réalisation est un (très) long-métrage de 2h50… expérience totale pour Patrick Wang, qui écrivit le scénario, réalisa le film, le produisit (créant au passage la maison de production éponyme) et y joua un rôle ; c’était là sa dernière expérience d’acteur (5 rôles entre 2002 et 2006) et sa 4ème écriture de scénario.  Mais il est vrai que rien ne prédisposait ce fils d’immigrés taïwanais, étudiant au M.I.T. de Boston en physique et en économie, à devenir un jour cinéaste. C’est comme souvent le passage par le théâtre universitaire qui offrit à Patrick Wang l’hypothèse d’une carrière artistique alternative, et après avoir écrit et dirigé au théâtre en parallèle de son activité officielle d’économiste il écrivit des scénarios (à partir de 2006) avant de se décider à se lancer en 2010 dans la réalisation cinématographique, à 34 ans. L’annonce de la maladie de son père, événement déclencheur de cette conversion, explique sans doute aussi l’attention portée par Patrick Wang aux thématiques du deuil et de la famille.

« Scandaliser est un droit, être scandalisé, un plaisir. » (Pier Paolo Pasolini)

On pensait donc pouvoir suivre un cinéaste de l’intime, réalisant avec soin ses films à un rythme d’artisan, travail compliqué et ralenti par les difficultés de financement inhérent au chemin choisi. Mais A bread factory nous surprend par de multiples revirements. Revirement de forme d’abord : le film est en réalité un vaste projet de 4 heures divisé en deux parties de 2 heures chacune. Le 2 janvier sortira donc un deuxième volet, qui s’annonce comme assez largement différent du premier. Revirement de nature aussi, puisque Patrick Wang choisit d’embrasser la comédie pour traiter d’un sujet qui ne l’exigeait nullement ; il est ici question des difficultés de financement de l’art populaire, des mutations sociales et économiques des Etats-Unis… Rien de très souriant à priori, et un économiste de formation au regard critique ne saurait le sous-estimer. Le sous-titre (français) du premier volet de A Bread Factory, « Ce qui nous unit », pose d’emblée la logique d’écriture : le processus de formation et de résistance d’une communauté. Le lieu sera donc le cœur du film ; à moins que… La Bread Factory, une ancienne usine à pain de la ville fictive de Checkford, nous installe immédiatement dans un univers sociologique typé : une ville moyenne du Nord-Est des Etats-Unis. La réalité sociale – voire sociologique – sera donc l’enjeu majeur. A moins que… Dès les premiers plans et à mesure que le film se déroule naissent des rapprochements plus ou moins clairement identifiés, que le cinéphile joueur peut être tenté d’identifier ; mais on aurait tort de chercher trop systématiquement à inscrire le film ou son réalisateur dans une famille ou une fidélité fantasmée : après ses deux précédents longs, des critiques invoquaient Hou Hsiao-Hsien, dont Patrick Wang avouait peu après n’avoir jamais vu les films. Ou comme il le dit lui-même dans un entretien : « Après avoir parlé à plusieurs cinéastes, un critique me disait s’être rendu compte que leur réalisateur préféré était aux antipodes de celui auquel il s’attendait. Sans doute parce qu’ils ne cherchent pas de reflet d’eux-mêmes chez les autres, mais plutôt un moyen de dépasser leur propre vision. » Et il est effectivement question de dépassement, à commencer ici par dépasser les codes, les déborder pour produire un objet filmique inhabituel où les acteurs sont sollicités pour jouer de toutes les cordes dont dispose leur arc. Le réalisateur s’étant illustré dans la mise en scène de pièces du répertoire classique en vers (Médée dans une nouvelle traduction, dernièrement), on sent qu’il est à son aise dans tous les registres, quitte à chercher la surprise des spectateurs trop accoutumés à un standard cinématographique. Car le film est avant tout un film de comédiens – de troupe pourrait-on presque dire. La galerie de personnages qui s’illustre autour de la bread factory est mieux que riche et diverse : elle est au croisement de toutes les formes artistiques, elle est surtout le porteparole des mots qui règnent en maîtres. La bread factory sera donc un univers où le pouvoir de la langue dans tous ses états est manifeste. C’est que l’art – c’est-à-dire le plus souvent le mot – peut être le terreau d’une communauté. Ainsi le film se fait déambulation entre la satire et la comédie humaine, ne refusant pas même le prosaïque. La mise en scène est d’une sobriété exemplaire, mais on aurait tort d’en sous-estimer l’ambition éthique.  Il faut donc embrasser un film au croisement de genres et de discours à priori incompatibles à la fois comédie de manières, œuvre militante et assemblage d’expériences esthétiques, et qui cherche à établir entre ces entités étrangères les unes aux autres une harmonie, peut-être plus simplement une humanité commune. « Tu n’apprends rien de littéral chez un cinéaste que tu admires, ce que tu en retires, c’est plutôt une joie, une inventivité et de la beauté. C’est ce que je ressens par exemple chez Jacques Tati. Vous parliez de composition : personne, je crois, ne pourra jamais m’accuser de faire un film à la manière de Tati, mais je peux dire que j’ai énormément appris de lui. »  Ces mots pouvaient sembler incongrus dans la bouche du réalisateur du Grief of others ou de In the family, mais à regarder A bread factory, gageons que l’idée nous étonne moins !

Sur le web

A Bread Factory étonnera peut-être les fans des deux splendides drames précédents du cinéaste américain Patrick Wang : In the Family, histoire inoubliable d’une famille homoparentale brisée par le décès soudain d’un des deux pères, et Les Secret des autres, deux films qui tous deux questionnaient magnifiquement l’intime des personnages dans le cadre familial, personnages brisés par une tragédie et dont on voyait la douloureuse reconstruction, qui passait par l’ouverture de chacun aux autres en surpassant ses préjugés. De magnifiques œuvres humanistes qui pouvaient évoquer l’esprit d’un Capra. A Bread Factory est étonnamment une comédie plutôt jubilatoire autour de l’expérience étonnante d’un lieu culturel atypique installé, comme le titre du film l’indique, dans une ancienne boulangerie industrielle. Mais ce qu’on retrouve de Patrick Wang, c’est cette capacité à malaxer le réel pour en faire une fiction qui l’interroge, le transcende, le rend passionnant.

« Patrick Wang a été frappé et directement inspiré par son passage lors d’une projection dans un lieu absolument atypique : TSL (Time and Space Limited), à Hudson dans l’Etat de New York (à sa fondation en 1973, TSL était implanté à New York même, mais a dû déménager face à la pression immobilière), un lieu pluri-culturel tenu à bout de bras par un collectif particulièrement stimulant, mené par ses ses fondatrices, les incomparables Claudia Bruce et Linda Mussman. Tombé amoureux du lieu et de ses deux créatrices, Wang a construit une fiction dans laquelle (ce qui est tout à fait probable par les temps qui courent où chaque lieu indépendant peut être frappé par la gentrification qui frappe de Marseille à New York en passant par Montreuil ou Berlin) l’oasis culturelle de la Bread Factory est menacée par l’arrivée au bout de la rue de riches artistes contemporains qui ont décidé de créer un lieu branché qui a toute les faveurs de la municipalité, bien décidée à reporter ses subventions sur les nouveaux arrivants.

Patrick Wang décrit magnifiquement, pas à pas, les différents personnages qui font la diversité de la Bread Factory, avec les projectionnistes même pas pubères, les réalisatrices qui pètent les plombs quand on ne leur pose pas de questions dans les débats… Mais il décrit surtout la lutte à la fois cocasse et fondamentale de David contre Goliath, de l’équipe de la Bread Factory face à la technocratie et face à la gentrification inexorable, même dans cette petite ville. Le tout dans un style volontairement facétieux, voire fantaisiste, porté par deux actrices formidables, notamment Tyne Daly, actrice très connue du public américain pour ses séries à succès…On est impatient de découvrir la deuxième partie qui sortira sur les écrans début janvier… » (cinemas-utopia.org)

« À toute communauté il faut, pour exister pleinement, une scène. Un espace de représentation où la fiction puisse prendre le relais de la réalité et y résoudre les conflits les plus archaïques ou les plus fondamentaux qui agitent la Cité. Les Grecs l’avaient bien compris, qui inventèrent le théâtre, lieu par excellence de réunion de la communauté, espace de rencontre entre esthétique et politique. Et c’est à cette rencontre que nous convie à son tour Patrick Wang dans A Bread Factory, dont le personnage principal est précisément le lieu qui donne au film son titre, soit un centre culturel à qui la municipalité menace de retirer sa subvention vitale. Le film orchestre ainsi l’affrontement de deux visions du monde : technocratie vs démocratie. Mais il le fait sans recourir au spectaculaire, préférant s’attarder avec attention sur chaque membre de cette communauté. Patrick Wang travaille son film comme un diamantaire, facette après facette, scène après scène, avec une grande et belle précision dans la construction de chaque plan, jusqu’à obtenir l’éclat sans pareil de l’ensemble. Si sa mise en scène convoque tout à la fois le soap-opera et une fantaisiste artificialité à la Wes Anderson, c’est pour mieux faire ressortir la vérité et parfois la cruauté des situations et des relations entre les personnages. Avec au bout une victoire, celle de la sensibilité, de l’intelligence, de l’art comme résistance collective aux tentations individualistes, marchandes, superficielles et délétères. Dans l’Amérique de Trump – et notre vieille Europe aux démocraties malmenées – cette chronique sensible et politique d’un bien commun affirme sa brûlante nécessité ; comment comprendre autrement la référence à Hécube d’Euripide qui préfère mourir libre que vivre esclave ? A Bread Factory ou la dignité retrouvée des États-Unis, sauvée par un cinéaste, au sens fort du mot, politique. » (lacid.org)

« A Bread Factory, est, lui aussi une histoire de familles,  construite autour de deux beaux personnages de femmes, Dorothea et Greta, qui ont crée un lieu vivant, entre le centre d’art et la maison de quartier, dans la petite ville de Checkford, après avoir racheté une bread factory (usine à pain) désaffectée. Ce lieu est un genre de coeur battant, social, artistique pour les habitants de Checkford et leurs kids. Rencontres, échanges, créations (cinéma, théâtre, poésie), bref un lieu autour de la création, un lieu qui fait réver…Or voici qu’est arrivé en ville un couple d’artistes performers chinois, May et Ray, qui non seulement ont fait construire un gigantesque bâtiment en plein coeur de la ville (qui fait donc de l’ombre à la bread factory) mais manoeuvrent pour effectuer une sournoise captation de subventions, un sino-siphonnage de pépettes qui, s’il était voté, empêcherait la bread factory de continuer à fonctionner. Et donc Dorothea et Greta vont faire leur possible pour faire basculer en leur faveur le vote des décideurs de subventions… C’est à la fois très simple et très complexe : Patrick Wang nous présente un grand nombre de personnages, au départ sans notice explicative, et c’est à nous spectateurs d’être attentifs et de relier entre eux (dans l’ordre) les points narratifs numérotés pour réussir à avoir une vue d’ensemble, reconstituer les familles (réelles ou pas, qui est parent de qui, qui aime qui, qui travaille avec qui, et pour qui) mais pas besoin d’être inquiet, il le fait avec beaucoup d’attention, de tendresse et d’humanité. Ce sont les petites histoires de chacune et chacun qui vont progressivement s’agencer pour tenter de nous montrer ce qu’est vraiment ce lieu, et tout ce qui s’y vit.

C’est un film centré sur la parole, le temps de parole de chacun(e), sur les différentes façon de la donner et de la prendre. De s’exprimer, d’échanger. Non seulement via les différents intervenants et ateliers de la bread factory (y compris les enfants), mais aussi lors de la longue séance finale (précédant le fameux vote) où les deux parties en présence (la bread factory vs May & Ray, le petit peuple américain affrontant l’art institutionnalisé, le David du do it yourself opposé au Goliath du profit et des montages financiers) vont, successivement, défiler à la barre les témoins de chaque parti(e), pour tenter de faire pencher les votants en leur faveur… 
Et c’est délicieux. Car le film est beaucoup plus qu’un simple bout-à-bout de prises de parole (individuelles ou duelles). Bien plus fort, plus touchant, plus humain. Deux vieilles dames, d’autres plus jeunes, un très jeune projectionniste, un très vieil acteur, un apprenti journaliste, un poète timide, une cinéaste rentre-dedans, une traductrice pas sûre d’elle, etc., sont donnés  à voir. Se croisent, s’affrontent, se cherchent, s’évitent, se trouvent…Et le titre français, Ce qui nous unit, me semble (pour une fois ?) plutôt bien trouvé. Patrick Wang a réalisé un film sur les rapports (humains) sous leurs différentes formes, qu’ils soient affectifs ou conflictuels, familiaux ou administratifs, intellectuels ou quotidiens, mais sans jamais être un film théorique, juste un film… juste. Le genre qui peut simplement servir à vous redonner de l’espoir. » (canalblog.com)

« Patrick Wang est un artiste singulier puisant dans une riche tradition. L’accent mis sur le fonctionnement d’une institution américaine peut rappeler certaines des grandes comédies de Robert Altman ou les documentaires de Frederick Wiseman.  Mais aussi, le flou de la ligne de démarcation entre performance et réalité, l’embrassement d’une théâtralité intime, rappelle le travail de Jacques Rivette.  Ce sont des géants du cinéma, et ce réalisateur pourrait bien être sur le point de les rejoindre.  » (Bilge Ebiri, choix des critiques, New York Times)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.

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