Chico et Rita



Lundi 28 Février 2022 à  20h – 19ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film d’animation de Fernando Trueba et Javier Mariscal, Cuba – Espagne, 2011, 1h34, vostf

Cuba, 1948. Chico, jeune pianiste talentueux, écoute les derniers airs de jazz venus d’Amérique, en rêvant de s’y faire un nom. De son côté, la belle et sauvage Rita essaie de gagner sa vie en chantant dans les clubs et les bals populaires, où sa voix captive toute l’assistance. Des bordels de la Havane à New York, en passant par Hollywood, Paris et Las Vegas, la musique et ses rythmes latinos vont les entraîner dans une histoire d’amour passionnée, à la poursuite de leurs rêves et de leur destinée.

Notre article

par Josiane Scoleri

Chico et Rita est un film qui fait du bien. À condition, bien sûr, d’aimer la musique cubaine et le jazz de la grande époque, celle de Charlie Parker, Thelonious Monk et Dizzy Gillespie. Si c’est bien le cas, le film fait littéralement, dès les premières minutes, l’effet d’un bain de jouvence. Par sa fraîcheur, par la fluidité du dessin, par les couleurs. Tout concourt à nous transporter. À Cuba d’abord, dont nous ressentons jusqu’à la chaleur et au goût des cocktails. Cette première partie est un hymne à la jeunesse, à la joie de vivre et aux rêves de gloire de tout artiste qui aimerait bien se voir « en haut de l’affiche ». Le dessin de Mariscal a cette simplicité de trait qui colle au récit et à l’époque, un côté artisanal, presque vieillot par rapport à la prévisibilité du trait numérique d’aujourd’hui. D’ailleurs Mariscal, graphiste et dessinateur de B.D. soutient que Chico et Rita est avant tout un film dessiné, bien plus qu’animé au sens actuel du terme. Et si nous sommes immédiatement à La Havane d’avant la révolution, cela tient autant à ce parti pris pictural qu’à la musique qui enveloppe entièrement le récit. La mise en scène et le dessin participent ainsi à part égale et de façon organique à la création du film. Jusqu’aux mouvements des personnages, qu’ils marchent ou qu’ils dansent, dans un rendu est beaucoup plus proche de réel, avec les changements de rythme, les hésitations de quelqu’un en chair et en os. Et pourtant, le dessin ne cherche pas être réaliste. Bien au contraire, tous les personnages sont clairement stylisés et il s’en dégage néanmoins une sensualité omniprésente qui parcourt le film comme un fil rouge. En cela l’animation ajoute une strate supplémentaire à la fiction et nous transporte encore plus loin dans la dimension rêvée/ fantasmée du cinéma. Dans Chico et Rita, ce va-et-vient joue un rôle particulièrement subtil, car les détails qui recréent les lieux sont exceptionnellement soignés. Notamment l’architecture de La Havane avec les cabarets d’avant la Révolution ou celle de New-York et ses clubs de jazz plus ou moins clandestins de l’époque. Sans oublier l’arrivée en bateau dans la baie de l’Hudson, face à la statue de la Liberté ou la traversée du pont de Brooklyn, des images qui font aujourd’hui partie de l’inconscient collectif du monde entier. Les couleurs apportent aussi leur contribution au portrait des villes et des personnages. Si Cuba est baignée d’une lumière jaune-orangée où les rapports entre les gens sont chaleureux, New- York est irrémédiablement grise et froide, avec ses multiples néons et ses courses poursuites en voiture. C’est la jungle urbaine que le cinéma américain nous a appris à connaître.

Et c‘est bien là que tout se joue, l’hommage au cinéma d’Il était une fois Hollywood, comme qui dirait Tarantino, est tellement présent qu’on se demande par moment si le film tout entier n’est pas un prétexte à ces multiples coups de chapeau. Les comédies grandes musicales de Vincente Minelli ou Stanley Donen, ça va de soi. Mais les clins d’œil sont nombreux et apparaissent ainsi soudain au détour d’une scène Humphrey Bogart ou Marlon Brando au même titre que Fred Astaire et Joséphine Baker. Ravissement indicible du cinéphile. Jusqu’à la trame du film, un pur mélo comme on les aimait à l’époque, avec son immanquable dose de tragique et malgré tout le happy end qui finit nécessairement par arriver, même quand on n’y croyait plus. Cela dit Fernando Trueba est un cinéaste européen contemporain et à ce titre, il se doit de pointer du doigt ce qui était rarement montré dans le cinéma hollywoodien glamour des années 50. À savoir le racisme, la ségrégation, la drogue et les règlements de compte, les menus services rendus par la police à ceux qui ont les moyens et les conséquences dévastatrices pour ceux qui en pâtissent. L’histoire d’amour sert ainsi à dénoncer le statu quo dont s’accommodaient les bien- pensants et la plupart de ceux qui n’avaient pas à le subir. Encore une fois, le réel fait irruption dans la romance et il retentit avec d’autant plus de vigueur que nous voyons défiler moult figures célèbres qui ont marqué l’histoire de la musique et du cinéma. Ce sont les moments du film où Fernando Trueba nous empêche de nous installer complètement dans le revival nostalgique. Où Chico et Rita se révèle bien plus acidulé que ce que nous avions imaginé au départ. Mais quelque soient les péripéties des personnages, la musique est toujours présente. C’est elle qui structure le film et rythme les changements de décors, de lieux et d’époques. Car le film est entièrement construit sur un flash-back (l’outil de la nostalgie par excellence) et se passe en fait aujourd’hui. Chico en vieil homme fatigué, qui survit tant bien que mal comme cireur de chaussures, évoque à coup sûr les musiciens révélés par Wim Wenders dans le Buena Vista Social Club. La réalité dépasse toujours la fiction. Il ne s’agit pas de l’oublier. L’histoire de Chico est inspirée de la vie de Bebo Valdés, le grand pianiste cubain, considéré comme le père du Latin Jazz. Il connut la gloire dans les années 40 et 50, avant de s’exiler d’abord au Mexique, puis en Suède et survivre vaille que vaille en pianiste de bar. Le jazz, comme le rappelle le film, était la musique américaine par excellence et donc la musique de l’Empire ennemi après la victoire des barbudos de Fidel Castro. D’ailleurs, à la sortie du film, certains critiques n’ont pas supporté que les années d’avant la Révolution soient montrées comme une sorte d’âge d’or passant sous silence la dictature de Batista. C’est tout de même curieux comme la critique peut parfois passer totalement à côté d’un film et bouder son plaisir… Gageons que ce n’est certainement ni la première, ni la dernière fois.

Sur le web

Fernando Trueba est connu pour ses réalisations telles que Belle époque (1993) ou La Fille de tes rêves (1998), dans lesquelles Penélope Cruz tient les premiers rôles. Il a aussi tourné plusieurs documentaires consacrés à la musique dans toutes ses formes, que ce soit le Latin Jazz avec Calle 54 (2000) ou le flamenco avec Blanco y negro (2003)… En outre, il est aussi théoricien du cinéma et y a consacré plusieurs ouvrages. Il publie également des critiques de films dans le journal quotidien espagnol El Pais.

Bebo Valdés, né à la Havane, est considéré comme l’un des plus grands musiciens de Cuba. Né en 1918, il a derrière lui 70 années de carrière musicale. Rien que ça ! Ses premiers pas dans l’univers de la musique remontent aux années 1940. Pianiste de formation, il participe à l’émergence de différents sous-mouvements musicaux dans les années 50. Au moment de la révolution castriste, Valdés a quitté sa terre natale pour aller vivre en Suède. Il a passé les 30 années suivantes à jouer à Stockholm en tout anonymat. C’est grâce à Fernando Trueba que sa carrière est ensuite relancée. Durant les années 2000, il enregistre pas moins de six albums, histoire de rattraper le temps perdu… Et les récompenses fleurissent pour chacun de ses disques (élus Meilleurs Albums de Musique par différentes académies).

Fernando Trueba a commencé à plancher sur des ébauches à partir de 2004. A été écrite une première version du scénario et du story-board. Il a fallu ensuite trouver des producteurs intéressés et motivés pour financer la réalisation de Chico & Rita. Enfin, trois ans supplémentaires ont été nécessaires pour recruter les animateurs et les techniciens. L’idée de réaliser un film d’animation dans le milieu musical de la Havane à la fin des années 1940 a tout de suite émergé chez Fernando Trueba. Cette période est un moment charnière dans l’histoire de la musique cubaine, du fait que les musiciens de l’île ont rejoint le continent américain pour jouer avec des jazzmen à New York. Cette fusion s’est avérée tout simplement révolutionnaire…

Chico & Rita retrace l’évolution de la musique cubaine et l’histoire personnelle de ceux qui l’ont façonnée au cours du temps, mais fait également le lien avec les événements politiques et socio-économiques majeurs que Cuba a connu durant les années 1950. Fernando Trueba et Bebo Valdés se sont croisés à plusieurs reprises en Espagne. Les deux hommes ont commencé à travailler ensemble sur le tournage de Calle 54, film musical centré sur… la musique. Ensemble, ils ont voyagé aux quatre coins du monde et ont produit plusieurs albums dont El Arte del Sabor enregistré avec d’autres musiciens comme Cachao ou Carlos « Patato » Valdez… Fernando Trueba a également suivi Valdés lors d’un voyage au Brésil, ce qui donnera naissance au documentaire Le Miracle de Candeal (2004). Le scénario de Chico & Rita s’inspire beaucoup du vécu de Bebo Valdés. Des photos de jeunesse du musicien de 90 ans ont été employées pour dessiner le personnage de Chico.

Javier Mariscal, célèbre graphiste et dessinateur (on lui doit la création de Cobi, mascotte officielle aux Jeux Olympiques de Barcelone en 1922), a été contacté pour constituer l’univers visuel de Chico & Rita. Mariscal a alors entamé un voyage pour étudier près de l’île de Cuba afin de mieux la représenter au travers de ses dessins. Des archives photographiques ont servi d’appui pour reconstituer la ville de la Havane du temps des années 1940, avec ses ruelles d’époque, les façades des immeubles, la disposition des cafés, les codes vestimentaires. Avant leur collaboration sur Chico & Rita, Javier Mariscal et Fernando Trueba avaient déjà travaillé ensemble. Le dessinateur a conçu des affiches pour plusieurs films du réalisateur, ainsi que l’ensemble de l’iconographie et des clips d’animation pour le label Calle 54 Records dont Trueba est le propriétaire. Pour les dessins de Chico & Rita, Javier Mariscal et son frère Santi Errando ont souhaité proposer deux approches radicalement différentes. En effet, le film se déroule entre La Havane et New York. La capitale cubaine est une ville construite sur l’horizontalité tandis que les gratte-ciels de la Grosse Pomme en font une citadelle verticale. Les couleurs de La Havane sont chaudes et très variées, tandis que celles de New York sont en nombre plus réduit. La lumière dans la ville de Cuba est très solaire alors que l’obscurité et la pénombre règnent dans la métropole américaine. Buena Vista Social Club (1998) de Wim Wenders a servi de référence cinématographique pour la réalisation de Chico & Rita.

L’équipe de réalisation de Chico & Rita a organisé un tournage de 4 semaines avec des acteurs en prises de vue réelles à La Havane en 2007. Cette initiative a permis aux animateurs d’avoir toutes les informations et données visuelles sur la ville qu’ils allaient devoir recréer. Les mouvements des acteurs ont également pu être configurés à l’identique pendant le long travail de mise en animation.

Pour interpréter le sulfureux personnage de Rita, Fernando Trueba a décidé, après avoir organisé un casting de chanteuses à Cuba, de faire appel à deux personnes : Limara Meneses a été utilisée comme modèle physique et Idania Valdés en a été l’interprète vocal. Trueba souhaitait que la voix de Rita ait un timbre bien à elle, une puissance toute en retenue à la manière d’un murmure. Des compositeurs célèbres comme Chano Pozo, Charlie Parker, Monk ou Nat King Cole apparaissent dans Chico & Rita sous forme animée. Plusieurs musiciens de studio ont prêté leurs voix pour interpréter ces personnages authentiques. Ainsi, Nat King Cole est doublé par son propre frère Freddy Cole, et Chano Pozzo est incarné par Yaroldi Abreu, un percussionniste cubain. Quant à Chico, héros du film, c’est bien sûr Bebo Valdés qui se cache derrière sa voix. Estrella Morente, célèbre chanteuse espagnole de flamenco née en 1980, a accepté de prêter ses traits et sa voix pour Chico & Rita. Son personnage apparaît dans le film d’animation sur demande de Bebo Valdés, qui affirme être un de ses admirateurs : « Elle a un pied au 19e siècle et un pied au 21e ; elle n’appartient pas au 20e siècle. Il y a quelque chose de tellement profond et d’intemporel chez elle, mais aussi d’une grande modernité. » Fernando Trueba a refusé de réutiliser des morceaux classiques et d’en acheter les droits. Le cinéaste voulait que la musique du film paraisse dynamique, moderne et originale. La bande originale a donc été écrite et enregistrée spécialement pour Chico & Rita entre New York, la Havane et Madrid. Trueba a fait appel à des saxophonistes, trompettistes, batteurs pour imiter le style d’autan tout en faisant preuve d’innovation. Néanmoins, pour plusieurs séquences du film, des compositions d’époque ont été exploitées en tant que fond sonore et musical. Les musiciens participant à Chico & Rita ont été filmés pendant leurs sessions d’enregistrement. Les images ont servi de point de référence pour les dessins de Javier Mariscal et leur mise en mouvement. L’équipe de réalisation de Chico & Rita a voulu que les scènes de danse du film soient fidèles à celles qui étaient pratiquées à l’époque. L’accent a aussi été mis sur les différences entre les danses des années 1940 et celles qui sont aujourd’hui à la mode à Cuba. Afin de mener à bien cette démarche, Fernando Trueba et ses collègues ont pris contact avec l’Asociacion de Bailarines de Jazz de Santa Amalia, située à la Havane, et dont les membres ont tous plus de 70 ans. Les pas de ces danseurs sexagénaires ou octogénaires ont été filmés pour faciliter le travail de reconstitution et d’animation.

Chico & Rita a été projeté dans plusieurs festivals du monde entier dont celui du Film d’Animation d’Annecy ou celui de Toronto. Il a obtenu le Prix Cineuropa au Festival des Arcs et celui du Meilleur Film d’Animation à Goya.

« Il y a quelque chose à La Havane qui se prête admirablement à la nostalgie. Cela tient en partie à l’endurance des voitures américaines d’avant la révolution qui ont continué d’en sillonner les rues pendant des décennies, à la préservation accidentelle de décors qui ont disparu ailleurs, aux Etats-Unis ou dans le reste de la Caraïbe, emportés par la modernité. De cette apparente immobilité temporelle, Fernando Trueba, cinéaste, et Javier Mariscal, graphiste, tous deux espagnols, ont fait une histoire d’amour – qui traverse les décennies – portée par la musique. On se demande parfois ce qu’aurait donné l’idylle tourmentée qui unit Chico, le pianiste, et Rita, la chanteuse, si elle avait été interprétée par des acteurs. Mais, ici, elle est dessinée par Mariscal, animée sous la direction de Trueba. Les à-plats de couleur, le mouvement sinueux des lignes confèrent au film un charme languide presque irrésistible, auquel la musique de Bebo Valdes n’est pas étrangère.

La Havane, donc, de nos jours, au temps de l’interminable pénurie que supporte un vieillard revenu de tout. A la radio passe un vieux succès, qui déclenche un retour en arrière. En 1948, Chico est un pianiste prometteur, porté sur le rhum et les femmes. Rita vit de ses charmes, en dansant et plus avec les touristes états-uniens qui débarquent par paquebots entiers. Ils se trouvent, s’aiment, font de la musique et gagnent un concours avec la chanson que Chico écoutait plus tôt. Trueba (qui enseigne à l’école de cinéma de La Havane) se garde bien de faire un portrait idyllique de La Havane d’avant l’arrivée des barbudos. La ville est d’une beauté vénéneuse, qui ne cache pas son statut de bordel des Etats-Unis. Les amants se disputent, se séparent, se retrouvent à New York, dans Spanish Harlem puis à Las Vegas, où l’on vit sous la coupe des patrons mafieux. Sur la Côte est, dans le désert, ils croisent Mongo Santamaria, Dizzie Gillespie, Charlie Parker, Nat King Cole… Ils se disputent encore, aussi peu doués pour la vie commune que les amants du temps du choléra de Garcia Marquez…

… On garde un souvenir ému de Calle 54 (2000), le documentaire que Trueba avait consacré au mariage du jazz et de la musique afro-cubaine. Trueba a beaucoup fait pour la renaissance musicale de Bebo Valdes, né en 1918, exilé en Suède depuis 1960, qui a recommencé à enregistrer au milieu des années 1990. A ce contemporain exact du personnage de Chico, il a demandé la bande originale qui mêle compositions originales et standards, avec en prime une incursion de Stravinsky : on voit Chico remplacer au pied levé le pianiste du big band de Woody Herman, qui interprète l’Ebony Concerto de l’auteur du Sacre du printemps…

… Le dessin de Mariscal affranchit de ces interrogations. Le graphiste Mariscal a pris le parti d’un trait net, de grands aplats de couleur (si bien que ses compositions, avec leurs chromes luisants et les robes qu’on dirait décrochées de la garde-robe de Billie Holiday, ressemblent parfois à celles de Ted Benoît) aussi évocateur que la plus précise des reconstitutions historiques. La grâce du trait autorise aussi bien l’incarnation (les scènes volées à l’intimité de Chico et Rita sont d’une moiteur tropicale) que l’ellipse. Par son sujet et son scénario, Chico & Rita est un dessin animé pour les grandes personnes et pourtant on ressent en le voyant un émerveillement enfantin. » (lemonde.fr)

« Comme deux amants qui se frôlent, s’évitent, se détournent l’un de l’autre, puis se retrouvent toujours, la musique cubaine et le jazz new-yorkais s’entrechoquent constamment dans le nouveau film de Fernando Trueba et Javier Mariscal. Convaincus que la musique n’est pas qu’un joli papier peint, les metteurs en scène la replacent avec Chico & Rita au centre de l’intrigue. Elle n’est pas qu’une posture : elle est la passion, charnelle et dévorante, des personnages principaux. Elle jalonne leur rencontre, leurs désamours et leurs retrouvailles; surtout, elle fait exister le monde autour d’eux. Chico et Rita, protagonistes tragiques d’un amour idéal, nous emmènent avec eux à travers les lieux emblématiques de l’effervescence culturelle des années 1950. Le rythme est enlevé, effréné même parfois, et, inéluctablement, nous entraîne… Pas vraiment une comédie musicale, pas non plus une simple fiction, ni un documentaire, Chico & Rita est un film qui se pose intelligemment la question de la musique au cinéma, pour, avec beaucoup d’habileté, raconter à la fois une histoire, une culture et une époque.

Chico et Rita, pianiste et chanteuse, vivent une aventure amoureuse teintée d’une certaine irréalité. Passionnelle, de façon peut-être un peu trop immédiate, un peu trop cinématographique : leurs corps se jettent l’un à l’autre, aussi violemment qu’ils se repoussent ensuite. Leurs disputes pleines d’orgueil, leurs rancunes, et leurs réconciliations presque lyriques sont autant d’avatars de l’amour fantasmatique qu’ils incarnent. Sitôt qu’ils se retrouvent, leur magnétisme s’inverse toujours, et leur relation devient une incessante poursuite. Au contraire, autour d’eux se déploie un monde qui, lui, existe bel et bien. Du club populaire de Cuba à l’hôtel chic, puis à travers toutes les coulisses de la vie des musiciens new-yorkais, Chico & Rita donne à voir un univers bouillonnant de vie. Cette vie, c’est dans la musique qu’il la puise avec le plus de réussite. Les scènes de concert teintent toujours le tableau d’une lueur spéciale, un trait de couleur qui insuffle quelque chose de nouveau au monde, aux personnages — d’une certaine manière, une blue note. C’est au fil de ces instants qu’éclot, mélodie après mélodie, danse après danse, la chair du film.

Au générique ne défilent pas seulement les noms des voix de Chico, Rita et Ramón : le scénario est une version romancée de la vie du pianiste Bebo Valdés, ce sont ses mains qu’on entend sur le piano. C’est ce qui importe le plus dans les choix de casting de Trueba et Mariscal : non pas les voix qui parlent, mais les voix qui chantent, et les mains qui jouent. Pour tout amateur de jazz, Chico & Rita dégage une valeur supplémentaire, dans la manière dont il fait revivre avec une épatante réalité le jeu des musiciens du bebop. Apparition, fulgurante, de Thelonious Monk dans un jam du Village Vanguard. On pourrait redouter une impression de photo sépia, de nostalgie poussiéreuse, escapade dans un passé où plus rien ne vit vraiment. Au contraire : Chico & Rita est un film furieusement sensuel, où la musique réveille le monde, lui insuffle son rythme, libère les passions. Pas de joliesse passéiste, mais du corps, de la saveur : les couleurs sont éclatantes, l’univers extrêmement riche. L’animation fait le choix d’une certain langueur, qui tire parfois à la mollesse, mais travaille avec douceur. Ainsi que le chante Rita au matin : que yo guardo tu sabor, pero tu llevas también, sabor a mi. Chico, Rita, le jazz, la musique afrocubaine : tous s’imprègnent de la saveur de l’autre. » (critikat.com)

« L’animation profite de la liberté de sa distance au réel et de sa représentation sans contrainte des décors pour allier invention et poésie. C’est le pari gagné de Chico et Rita, un vrai bijou qui réjouit et laisse des traces… Chico et Rita nous plonge dans la nostalgie d’une musique et d’une époque, nostalgie de nos passions amoureuses aussi puisque le pianiste et la chanteuse s’aimeront férocement malgré les jalousies, la politique, le racisme et le pouvoir de l’argent qui ne cessent de les séparer. Ils côtoieront du beau monde auquel le film fait le cadeau de la fraîcheur de nouveaux enregistrements plutôt que de rester une compilation de vieux morceaux : le saxophoniste cubain Germá Velazco interprète Charlie Parker, Michael Philip Mossman joue Dizzy Gillespie, Jimmy Heath incarne Ben Webster, Nat King Cole est interprété par son propre frère Freddy Cole, Pedrito Martínez joue Miguelito Valdés et Chano Pozo est incarné par le percussionniste cubain Yaroldi Abreu. En plus de jouer leur musique, ils leur on prêté leur voix ! Mais c’est bien sûr Bebo Valdés qui domine le film, sans cesse au piano, pénétré par les sonorités du jazz que les musiciens cubains influencent à leur tour avec leurs rythmes latinos et africains.

L’aller-retour La Havane – New York oppose les couleurs cubaines enflammées à hauteur d’homme aux ombres monochromes des gratte-ciels de la métropole striée de publicités. Javier Mariscal a travaillé ses dessins à partir des photos des archives de La Havane et ça se sent : les décors tant intérieurs qu’extérieurs émerveillent et appuient considérablement la crédibilité du récit et la force poétique du film. La stylisation des personnages met leur gestuelle en avant et renforce le rythme et la fluidité des images. Leur sensualité transparaît, que la musique amplifie. Elle est préservée par l’utilisation des dessins « à l’ancienne » : ce travail d’artisan rappelle davantage Persepolis ou Valse avec Bachir que les froides prouesses des images de synthèse actuelles. Magnifique boléro syncopé, histoire d’amour de deux Espagnols pour la musique cubaine, Chico et Rita émeut et enchante à tous niveaux. » (africultures.com)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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Entrée : Tarif unique 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


 

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