Christo : Marcher sur l’eau



Vendredi 01 Octobre 2021 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Documentaire de Andreï M. Paounov – Italie/USA/Bulgarie – 2018 – 1h40 – vostf

Sera également diffusée une intervention filmée de Vladimir Yavachef, neveu de l’artiste plasticien Christo et directeur du projet d’empaquetage de L’Arc de Triomphe inauguré le 16 septembre dernier.

Sept ans après le décès de son épouse et complice artistique Jeanne-Claude, avec laquelle il avait empaqueté le Reichstag à Berlin ou encore le Pont Neuf à Paris, l’artiste d’origine bulgare Christo s’attelle à la réalisation de « The Floating Piers » (littéralement : les pontons flottants), sur le lac d’Iseo en Italie, une installation qu’ils avaient conçue ensemble des années auparavant, dans la droite lignée de leur projet artistique : s’emparer de monuments architecturaux ou de sites naturels pour les transformer et ainsi mieux les révéler, dans une temporalité toujours limitée. Présenté aux festivals de Locarno et Toronto, le film d’Andréï M Paounov est une plongée intimiste rare dans le monde hors du commun et sans compromis de Christo, où tractations entre art et politique, cauchemars logistiques et forces de la nature sont en ébullition permanente, et révèlent l’homme derrière l’artiste, dont toutes les œuvres sont autofinancées.

Notre article

par Josiane Scoleri

Christo, marcher sur l’eau fait partie de ces films qui nous ouvrent les portes d’un univers et nous permettent de l’habiter de l’intérieur. Nous plongeons littéralement dans l’œuvre de Christo. Elle nous enveloppe. Et c’est pour cette raison qu’il est plus que jamais indispensable de voir le film sur grand écran. Le plus grand possible. Et si Cinéma sans frontières avait pu le passer sur l’écran du Grand Rex, je vous garantis que nous ne nous en serions pas priver. Histoire de ressentir jusque dans la moelle épinière le mouvement des ondulations du lac sous nos pas et tout autour de nous, la brume qui s’accroche sur les collines du « paysage de la Joconde« , comme dit Christo dans le film. De fait, le monumental traverse tout l’œuvre de Christo et Jeanne-Claude et, à mon avis, le voir en petit, c’est déjà passer à côté.

Bien sûr, rien ne remplace l’expérience directe de l’œuvre, mais les installations de Christo sont éphémères dans leur essence même. Comment les éprouver une fois qu’elles ont été démontées ? Au-delà des dessins préparatoires de l’artiste et des millions de photographies, professionnelles ou amateurs qui documentent son travail, seul le cinéma permet de naviguer ainsi dans l’œuvre, du plus infime détail en très gros plan au survol panoramique qui nous permettent, l’un comme l’autre, d’aller au-delà des capacités de l’œil. D’ailleurs, vers la fin du film, Christo semble réticent à l’idée de faire un tour en hélicoptère au-dessus du lac et de son œuvre. Comme si elle n’avait pas été conçue pour ça. Mais la curiosité finit par l’emporter et, grâce au cinéma, nous avons la chance d’embarquer avec lui. Et de voir les pontons flottants comme aucun des visiteurs du site n’avait pu le faire. C’est la magie du cinéma. Christo a toujours insisté sur la sensation esthétique provoquée par l’œuvre au-delà, ou en deçà, de tout filtre intellectuel. Comme il avait coutume de dire: « Toute signification est de la propagande« . Et ses installations sont tellement puissantes physiquement, à la fois de par leur taille, les matériaux utilisés ou les lieux qu’elles occupent, qu’elles s’adressent d’abord à notre corps et à tous nos sens. Elles ont quelque chose de hautement improbable, souvent même de complètement incongru, et parlent ainsi directement à notre part de rêve. Et qui n’a pas rêvé de marcher sur l’eau!

La particularité de ce film est d’aller bien au-delà de l’installation des Pontons flottants elle-même. Il nous dévoile les différentes étapes du processus de création, toutes les embûches, les tracas et les tracasseries, les revers et les retournements de situation. Il nous montre concrètement tous les corps de métier impliqués dans la réalisation : les femmes qui cousent le tissu, les plongeurs, les pilotes des hélicoptères qui apportent les matériaux, les pompiers , les plongeurs et les stagiaires sur le terrain. Il nous montre aussi ce qui reste généralement dans les coulisses : les négociations, plus ou moins houleuses, avec les pouvoirs publics, le rôle des collectionneurs et le petit monde de l’art contemporain. Dans le même temps, sans jamais tomber dans la carte postale, la beauté des images font exister le film en tant que film. Elles sont à la hauteur de la splendeur du site et de l’œuvre elle-même qui changent selon la lumière, le vent ou la pluie. Les plans de nuit par exemple, sont tout simplement magnifiques. Surtout, le film nous donne à voir comment l’artiste est à la poursuite de son propre rêve. Inlassablement. Et dans le cas de Christo et Jeanne-Claude, on sait ce qu’il fallait de ténacité et de persévérance pour mener à bien chacun de ses projets.

Ce qui fascine dans l’œuvre de Christo, c’est comment cette idée simple, d’envelopper un objet, de le cacher en quelque sorte, permet de le révéler avec une intensité démultipliée. De le voir, comme on ne l’a jamais vu. Et plus encore, de le garder en mémoire sous cette forme-là. Y compris des années après, chaque fois qu’on se retrouve dans les lieux ou face au monument qu’on a vu empaqueté. Et puis, il ne s’agit pas d’oublier comment avec ses drapés et ses interventions in situ, Christo s’inscrit de plein pied dans l’histoire de l’art. Pour lui, les lacs du Nord de l’Italie, ce sont les paysages de la Renaissance italienne. Léonard de Vinci en tête qui était lui-même un artiste total, dessinateur aussi bien qu’architecte, ingénieur ou inventeur. Dans chacune de ses œuvres, la partie technique représente un défi colossal. Concevoir les matériaux et trouver les entreprises capables de les fabriquer, puis de réussir leur mise en œuvre en respectant rigoureusement le cahier des charges. Ça représente ici 220 000 cubes de polyéthylène, légers et suffisamment costauds , 160 ancres de 5 tonnes chacune, 70 000m2 de tissu, des centaines de kilomètres de cordage, etc, etc… Les chiffres sont vertigineux. Et ils le sont d’autant plus que l’œuvre est éphémère. Libre comme l’air, comme se vivaient Christo et Jeanne-Claude.

Sur le web

« A toutes les époques de l’histoire de l’art, l’utilisation des étoffes et de tissages a fasciné les artistes. Des époques les plus reculées à nos jours, la structure des tissus – les plis, les plissés, les drapés – a joué un rôle important dans la peinture, la fresque, le relief et la sculpture en bois, en pierre ou en bronze. L’emploi de tissu pour l’empaquetage du Reichstag, par exemple, se situe dans cette tradition classique. Le tissu – tout comme les vêtements et la peau – est une chose délicate. Il exprime la qualité unique de la fugacité… L’urgence d’être vu est d’autant plus grande que demain tout aura disparu… Personne ne peut acheter ces oeuvres, personne ne peut les posséder, personne ne peut les commercialiser, personne ne peut vendre des billets pour les voir… Notre travail parle de liberté ». (Christo et Jeanne-Claude)

« Notre projet parle de joie et de beauté. Il est totalement inutile, absolument. Personne n’en a besoin à part moi, mon épouse Jeanne-Claude, et quelques amis. C’est la raison pour laquelle les gens ont cette liberté inexplicable, irrationnelle, qui existe parce que le projet est ce qu’il est. Ce n’est pas de la propagande, il n’y a pas de message, pas du tout, c’est seulement un sentiment. Regardez-le, ressentez-le, marchez dessus, ouvrez tous vos sens ». (Christo et Jeanne-Claude)

« Pendant 40 ans, Christo et sa femme Jeanne-Claude ont rêvé d’un pont flottant, comme un dialogue entre la nature et l’architecture. C’est finalement en 2014, après le décès de son épouse, que Christo a pu mettre en œuvre The Floating Piers (2014-2016) en déroulant un tissu jaune de 100 000 m² sur le lac d’Iseo en Italie. Il y crée ainsi une promenade flottante de 3 km de long et 16 m de large reposant sur 220 000 flotteurs qui relient les petites rues de Sulzano à Monte Isola et à l’île de San Paolo. Le film, Walking on Water, suit Christo dans l’élaboration et la réalisation de cette œuvre, de 2014 à 2016. The Floating Piers n’est pas la dernière œuvre de Christo. Le plasticien avait le projet d’empaqueter l’Arc de Triomphe à Paris en 2020. L’événement a été reporté en 2021 en raison de la crise sanitaire et devrait se tenir en octobre, selon les instructions de l’artiste décédé en mai dernier.

Leur œuvre est indissociable de leur vie. Christo Vladimiroff Javacheff et Jeanne-Claude Denat de Guillebon sont nés le même jour, le 13 juin 1935. Lui en Bulgarie, elle au Maroc de parents Français. Le père de Christo possédait une usine de textile : le tissu, très vite, fut au cœur de leur art. Ils concevaient des œuvres monumentales, toujours payées par leurs soins… A Paris, New York ou Berlin, ils n’avaient de cesse de le répéter : Nous payons avec notre argent. Nous n’acceptons pas de sponsor parce que notre travail est un cri de liberté. Chaque projet était financé par la vente des travaux préparatoires : des croquis, dessins et collages.

Chaque empaquetage est une expérience globale. Il ne s’agit pas de comprendre. Il s’agit de changer son regard sur un décor familier… l’éphémère est le pilier de leur démarche artistique. Ils étaient convaincus que l’art ne peut exister que dans son temps. Mais ils ont prouvé que l’éphémère peut être indélébile. Leurs œuvres sont liées aux lieux et à l’histoire des lieux. Elles vivent pour toujours dans la mémoire collective ». (franceinter.fr)

« Les années parisiennes de Christo sont celles de la mise en place de son langage artistique : le travail en relief des surfaces, l’empilement, l’empaquetage, le début des vitrines occultées et, en collaboration avec Jeanne-Claude, le développement des projets monumentaux en extérieur, qui caractérisent la démarche créative des deux artistes », commente la commissaire des expositions Christo à Beaubourg, Sophie Duplaix.

Dans un entretien publié sur le site centrepompidou.fr, Christo explique comment son projet de Floating Piers est né : « Nous avons rencontré un historien de l’art argentin qui adorait ce que nous avions fait sur la côte australienne. Il nous a dit : « Venez en Argentine ! » Nous avons donc élaboré la proposition de Floating Piers pour le delta du Rio de la Plata en Argentine. Nous pensions à des eaux calmes. Le delta est immense, c’est comme la mer. Nous n’aurions pas eu de mal à y installer Floating Piers, mais nous n’avons jamais obtenu l’autorisation. Beaucoup de nos projets naissent des voyages que nous faisons pour rendre visite à nos amis. Nous avons essayé d’installer Floating Piers sur la baie de Tokyo au Japon en 1996. Nous avons travaillé très dur pour obtenir l’autorisation. Au dernier moment, nous avons eu un conflit houleux avec le maire de Tokyo, nous étions en désaccord sur les conditions et les restrictions. Nous sommes partis, tout simplement. Nous adorions ce projet avec Jeanne-Claude, mais il n’a jamais eu lieu. Alors quand Jeanne-Claude est décédée, j’étais encore plus décidé à le réaliser. Floating Piers a donc pris vie sur le lac d’Iseo en Italie. »

Interrogé sur le thème récurrent de l’eau dans son œuvre, il confie que « quand les gens regardent nos projets, beaucoup y voient de l’eau. C’est le cas de Wrapped Coast en Australie, et de Running Fence en Californie… L’eau, sa fluidité en contraste avec la solidité de la terre est présente dans beaucoup de nos projets. Il y a là une vraie dynamique. Nous sommes en quelque sorte attirés par elle parce que nous, êtres humains, sommes constitués de 75 % d’eau, c’est énorme ! Je pense qu’il y a une sorte de plaisir instinctif dans notre rapport à l’eau. Je ne sais pas expliquer pourquoi. Elle est très visible dans nos réflexions sur les différents projets. Et il ne s’agit pas seulement de l’eau, mais aussi de l’endroit où la terre et l’eau se rencontrent. Le littoral, les îles, les pieds du pont Neuf sont dans l’eau. Vous savez qu’après l’œuvre de la rue Visconti, la première proposition d’empaqueter un pont à Paris ne portait pas sur le pont Neuf, mais sur le pont Alexandre III. C’était au début des années 1970. Nous avons abandonné cette proposition très rapidement car ce pont n’a pas les pieds dans l’eau. L’énergie est dans la dynamique des matériaux et dans leur capacité à la traduire. Nous utilisons des matériaux très robustes, mais le tissu est toujours en mouvement. C’est là que réside l’incroyable plaisir. Le tissu peut traduire le vent. On peut voir le vent. Lorsque le tissu était installé sur Running Fence et Valley Curtain, on pouvait voir le vent. Le vent est invisible. Mais on le voyait dans la dynamique incroyable du tissu. Nous le voyions aussi dans Wrapped Trees, les arbres que nous avons empaquetés en Suisse en 1999″.

D’autres réalisateurs se sont intéressés au travail de Christo et Jeanne-Claude :

Christo in Paris de David Maysles, Albert Maysles, Deborah Dickson, Susan Froemke (1990) est un documentaire de 58 minutes tourné pendant six ans et sorti en 1990 qui suit les différentes étapes de l’empaquetage du Pont-Neuf. Des premiers repérages en 1979 jusqu’à l’aboutissement du projet en 1985, en passant par les rendez-vous avec les édiles parisiens, les frères David et Albert Maysles suivent pas à pas les coulisses de ce projet hors-norme.

From Chris to Christo de Chris Marker (1985) est un autre documentaire sur l’emballage du Pont-Neuf. Le cinéaste iconoclaste a filmé les réactions des passants face à l’œuvre éphémère. C’est à la fois drôle et édifiant de voir les regards interloqués des Parisiens pendant le montage, les pas hésitants des piétons sur la toile, d’entendre les commentaires sur l’art.

Au peuple allemand – Christo & Jeanne-Claude : le Reichstag empaqueté de Wolfram Hissen, Jorg Daniel Hissen (1996) qui raconte le combat du couple pour sa création, depuis la première idée en 1971 jusqu’à l’accueil chaleureux des Berlinois en 1995. (cnc.fr)

Les principaux empaquetages réalisés par Christo et Jeanne-Claude sont :

Wrapped coast à Sydney (1969).

Le couple choisit la côte de « Little Bay », une falaise sur 2,5 kilomètres au sud de Sydney balayée par l’océan Pacifique. C’est la première fois qu’ils s’attaquent à un espace naturel. Ils sélectionnent un tissu synthétique épais et blanc, utilisé par les agriculteurs, capable de résister aux vagues et à l’eau de mer salée. Christo pilote la mise en place de son installation titanesque nécessitant quelque 93.000 m2 de tissu, 56 kilomètres de corde, quinze alpinistes et une centaine d’artistes et architectes.

Musée d’art moderne à Chicago (1969)

Christo jette son dévolu sur le Musée d’art moderne de Chicago: il est séduit par sa structure-emballage en forme de boîte à chaussures. C’est sa première oeuvre américaine. En 1967, Christo s’était déjà fait la main sur la Kunsthalle de Bern, son premier empaquetage d’un édifice public.

L’empaquetage du Pont-Neuf (1985) En 1975, Christo se lance dans le projet de transfigurer le Pont Neuf, « berceau de la capitale et grand sujet de l’histoire de l’art », explique-t-il. « Empaqueté il passe du statut de sujet d’art à celui d’oeuvre ». Le maire Jacques Chirac est d’abord réticent mais le couple mène un intense campagne de persuasion pendant dix ans.

L’empaquetage du Reichstag, Berlin (1995)

Enveloppé d’un tissu argenté de 100.000 m2, l’empaquetage du parlement allemand n’est réalisé que vingt ans après la première demande d’autorisation de Christo. Rejetée plusieurs fois par Berlin, l’oeuvre n’a pu voir le jour qu’après un vote au parlement en 1994.

Les arbres du musée Beyeler à Riehen en Suisse (1997) –

Pendant de nombreuses années, Christo et Jeanne-Claude emballent des arbres. En 1997, ils revêtent les 160 arbres du musée Beyeler en Suisse d’un toile transparente de polyester mêlée de fibres argentés. Leur idée est de voiler pour mieux dévoiler. Les arbres sont transformés en objets changeants. Ces apparitions incongrues permettent de rendre visible le vent qui s’engouffre dans le tissu.

L’Arc de Triomphe, Wrapped (2021)

Poursuivant leur série de projets « d’emballage » monumentaux, l’Arc de triomphe de l’Étoile à Paris est enveloppé de 25 000 mètres carrés de tissu recyclable en polypropylène argent bleuté et de 3000 mètres de corde recyclable en polypropylène rouge, initialement prévu pour l’automne 2020. Celle-ci a été reportée d’un an, en raison de la pandémie COVID-19 en France et son impact sur le secteur des arts et de la culture dans le monde. Après la mort de Christo, son bureau a déclaré que le projet serait néanmoins achevé.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri. Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

Entrée : Tarif unique 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


 

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