Samedi 05 Novembre 2022 à 20h
Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice
Documentaire de Mitra Farahani (France, 2022, 1h37)
La saison 2022/2023 n’est pas une année ordinaire, c’est celle de nos 20 ans, ce qui mérite bien un peu de fantaisie.
Nous vous proposons donc un film-surprise. Film inédit à Nice, sorti récemment à Paris dans seulement deux salles du Quartier Latin, c’est à Cinéma sans frontières et nulle part ailleurs. Un pur délice de cinéphiles.
Bravo au 4 personnes qui ont découvert le film-surprise!
La chronique d’une rencontre cinématographique, celle entre Ebrahim Golestan et Jean-Luc Godard, deux artistes majeurs qui, du moins en Occident, n’ont pas atteint le même niveau de notoriété. Beaucoup de temps a passé depuis les années 1960, et la Nouvelle Vague iranienne est restée en grande partie inconnue, éclipsée par la renommée de son homologue européenne. Mais est-il trop tard pour réunir deux figures de proue de ces expériences éloignées ? « Commençons par une correspondance », dit Godard, « peut-être que ça ne correspondra pas. Ebrahim peut m’envoyer une lettre par e-mail ce vendredi, et moi je lui répondrai vendredi prochain. Donc, à vendredi, Robinson ! ». C’est ainsi que le film se déroule, suivant parfois une trajectoire linéaire, le plus souvent en empruntant des chemins de traverse, jalonnés d’espoirs déçus, d’intuitions géniales et de résistance qui ponctuent la confrontation entre les deux interlocuteurs.
« Ce sont deux joueurs de poker qui ne jouent pas le jeu mais se montrent leurs cartes pour continuer, en ce sens ils trahissent chacun leur milieu. » Jean-Luc Godard
MITRA FARAHANI
Née en 1975 à Téhéran, Mitra Farahani est une plasticienne, réalisatrice et productrice travaillant entre Rome et Paris. Après l’obtention d’un diplôme en Arts plastiques à Téhéran, elle s’installe à Paris en 1998. Elle poursuit depuis une double pratique entre l’image fixe et l’image en mouvement. À vendredi, Robinson s’inscrit dans la suite de son dernier film Fifi hurle de joie, comme un diptyque cinématographique, où la réalisatrice continue son travail d’exploration du passé présent.
« À vendredi, Robinson n’est pas un film où le public attache sa ceinture pour une promenade sur un sentier battu. C’est un film off-road. » Mitra Farahani
EBRAHIM GOLESTAN VU PAR EHSAN KHOSHBAKHT
« Figure sans laquelle la notion de cinéma d’art iranien aurait été une perspective peu probable, Ebrahim Golestan est né en 1922 à Shiraz. Dès son plus jeune âge, il se consacre à la réalisation en produisant des images d’actualité pour les chaînes de télévision occidentales […]. En parallèle, Golestan mène une carrière littéraire et politique. Il traduit les œuvres de Lénine et rejoint le Parti communiste d’Iran en tant que trésorier. Cependant, désillusionné par son traitement des problèmes contemporains, il se réoriente vers la littérature : il écrit des romans et des essais et traduit Hemingway, Faulkner et Dostoïevski en persan. En 1958, il fonde son propre studio et réalise une douzaine de documentaires, désormais classiques, et deux célèbres films de fiction. Ses documentaires, poétiques et subversifs, donnent un poids égal à des images et des mots éloquents et intensément allégoriques. La Brique et le Miroir (1964) témoigne du talent de Golestan et en fait le parrain de ce qui allait être surnommé la Nouvelle Vague iranienne. Ce premier véritable chef-d’œuvre du cinéma iranien n’a pas été entièrement compris à sa sortie, mais sa réputation a évolué au fil des ans. La Brique et le Miroir répond à une société paralysée par la peur, corrompue dans tous les domaines. Réalisé avec une petite équipe de cinq personnes, au format large et en son direct (deux procédés très rares pour un film iranien à cette époque), le film établit une représentation universelle de la moralité défaillante et de l’aliénation, à travers l’histoire d’un chauffeur de taxi et de sa petite amie partant à la recherche de la mère d’un bébé abandonné. Golestan a également produit des films d’autres réalisateurs, dont l’unique film réalisé par la poétesse Forough Farrokhzad, La maison est noire (1962). Ce film obsédant sur une colonie de lépreux combine l’art de Golestan autant que celui de Farrokhzad. Ce sont les mots et la voix de Golestan que l’on entend dans les premiers instants du film, parlant de la lèpre. Sa voix de la raison contraste avec l’empathie angoissée de Farrokhzad. À 100 ans, il est toujours occupé à produire son travail depuis son manoir gothique dans le Surrey. Son dernier livre a été publié l’année dernière. La croyance de Golestan dans les mots et la beauté reste aussi ferme que celle d’un prophète. […] » (Extrait d’un article de Sight & Sound, février 2022. Ehsan Khoshbakht est conservateur et critique de cinéma)
Sur le web
« Mitra Faharani signe une rencontre cinématographique faite d’ombres et de lumières entre deux monuments des cinémas d’Orient et d’Occident, Ebrahim Golestan et Jean-Luc Godard. Jean-Luc Godard nous a quittés la veille de la sortie nationale du film en France, laissant à Ebrahim Golestan, cent ans cette année, le privilège d’une dernière lettre filmique interrompue en chemin.
En réinventant les lettres persanes entre d’illustres fondateurs des Nouvelles Vagues françaises et iraniennes, Mitra Faharani convoque toutes les manières de communier et de communiquer entre artistes. Rétablissant un langage de Babel universel et faisant de l’art de la citation une industrie, les outils numériques créent cette familiarité et cette proximité entre deux créateurs de beauté. L’un des messages de Jean-Luc Godard se conclut comme un diagnostic poétique : « Fièvreusement vôtre, JLG », lui écrit-il. Les deux se mesurent l’un à l’autre par écrans et surtout claviers interposés. Les écrans des cinéastes sont envahis de mots écrits, de calligraphies et d’aphorismes. Clin d’œil à cet esprit d’innovation qui fait des nouvelles vagues des déferlantes sur les vieilles traditions de cinéma à papas, il provoque et, conforme à l’esprit de Montesquieu, manie l’ironie, l’auto-dérision et l’humour. Pour autant, la parole prémonitoire – « Avec lui, disparaîtra la source d’une certaine beauté » prononcée en persan par Ebrahim Golestan à la fin du film – résonne étrangement. Le fait pour Jean-Luc Godard d’avoir choisi sa mort et le moment de celle-ci ne peut que nous troubler. Ebrahim Golestan poursuit ainsi : « Mais la beauté ne disparaît pas. Elle circule. » » (avoir-alire.com)
« En 2014, la réalisatrice et plasticienne Mitra Farahani, grande admiratrice de son compatriote Ebrahim Golestan, considérable figure du cinéma iranien mais aussi de la littérature et de la politique, a l’idée de lui faire rencontrer Jean-Luc Godard. Vu l’âge des protagonistes (le premier est né en 1922, le second huit ans après), l’échange se fait à distance, par mail, chaque vendredi ou presque. On fait connaissance avec Golestan. Il vit dans un manoir gothique du Surrey, entouré de ses livres, de papiers, de vieilles bobines et de quelques proches – on voit notamment sa femme. En contrechamp, JLG apparaît seul et furtivement, dans sa modeste maison de Rolle, s’adonnant à des tâches ménagères. Son mode de communication n’a pas changé : montage bref et cryptique de citations et d’aphorismes, d’images prises dans un film ou un tableau. L’Iranien qui, lui, envoie des textes de cinq pages, paraît découvrir ce style, avoue n’y rien comprendre (« ce langage n’est pas le mien ») et finit par s’y résigner (« il est savamment joueur »), tel un vieux prof de fac amadoué par un cancre.
Entre ces deux solitudes, Farahani enregistre un échec, un ping-pong sans résonance. Constatant la perplexité de Golestan, elle l’habille un peu vainement de tics formels godardiens. À la longue, JLG finit par s’imposer à l’image après en avoir été le fantôme, comme si l’enjeu caché du film devenait la captation fragmentaire de sa fin de vie. De fait, on ne voit plus que lui, ses ronchonnements cacochymes et son sourire d’enfant. » (telerama.fr)
« Si vous êtes ressorti des récents films de Jean-Luc Godard Adieu au langage et Le Livre d’image sans être sûr d’avoir tout compris, À vendredi, Robinson va soulager un peu ce sentiment d’insécurité. Mitra Farahani, une des productrices principales de Godard sur le second de ces films, a conçu ce documentaire minimaliste à partir de conversations : l’artiste parfois désigné par les initiales JLG y échange des messages électroniques avec un autre réalisateur au tempérament similaire, Ebrahim Golestan, qui a fait partie de la Nouvelle Vague iranienne dans les années 1960. Dans le film, Golestan, devenu romancier, est nonagénaire et toujours aussi vif, mais même lui est déboussolé par la loufoquerie décalée de son homologue. Donc il y a de l’espoir pour nous tous. Le film a gagné le Prix spécial du jury à la Berlinale 2022 après sa projection dans la section Encounters de Berlin, réservée aux travaux innovants, parfois inclassables. » (cineuropa.org)
« Quelle étrange idée de faire se rencontrer ces deux cinéastes, qui n’ont en commun que leur place de choix dans l’Histoire du cinéma. Ebrahim Golestan est l’un des plus grands écrivains et cinéastes iraniens – même si son œuvre est encore peu connue en France. Quant à Jean-Luc Godard, on ne le présente plus. Sous l’impulsion de Mitra Farahani, les deux monstres sacrés entament une correspondance. Alors qu’on pourrait craindre une discussion un peu trop théorique sur l’art du cinéma, c’est d’abord un échange sous forme d’énigme qui commence à s’installer, au rythme d’un e-mail par semaine, chaque vendredi. Jean-Luc Godard envoie le premier vendredi à Ebrahim Golestan quelques images, des morceaux de peintures, des extraits de livres, jouant du métissage des œuvres, faisant résonner Goya avec Joyce pour créer du sens. Comme un message codé, dans le pur style godardien, l’e-mail nécessite donc un décryptage. Golestan tente alors une interprétation, et répond par un long texte, où il évoque aussi son expérience, et la révolution iranienne qui l’a forcé à quitter son pays. Mais la semaine suivante, la réponse est encore plus énigmatique. Toujours ce mélange de citations puisées dans une culture classique, que l’on retrouve dans tous les films de Godard. Mais aussi, un morceau de l’écriture en farsi de Golestan, qui, prise seule, ne veut rien dire. Après s’être acharné longtemps à tenter de comprendre ce nouveau rébus, Ebrahim se rend compte qu’il n’y a peut-être rien à comprendre. Leur dialogue, qui aurait alors pu s’arrêter, prend au contraire une autre direction, plus ludique. Et semaine après semaine, c’est une vraie complicité qui s’installe entre les deux hommes, malgré la distance de la culture et des kilomètres. Tout semble les opposer, à commencer par leur décor : Golestan vit dans une impressionnante demeure victorienne du Sussex, aux hauts plafonds et aux pièces nombreuses, tandis que Godard – qui se filme régulièrement – est dans sa petite et banale maison suisse de Rolle. Ce sont pourtant deux hommes âgés et solitaires – même si, l’un comme l’autre, sont entourés. C’est là que le film de Mitra Farahani est le plus touchant : non pas dans la rencontre de deux artistes de légende, mais dans sa description d’une amitié complice entre deux vieillards malicieux qui n’ont plus rien à prouver. Évidemment, la mort de Jean-Luc Godard, survenue presque simultanément à la sortie du film, le revêt d’une émotion particulière, notamment lorsque Godard évoque la question du suicide. Mais c’est dans ces scènes ordinaires pour un individu de plus de quatre-vingt-dix ans – marcher avec une canne ou couper son vin avec de l’eau – qu’À vendredi, Robinson amuse et émeut le plus. Et voir ces grands artistes filmés avec tendresse dans leurs gestes du quotidien, faire, comme n’importe qui, une recherche sur Google ou un selfie avec leur iPhone, c’est rappeler, alors qu’on célèbre toujours – et c’est bien normal – les œuvres, qu’il y a toujours, derrière, des auteurs. » (bande-a-part.fr)
« … Tourné à distance (une équipe à Rolle, l’autre dans le Sussex), le film qui en découle avance par tâtonnements discrets, le tempérament de loups solitaires des deux interlocuteurs confinant à une forme de réserve farouche qui interdit entre eux toute discussion à bâtons rompus. C’est peut-être le lot des rencontres au sommet : une anecdote [1] veut qu’à l’époque de la traduction française de Finnegan’s Wake, James Joyce et Samuel Beckett se soient retrouvés tous les après-midi sur les quais de Seine, sans mot dire, de peur que le génie de l’un ne réduisit l’autre au silence à la première parole échangée. De message en message, Golestan et Godard finissent eux aussi par anéantir leurs efforts mutuels, l’un par excès d’érudition, l’autre péchant par solipsisme. À ne pas vouloir comprendre immédiatement la part de jeu au cœur de l’écriture cryptique du Suisse, l’Iranien se trouve vite paralysé, au risque d’éclairer les lettres qu’il reçoit en multipliant les hypothèses souvent érudites, mais toujours stériles. Ainsi d’un quiproquo après un long message manuscrit de Golestan, rédigé en farsi : pour toute réponse, Godard envoie un mail en forme de court poème auquel sont jointes deux photographies, une capture d’écran zoomée et retournée de la lettre de Golestan et un collage de Matisse. En inversant le sens de lecture des graphèmes, Godard sépare signifiant et signifié afin que se révèle le jeu harmonieux des lignes dessinées par la plume de l’épistolier, et leur ressemblance frappante avec le tableau de Matisse. Si l’aveuglement de Golestan face à ce rapprochement foudroyant (il voit là une marque du mépris pour sa propre langue) n’est pas sans évoquer l’hébétude qui touche un jour tout spectateur godardien, ce rendez-vous manqué montre aussi la distance qui sépare l’écrivain, épris de clarté, d’un cinéaste qui a déjà fait ses adieux au langage.
L’éventualité d’un échec pousse assez vite Farahani à se défaire de ses ambitions initiales. Petit à petit, ce sont les points de discordance entre les deux interlocuteurs qui donnent sa structure au film. En s’attachant à montrer les apories de l’exercice, À vendredi, Robinson parvient à rendre d’autant plus bouleversants ces rares moments de complicité où quelque chose « passe » entre les deux hommes. C’est le cas notamment lorsque une grave hémorragie envoie l’Iranien à l’hôpital. Pour toute réponse à l’annonce de ce drame, Godard fait parvenir un mail contenant un montage juxtaposant deux images mortifères : celle de Golestan entubé et entouré par ses proches et celle de Godard alité, la mine défaite, après une lourde opération du dos. Le sujet réel du film se dévoile alors en même temps que naît une amitié : l’imminence de la mort fait raccord entre ces deux hommes plongés dans le purgatoire de la vieillesse. Solitude et fatigue constituent le quotidien de ces artistes dépouillés de toute mythologie romantique ; filmés comme des spectres, Golestan et Godard déambulent dans leurs appartements vides de toute présence, monstres sacrés dont le corps finit par se dissoudre peu à peu dans la nuit des contre-jours. Dès le premier plan, Golestan est ainsi séparé de sa silhouette qui se projette, immense, sur les murs de son château comme celle de Dracula dans l’adaptation de Coppola. Godard, de son côté, resplendit par son absence. Filmé dans l’ombre de sa bicoque par Fabrice Aragno (qui cosigne également le montage), il se dévoile d’abord par sa voix d’outre-tombe, comme un codicille tardif à l’esthétique des autoportraits clairs-obscurs qu’il a tournés à partir des années 1980.
Cette mystique du reclus finit par teinter À vendredi, Robinson d’une aura mortifère. Les dernières minutes dessinent ainsi une ligne de partage entre l’infléchissement de la santé de Golestan (qui multiplie les séjours à l’hôpital) et une sorte de dernier retour en enfance de la part de Godard, encore habité par une énergie gamine que Farahani filme avec beaucoup de tendresse. Les selfies burlesques qu’il envoie à son interlocuteur, mais aussi ce moment suspendu où il joue avec un chat dans les rues de Rolle, sont autant de preuves qu’une étincelle de vie rayonnait encore chez le cinéaste à la fin de sa vie. Davantage qu’un homme perdu dans les limbes entre vie et trépas, c’est une figure tenant de l’extrême vieillesse et de la jeunesse fringante qui se dévoile ici, comme le montre le tout dernier plan – déchirant – du film. Attablé face caméra, le bras allongé et presque inerte, Godard répond à une question de Golestan, puis se sert à boire en silence. Au bout d’un long moment, un sourire enjôleur finit par se dessiner sur son visage. S’efface alors, le temps de ces précieuses secondes, la fatigue de son corps éteint. D’un seul tenant, le plan donne alors à voir, en une antiphrase magnifique, l’union de ce corps tout au bout de la vieillesse et d’un esprit frappeur de jeune rimbaldien, pour l’éternité. » (critikat.com)
[1] Histoire partiellement racontée par l’écrivain François Bon, dans l’épisode 69 de sa série « Histoire de la littérature », sur sa chaîne Youtube Tiers livre.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h précises.
Entrée : Tarif unique 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici