Hyenes



Vendredi 05 décembre 2008 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Djibril Diop MAmbety – France/sénégal – 1992 – 1h50 – vostf

Des griots annoncent a la population de Colobane, petite cite du Sahel, une incroyable nouvelle, le retour au pays de Linguere Ramatou devenue multi-millionnaire. Au cours d’un grand banquet, Linguere annonce son intention de donner 100 milliards a la ville. Mais en contrepartie elle demande la mort de Draman, son amant d’antan, qui par de faux témoignages l’avait fait chasser de la ville alors qu’elle portait un enfant de lui.

Le film est présenté dans le cadre du « Regard sur le cinéma africain », porté par CSF au long de la saison 2008-2009.

Notre critique

Par Josiane Scoleri

Avec Hyenes, sorti en 1992 vingt ans après son premier long métrage Touki Bouki, Djibril Diop Mambety, cinéaste rebelle, casse un peu plus encore l’image d’un cinéma africain « régionaliste » voire folklorique qui hante souvent l’imaginaire occidental. D’abord, ce film se veut une adaptation de « La visite de la vieille dame » de Friedrich Dürrenmatt et revendique par là même avant tout l’universalité de son propos. Ensuite, il nous entraine dans les tréfonds de l’âme humaine, mettant à nu les ressorts les plus puissants et souvent les moins avouables de notre psyché. C’est ainsi que Colobane, village perdu de la brousse (et village natal de Mambety) trouve tout naturellement sa place dans une géographie shakespearienne de la Comédie humaine. Les personnages du film résonnent d’une manière étrangement familière. Film saisissant dont le spectateur sort ébranlé car la vision du cinéaste est sans appel : l’homme est une hyène pour l’homme.

Sur le web

En 1973, le Sénégal est des pays situés au sud du Sahara celui qui est le plus développé en terme de production et de diffusion cinématographique. Depuis vingt ans des films y sont réalisés et le pays compte alors soixante-dix cinémas, avec des salles pouvant atteindre les 2 000 fauteuils pour un total de 59 560 places. (1) C’est dans ce cadre favorable que de nombreux jeunes réalisateurs sénégalais parviennent dans les années 60 à réaliser leurs premiers films, souvent des courts ou des longs métrages tournés en 16mm, mais également plusieurs œuvres en 35mm comme celles d’Ousmane Sembène qui avec La Noire de… (1966), Le Mandat (1968) et Emitaï (1971) deviendra l’un des plus célèbres cinéastes africains. Moins connus sont les très prolifiques réalisateurs de courts métrages Momat Thiam, Paulin Soumanou Vieyra, Blaise Senghor, Yves Diagne (ces trois derniers ayant en commun d’être passés par l’IDHEC) et, côté longs métrages, Ababacar Samb (Kodou, 1971), Johnson Mahama Traoré (Diègue-Bi en1970, Lambaaye en 1972) ou encore Momar Thiam (Karim,1970)… Mais le simple fait d’égrener les noms de ces cinéastes – dont les films demeurent encore aujourd’hui malheureusement très durs à voir – suffit à montrer la vitalité du cinéma sénégalais des années 60 et 70. C’est à cette époque que débute Djibril Diop Mambety, cinéaste oublié à l’instar de la grande majorité de ses confrères africains, injustement oublié faut-il préciser tant il est évident à la vision du Voyage de la hyène ou de La Petite vendeuse de soleil (2) qu’il est très loin d’avoir la place qu’il mérite dans l’histoire du cinéma mondial. (3)

Le virus du cinéma prend très tôt Djibril Diop Mambety, et dès ses huit ans il a pour habitude de fuguer le soir pour se rendre en cachette dans les cinémas dakarois. N’ayant pas assez d’argent pour s’acheter des billets, il suit le plus souvent la séance de l’extérieur de la salle, s’imaginant mentalement les images du film dont il ne perçoit que les voix, les bruitages et la musique. Avec sa bande de copains, il monte une petite fabrique de films à l’aide d’un drap blanc et d’une bougie, faisant évoluer entre les deux des figurines découpées dans du carton, qui figurent les différents protagonistes des centaines d’histoires que les contes et le cinéma ont fait germer en eux. Ce qu’il aime par dessus tout ce sont les westerns, et son rêve est de devenir acteur pour pouvoir incarner à son tour ces héros solitaires qui font fantasmer les gamins de sa génération. Élève brillant, il quitte pourtant très tôt le lycée, fait du café-théâtre, anime le Ciné-Club de Dakar et finit par rentrer comme acteur au Théâtre National Daniel Sorano, l’équivalent sénégalais de la Comédie Française. Mais il se sent à l’étroit dans ce milieu et continue à rêver de cinéma.

En 1966 il tourne son premier court, Badou Boy, grâce au soutien d’un employé du centre culturel français qui lui fournit une caméra 16mm, de la pellicule noir et blanc ainsi qu’un caméraman qui lui apprend à manier le matériel. Le film raconte sur un mode burlesque l’histoire d’un enfant de Dakar débrouillard et malicieux qui parvient à se sortir des pires situations. (4) Guère satisfait du résultat, trouvant son film brouillon, Mambety retourne sur les planches mais continue à rêver de cinéma. En 1969 il réalise un autre court, Contras-City, une critique de la vie à Dakar à travers la description de son architecture, puis il reprend le sujet de Badou Boy et en tire un moyen métrage de cinquante minutes. On y suit toujours un gamin dans les rues de Dakar mais qui tente cette fois-ci de fuir la police après s’être échappé d’une maison de redressement. Le film, qui se déroule sur un mode comique et satirique, propose une vision critique de la société et de la politique sénégalaises. La Commission de contrôle lui demande d’ailleurs de retirer une séquence dans laquelle il a monté l’hymne nationale sur des images d’un bidonville. Mambety refuse de se soumettre à cette décision, préférant que son film ne soit pas distribué plutôt que de le voir mutilé. Ce n’est que deux ans plus tard que les spectateurs sénégalais pourront découvrir ce film auréolé du Tanit d’Argent au Festival de Carthage et de la Médaille d’or du Marché du Film de Milan (le M.I.F.E.D.). Les prix obtenus par Badou Boy ouvrent les portes à Mambety et trois ans plus tard il tourne son premier long métrage, Le Voyage de la hyène, grâce à une aide gouvernementale et à une co-production avec l’Italie. Si le film est intégralement tourné au Sénégal avec des techniciens et des acteurs du pays, le montage se déroulera quant à lui entre Paris et Rome.

Le projet cinématographique de Djibril Diop Mambety est double. Tout d’abord, il compte poursuivre la critique sociale et politique de son pays amorcée avec Badou Boy et Contras-City, raconter la douleur de son peuple, mais ce de manière non démonstrative, saLe Voyage de la hyène est construit sur l’imbrication d’un traitement réaliste (plusieurs séquences sont tournées sur le vif par Mambety et l’essentiel du film est filmé dans la rue) et d’un traitement onirique et mental. Il n’y a pas de différence de niveau, les deux registres sont mis à égalité, ils se mêlent, s’interrogent, se répondent par des effets de montage quasi expérimentaux. Le film est ainsi très ancré dans la réalité du Sénégal, avec des images des quartiers de Dakar et de la vie de ses habitants que l’on a peu l’habitude de voir. Cet effet documentaire repose aussi sur le jeu très naturel des comédiens, Mambety – qui a pourtant fait ses classes d’acteur sur les planches du Théâtre Sorano – choisissant en effet de faire tourner des non professionnels qui tous se révèlent parfaits, totalement portés par leurs rôles. La grande force du film est d’ensuite transcender ce matériau réaliste par une mise en scène qui va se déployer autour de l’intériorité des personnages, l’aspect documentaire se trouvant malmené, questionné, transformé par la vision qu’ont Mory et Anta de leur pays.

Le Voyage de la hyène est construit sur l’imbrication d’un traitement réaliste (plusieurs séquences sont tournées sur le vif par Mambety et l’essentiel du film est filmé dans la rue) et d’un traitement onirique et mental. Il n’y a pas de différence de niveau, les deux registres sont mis à égalité, ils se mêlent, s’interrogent, se répondent par des effets de montage quasi expérimentaux. Le film est ainsi très ancré dans la réalité du Sénégal, avec des images des quartiers de Dakar et de la vie de ses habitants que l’on a peu l’habitude de voir. Cet effet documentaire repose aussi sur le jeu très naturel des comédiens, Mambety – qui a pourtant fait ses classes d’acteur sur les planches du Théâtre Sorano – choisissant en effet de faire tourner des non professionnels qui tous se révèlent parfaits, totalement portés par leurs rôles. La grande force du film est d’ensuite transcender ce matériau réaliste par une mise en scène qui va se déployer autour de l’intériorité des personnages, l’aspect documentaire se trouvant malmené, questionné, transformé par la vision qu’ont Mory et Anta de leur pays.

Le mirage de l’argent est le thème central de l’œuvre de Mambety, son « ennemi constant » comme il le dit lui-même. Pour le cinéaste, il faut lutter contre ce mirage et, comme Mory, renouer avec ses racines, sa culture, son peuple. Mambety déplore l’état de son pays, la corruption de la police, l’assujettissement de la politique à l’ancien pouvoir français. Mais il ne fait pas reposer tous les malheurs qui accablent le Sénégal – et plus largement l’Afrique noire – sur l’histoire coloniale, la reprise en main des destins nationaux ne pouvant passer selon lui que par le fait de regarder en face les contradictions propres au continent Africain. Mory, qui veut quitter le Sénégal finalement moins à cause de la situation de son pays que par romantisme, devient un héros aux yeux du cinéaste lorsqu’il décide de rester dans son pays, de relever la tête. Il devient alors Mambety qui a toujours refusé de quitter le Sénégal et qui entend à sa manière – le cinéma – lutter pour la dignité, la fierté d’être africain.

Le film est sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, ainsi qu’au Festival de Moscou où il remporte une mention spéciale ainsi que le Prix de la Critique Internationale. Pourtant, après ce début foudroyant, Mambety ne tournera plus pendant près de vingt ans, ne revenant au cinéma qu’en 1992 avec Hyènes. En fait, si le film est reconnu à l’étranger, il est reçu assez froidement au Sénégal et n’ouvre pas cette nouvelle voie pour le cinéma africain que Mambety appelait de ses vœux. Ce n’est que petit à petit que des cinéastes africains revendiqueront l’influence du film et se déclareront les descendants, les fils de Mambety. C’est donc pour ses qualités propres, mais aussi pour la place particulière qu’il occupe dans le paysage cinématographique africain, qu’il faut découvrir impérativement ce film magnifique.

(1) Pour prendre un pays comparable en termes de taille et de population, la Guinée compte à la même époque ving-huit salles pour 23 700 places.


(2) L’un des rares films africains à être diffusé régulièrement dans les salles françaises, car faisant parti du dispotitif Ecole et cinéma.


(3) Il est dramatique de voir à quel point le cinéma africain est peu diffusé, étudié ou même cité. Du côté du DVD, les grandes maisons d’édition ne se sont que très peu penchées sur le cinéma d’Afrique noire (deux coffrets édités par Arte – Collection Cinéma africain, un recueil de quatre films de Souleymane Cissé par Pathé qui est épuisé aujourd’hui…), preuve du désintérêt porté à tout un pan du cinéma mondial. Reste la Médiathèque des trois Mondes qui propose sur son site une soixantaine de titres (dont une partie éditée par leurs soins), mais surtout des films récents et à des tarifs qui les rend peu abordables…

(4) Les résumés des trois premiers courts métrages de Mambety sont issus du livre Le Cinéma africain des origines à 1973, l’auteur de cette chronique n’ayant pas eu l’occasion de les découvrir par lui-même.


(5) C’est une vieille femme faisant penser à une sorcière des contes africains qui met à mort la chèvre.

(Olivier Bitoun/dvdclassik.com)


 Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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