Ivre de femmes et de peinture



Vendredi 10 janvier 2003 à 20h45

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Im Kwon-taek  – Corée du Sud – 2002 – 1h57 – vostf

Au XIXe siècle, Ohwon Jang Seung-Up est un artiste peintre coréen connu, non seulement pour son art qu’il maîtrise à la perfection mais également pour son mode de vie libertin, son excentricité et son amour immodéré de l’alcool. Né en 1843, il disparut en 1897.

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«Un pinceau défie le papier : l’encre noire se déploie selon un mouvement vif et insaisissable dont l’observation, même la plus pointue, n’arrive pas à percer le mystère de la logique interne. Ohwon peint, et quiconque viendra lui parler des règles de son art, même en soulignant qu’il les a assimilées pour mieux les enfreindre, ne sait pas vraiment à qui il a affaire. « Comment parler de règles à propos de ma peinture ? » rétorque l’homme, furieux, avant de mettre les voiles, refusant de donner sa confiture à ces cochons de commanditaires. 
C’est sur ce beau mouvement d’insoumission que s’ouvre Ivre de femmes et de peinture et qu’Im Kwon-taek (dont on avait pu voir le superbe Chunhyang il y a deux ans), en retraçant la vie de cet illustre peintre coréen du XIXe siècle, rallume vigoureusement « la dernière flamme de ce pays qui s’éteint« . 
Car la vie d’Ohwon et son parcours artistique sont étroitement liés aux perturbations politiques et sociales de son pays. Cet entremêlement de la petite et de la grande histoire est une constante dans l’œuvre du réalisateur, et constitue l’un des points par lesquels brille toute sa finesse. Ce destin, lié au sort de la Corée, n’est aucunement un prétexte pour rendre compte de l’état d’une société.

Im Kwon-taek fait pleinement vivre son personnage, et sa peinture, au moyen d’une dynamique singulière, complexe et dense, nourrie de mouvements contradictoires, internes et externes.
Issu d’une famille de roturiers, Ohwon n’a pas le profil social pour faire carrière dans la peinture. Sa rencontre avec Kim Byung-moon, un noble déchu, est déterminante : elle lui donne un père spirituel et lui ouvre les portes d’un apprentissage qui le met sur les rails du métier. Mais Ohwon ne saurait se contenter d’être un pâle copieur. Très vite, une seule chose le travaille : trouver son propre style. A travers ce désir se lit une volonté d’indépendance, celle de se démarquer d’un ordre social et artistique où il n’y a pas vraiment de place pour sa personnalité. 
Alors qu’il travaille pour un ami de Kim, Ohwon se fait virer de la noble demeure pour avoir regardé en cachette un livre de peintures et avoir recopié l’une d’elles en rajoutant dans sa version un oiseau. L’apprenti peintre baisse la tête, triste et penaud, c’est justement ainsi que l’on qualifie l’animal en trop sur sa copie. Révélatrice de la volonté du peintre d’être présent (au sens de « s’impliquer personnellement » plus que d' »être représenté« ) dans son tableau et de ne pas s’effacer devant les maîtres, cette scène est également représentative de ce dialogue permanent qu’établit le film entre l’œuvre et la vie du peintre. Ainsi, une posture érotique d’un livre de peintures feuilleté furtivement se rejoue dans la vie, tout comme l’ivresse du peintre le fait se représenter sous les traits d’une bête peinte avec les doigts. Car c’est aussi et avant tout d’alcool et de femmes qu’il s’agit : « Pour peindre, il faut désirer. » Le sperme tombe sur le sol comme des taches de peinture sur une feuille. Le papier devient mouchoir lors d’un saignement de nez. Peindre est un acte physique, sexué.

Comme il déjoue tout risque de reconstitution historique, Im Kwon-taek échappe également au schéma illustratif et plat d’une mise en mouvement des tableaux. Il cherche avant tout à capter le désir, son ancrage charnel et pictural, aussi concret que fugace, et à tracer selon une forme chaotique et exaltée le mouvement d’un esprit libre. Admis à l’Office royal de peinture, Ohwon, devenu le plus grand peintre de son pays, ne peut répondre aux commandes qui lui sont faites. Femmes et alcool, aussi indispensables à son art que l’encre, lui sont refusés, alors il s’échappe : « Ce n’est pas nous qui décidons, seul le feu commande.« 
Même si l’on sait peu de chose sur la vie de ce peintre, ces lacunes biographiques ne sont aucunement un obstacle pour le réalisateur et pour le spectateur. Les ellipses qui ponctuent le film lui évitent de tomber dans une linéarité chronologique plombante. Les scènes sont courtes et s’enchaînent sans souci de continuité explicative. L’insoumission du peintre atteint alors jusqu’à la forme même du film, qui échappe par ces petites touches rapides et sensuelles à tout académisme, sans pour autant tomber dans l’anecdotique. On entre dans un champ de vision aussi bien combatif que contemplatif, dominé par le refus de s’installer dans une esthétisation complaisante, comme le peintre refuse de s’installer dans une forme picturale institutionnalisée. Les plans n’en restent pas moins superbes, mais intégrés à un mouvement d’agitation  politique et personnelle  permanent. 
Fleuve indomptable au courant houleux, Ivre… est un film fortement inspiré, incroyablement vivant, où la grâce et la trivialité se coulent dans un même flux de sensualité. Si certains réalisateurs épuisent leur énergie créatrice au fil de leur travail, Im Kwon-taek n’est certainement pas de ceux-là : avec presque cent films à son actif, le réalisateur est habité par une flamme aussi ardente que son personnage. Ce qu’on appelle le feu sacré.» (lesinrocks.com)

«En filigrane, discrètement, comme pour gêner le moins possible la progression de son héros vers la vérité, Im Kwon-Taek fait défiler l’histoire de la Corée de la fin du XIXe siècle, une suite d’occupations, chinoise puis japonaise, et de révoltes populaires vouées à l’échec. La liberté du pays ne pouvait s’épanouir, en fait, que dans les toiles de ce débauché d’Ohwon. Personne n’avait célébré, avec cette intensité, cette incandescence, le rôle de l’artiste. Et défini sa mission : résistant dans le présent, combattant pour l’avenir.
 On sort émerveillé par la force du propos, par le lyrisme de la forme, par l’habileté d’Im Kwon-Taek à transformer la vie en art, la trivialité en grâce. Enthousiasmé par ce déluge de couleurs, de cris, de larmes, de chair et d’alcool qui aboutit, selon la célèbre expression de Cocteau, à une orgie de pureté.» (telerama.com)

Dans son précédent film Le Chant de la fidele Chunhyang, Im Kwon-taek faisait d’un pansori, opéra traditionnel coréen, un film. Pour Ivre de femmes et de peinture, il s’est inspiré d’un autre art, la peinture.

Le destin de Jang Seung-up est très lié à l’histoire de la Corée lors de la deuxième moitié du XIXème siècle. Cette période marque le déclin de la dynastie Chosun qui régnait depuis 500 ans sur le pays. En parallèle à la défaite de la Chine face à la Grande-Bretagne en 1842 et l’ouverture du Japon à l’extérieur sous la pression des Etats-Unis, la Corée fut obligée de signer divers traités avec les puissances impériales. L’aristocratie du pays chercha à tirer profit d’alliances avec l’étranger. Cette ouverture engendra de nombreux désordres sociaux et le peuple finit par se révolter. Le moteur éthique et intellectuel de cette évolution fut un mouvement religieux appelé Tonghak, « science de l’Est« , par référence au catholicisme connu à l’époque sous le nom de « Science de l’Ouest. » Le leader de ce mouvement, Hae-Wol, fut exécuté en 1897, un après la disparition sans traces de Jang Seung-up.

Im Kwon-taek avait déjà envisagé au début des années 1990 de porter à l’écran la vie du peintre Kim Hung-do. Ivre de femmes et de peinture retrace le parcours de Jang Seung-up. Le cinéaste coréen explique les écueils qu’il a voulu éviter avec son film : « Si le film a seulement pour but de montrer des tableaux, ce ne peut être qu’un échec. Je ne cherche pas à filmer des peintures immobiles. Je me concentre sur les motivations qui m’ont poussé à montrer ses oeuvres. Toutes mes pensées vont au processus qui va faire de ces tableaux un film.« 

Une des motivations qui a amené Im Kwon-taek à réaliser Ivre de femmes et de peinture est la parenté de sa trajectoire et de celle de son personnage : « Jang Seung-up était un orphelin. Il mit beaucoup de temps à trouver sa vocation et son propre univers artistique. Mon destin est un peu similaire au sien. C’est sûrement une des raisons qui m’a poussé à tourner ce film. »

Im Kwon-taek relate ses efforts pour comprendre l’oeuvre de Jang Seung-up : « Pour les besoins du film, j’ai demandé à l’artiste Kim Sun-doo d’imiter certains tableaux de Jang Seung-up. En le regardant travailler, j’ai compris que quand mon personnage s’inspirait de tableaux chinois, il ne faisait pas qu’imiter des oeuvres déjà existantes. Il essayait de montrer ce qu’il y a de plus beau dans notre propre nature. »

Im Kwon-taek s’interroge sur la véracité des récits qui entourent le personnage de Jang Seung-up : « Ce que je ne pouvais pas accepter, c’était l’idée que son génie ne se manifestait que quand il était saoul. Les tableaux qu’il peignait demander beaucoup d’efforts qu’ils n’auraient pu accomplir sans maîtriser ses gestes. Il fallait essayer de comprendre d’où pouvait venir cette légende sans nécessairement la prendre au pied de la lettre.« 

Pour interpréter le rôle du peintre Jang Seung-up, Im Kwon-taek a fait appel au comédien Min-Shik Choi. Im Kwon-taek revient sur sa conception de son personnage principal : « Il n’existe que très peu de récits sur la vie de Jang Seung-up. Les seules choses que nous savions, c’est qu’il aimait les femmes, l’alcool et qu’il était un génie de la peinture. Pour les besoins du film, il fallait donner corps au personnage. On était obligé de passer par la fiction alors autant inventer toute une histoire. J’ai donc essayé d’imaginer comment un peintre aurait pu traverser une époque difficile comme cela. Créer une grande fresque dramatique aurait sans doute facilité mon travail de metteur en scène. Essayer de rester le plus réaliste possible tout en racontant une histoire suffisamment passionnante est quelque chose de plus difficile. J’ai pris le parti de faire de lui un artiste qui ne cesse de lutter contre lui-même au jour le jour.« 

Les paysages jouent un rôle déterminant dans Ivre de femmes et de peinture. Im Kwon-taek les filme à de nombreuses occasions et ils sont intimememt liés à l’oeuvre de Jang Seung-up : « Concernant les paysages, j’ai essayé de montrer comment ils pouvaient évoluer selon qu’on les regardait adolescent, adulte ou vieillard. Ces changements de perception sont à la base même de la maturation artistique de Jang Seung-up.« 

Lee Tae-Won, le producteur d’Ivre de femmes et de peinture, revient sur ce qui l’a motivé dans ce projet : « Cette histoire m’attirait beaucoup. Il y avait des femmes, de l’alcool et un courageux mendiant. Un homme qui essaie de surmonter des obstacles toute sa vie, c’est un sujet universel dans lequel tout le monde peut se reconnaître.« 

Ivre de femmes et de peinture a été présenté en compétition officielle à Cannes 2002. C’est le deuxième film de Im Kwon-taek présenté sur la croisette après Le Chant de la fidele Chunhyang en 2000 (compétition officielle). Ivre de femmes et de peinture a remporté le prix de la mise en scène ex-aequo avec Punch-drunk love de Paul Thomas Anderson.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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