Vendredi 17 Février 2023 à 20h
Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Hong Sang-soo, Corée du sud, 2022, 1h33, vostf
Banlieue de Séoul. Junhee, romancière de renom, rend visite à une amie libraire perdue de vue. En déambulant dans le quartier, elle croise la route d’un réalisateur et de son épouse. Une rencontre en amenant une autre, Junhee fait la connaissance de Kilsoo, une jeune actrice à qui elle propose de faire un film ensemble.
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Le personnage principal est souvent cinéaste dans les films de Hong Sang-Soo. Dans La Romancière, le film et le heureux hasard, il est aussi écrivain et possède une théorie sur la réalisation, qui est très proche de celle du metteur en scène coréen. Toutefois, ce dernier explique : « Lorsque j’ai écrit le rôle de Lee Hyeyoung, je n’ai pas songé à l’utiliser pour « théoriser » mon cinéma. Et pourquoi elle est romancière ? Ça non plus, je ne peux pas l’expliquer. L’idée de lui confier ce rôle dans la peau d’une romancière qui ferait son premier film m’est apparue spontanément. A ce stade, j’avais déjà des images personnelles en boîte, filmées sans intentions particulières, celles que vous découvrez à la toute fin avec Kim Minhee et sa mère, dans un parc. Sortir avec une petite caméra dans mon sac, c’est une habitude chez moi. Je voulais voir comment je pouvais les associer à d’autres images, comment mêler leurs différentes textures, c’est ce qui m’intéressait, en écrivant un dialogue aussi naturel que possible. A l’évidence, j’avais besoin d’un personnage qui réalise son propre film. Si elle est d’abord romancière c’est sans doute simplement la naïveté des images que j’avais tournées qui me l’ont inspiré. C’est purement intuitif. Tout le chemin qu’on parcourt jusqu’à cet épilogue a été un moyen de préparer le spectateur à accueillir cette séquence intime de manière convaincante.«
Comme à son habitude, Hong Sang-Soo endosse plusieurs postes sur son propre film. Ainsi, sur La Romancière, le film et le heureux hasard, il est crédité au générique en tant que scénariste, réalisateur, producteur, monteur, chef opérateur et compositeur. Il a, en revanche, choisi de déléguer la prise de son.
Le metteur en scène confie : « Avant tout, j’ai besoin de ma liberté de faire tout ce que j’ai envie de faire. C’est ça la vertu de mon système, ce que j’y gagne. Quand il y beaucoup d’argent, on prend conscience des gens qui nous financent, de leurs goûts et de leurs opinions, et forcément, ça nous empêche.«
Lee Hyeyoung est la fille d’un grand cinéaste coréen des années 60-70 et a été elle-même très célèbre dans les années 1980. Hong Sang-Soo, qui l’avait fait tourner dans Juste sous vos yeux, raconte : « Son père était en effet très réputé à son époque. Quand j’avais 20 ans, il venait souvent chez ma mère mais je ne l’ai jamais rencontré. Un jour il a laissé un vieux blouson très usé que j’aimais beaucoup. Il l’a laissé là parce qu’il était ivre je crois. Et je l’ai porté ce blouson. Quand ma mère est morte, Lee Hyeyoung est venue à ses funérailles. Nous nous sommes rencontrés là et avons discuté très brièvement. Lorsque j’ai voulu faire Juste sous vos yeux, elle m’est revenue en tête. Je l’ai appelée, elle a dit oui. Ce ne sont que des souvenirs et le hasard d’une rencontre qui l’ont menée à mes films.«
Dans la scène où les personnages boivent du Makgeolli et du Soju, ces derniers ont vraiment l’air enivrés. Hong Sang-Soo n’aime, en effet, pas quand les acteurs jouent l’ivresse : « Cela sonne faux. Avant, je les laissais se saouler, mais j’ai fini par comprendre que ça rendait impossible la mémorisation de leurs dialogues. Donc maintenant, je leur dis : ‘si vous pouvez boire cinq verres sans finir complètement ivres et sans oublier vos textes, alors vous pouvez les répartir en dix prises. Si vous n’en supportez qu’un, sirotez-le et buvez de l’eau ensuite. Et si vous en ressentez le besoin, vous pouvez en siroter un autre’. C’est une question de contrôle. Je procède de la sorte parce que c’est physique : le goût de l’alcool dans la bouche, les émanations dans les narines… Je pense que ça aide beaucoup. Tout ce qui en ressort est différent, renforce la séquence.«
« Depuis plus de 25 ans, Hong Sang-soo dresse les contours d’une formidable Comédie humaine, rythmée par les repas, pauses cigarette, beuveries et surtout les répliques tantôt piquantes, tantôt touchantes de ses personnages. Metteur en scène du dialogue, cet admirateur de Yasujirô Ozu, Robert Bresson et d’Eric Rohmer, parvient toujours à renouveler son approche formelle pour parler d’amour, d’amitié et bien sûr de cinéma. Et, celui qui s’est imposé comme l’un des réalisateurs sud-coréens les plus importants de ces dernières années, aux côtés de Bong Joon-ho et de Park Chan-wook, revient aujourd’hui avec une fable atypique dont il a le secret, La Romancière, le film et le heureux hasard.
Depuis son sommet Seule sur la plage la nuit, on décelait une pointe d’amertume, voire une volonté de tout recommencer dans les films du cinéaste. Les conclusions déchirantes d’Hotel by the River et de Juste sous vos yeux ou celles plus mélancoliques de Grass ou d’Introduction en attestent. Bien entendu, on retrouvait tout de même, à chacune de ces occasions, le style volubile et innocent qui définit si bien sa mise en scène…
… Chez Hong Sang-soo, l’action passe par de longs dialogues, tournés généralement en plan-séquence. Et pour insuffler un minimum d’authenticité durant ces moments, le Sud-Coréen joue sur le quotidien, les omissions et l’insignifiant qui nous rend terriblement vivants.
Le procédé pourrait devenir pénible à la longue, mais il participe au contraire à la précieuse recherche de crédibilité chère à l’auteur. Hong Sang-Soo ne convie pas uniquement ses personnages à échanger pour mieux se (et les) connaître, il invite par ce biais le spectateur à entrer dans son cinéma par ces hasards qui bouleversent à jamais l’existence…
… Dans toute sa filmographie récente, un voile onirique, presque fantastique finit par recouvrir la narration. Et il s’intègre toujours délicatement, sans faire de vagues, presque naturellement. Un jour avec, un jour sans manifestait cette facilité à jongler subtilement avec la réalité, la déformant légèrement, par petits détails pour mieux la refaçonner ensuite. Seul le personnage principal avait véritablement conscience des faits puisqu’il partageait en partie l’omniscience de son créateur.
Voilà pourquoi les héros d’Hong Sang-soo sont généralement cinéastes ou écrivains. Et, dans La Romancière, le film et le heureux hasard, Yun-hee appartient aux deux mondes. Par son regard, le metteur en scène impacte le destin et le place sous les ordres de sa protagoniste. On commence alors à douter de ce fameux hasard évoqué dans le titre. Puis on comprend que tout est savamment orchestré et que le chaos insipide des mots avait pour unique but d’explorer d’une manière très singulière le lent processus de gestation d’une œuvre…
… Bien que La Romancière, le film et le heureux hasard ne tutoie pas les cieux comme les deux chefs-d’œuvre du cinéaste, Seule sur la plage la nuit et Un jour avec, un jour sans, le film s’impose comme une superbe démonstration de son savoir-faire minimaliste et gracile. Avec cette fable d’une incroyable limpidité, le réalisateur parvient encore à nous surprendre et à s’affranchir de ses limites supposées. Et par le biais de son épilogue lumineux, il nous prouve que tout est possible. Il ne ressort pas grandi de cette expérience, il en devient transfiguré. » (ecranlarge.com)
« Comme à son habitude, Hong Sang-soo décline une même situation au gré de plusieurs variations. Toute sa filmographie repose sur ce jeu de différences et de répétitions, aussi bien entre ses films qu’entre les pans d’un même long-métrage – tendance dont Un jour avec, un jour sans reste à ce jour l’aboutissement. Ces fluctuations renforcent toutefois un sentiment paradoxal de familiarité, puisqu’elles invitent à discerner les quelques disparités qui distinguent les situations les unes des autres. Chaque film vient ainsi se superposer aux autres, pour former un palimpseste dont les différentes couches se sédimentent en un léger brouillard estompant les contours indéfinissables des personnages. Les situations sont ici toujours filmées avec la même économie : un cadre moyen en plan séquence. Au lieu d’un découpage serré, qui expliciterait les pensées et les émotions des personnages, Hong Sang-soo laisse le champ libre et nous permet d’agencer notre propre montage, en scrutant les moindres détails du plan. On isole des micro-gestes, on évalue les sourires des uns et le silence des autres, on compare les réactions. Ainsi des premières retrouvailles. Si elles sont d’abord engourdies dans un échange de banalités, les trois personnages qui occupent la scène réussissent finalement à inventer une nouvelle façon de communiquer. C’est en l’occurrence par l’apprentissage d’une phrase en langue des signes que quelque chose se transmet. Par mimétisme, chaque personnage reproduit le mouvement de son voisin ; d’un geste à l’autre, trois femmes accordent leurs rythmes et finissent par habiter collectivement le plan. À l’inverse, les corps restent parfois disjoints les uns des autres, comme lorsque l’écrivaine, un peu plus tard, rencontre par hasard son ancien ami cinéaste. Les rires gênés, les silences embarrassés et les reproches à peine dissimulés dissocient cette fois les figures ; la romancière a beau détourner le regard, le contre-jour surexposé semble l’enfermer dans le cadre. De cette manière, une circulation particulière des affects s’invente au creux des scènes. On appréhende ainsi différemment un même compliment adressé par deux fois à la romancière : dans un cas, il relève d’une pure flatterie mondaine (l’écrivaine le retourne mécaniquement, par réflexe), dans l’autre, il est la marque d’une sincère reconnaissance de la singularité d’autrui…
… Les plans filmés avec une petite caméra numérique chez Hong Sang-soo sont à la fois dérisoires et essentiels ; dérisoires dans leur simplicité, et essentiels dans la manière dont ils réinventent la possibilité d’un « nous ». Mais la beauté de ces derniers plans naît aussi de l’écart entre la permanence de l’image cinématographique et la singularité absolue d’un instant éphémère. En ce sens, le titre français de La Romancière, le film et le heureux hasard, dit quelque chose de la façon dont le cinéma de Hong Sang-soo reste toujours ouvert aux aléas du réel. Ce qui perdure dans la mémoire réside moins dans les circonvolutions des récits que dans les acmés cristallisant notre attention. C’était ce chat invitant à un étonnant recadrage dans La femme qui s’est enfuie, et c’est ici le visage d’une fillette qui apparaît derrière la fenêtre d’un café et fixe les actrices en train de discuter. Point noir venant s’imprimer sur la surface numérique d’un contre-jour surexposé, une telle irruption fait événement. Elle suspend toute logique interprétative, en imposant l’évidence de sa tranquille présence. Les émotions que produisent les films de Hong Sang-soo reposent sur ce bel équilibre, entre une paradoxale familiarité et l’irruption d’un hasard… » (critikat.com)
« … Étude lucide sur la vacuité du langage, La Romancière, le film et le heureux hasard chemine à travers les différentes rencontres – ce fameux hasard cher à Hong Sang-soo – qui parcourent la journée de Junhee. Dès son tâtonnement initial entre gêne et réminiscence, chaque retrouvaille est le théâtre d’un rituel social où les micro-gestes sont plus signifiants que les discours. Les relations entre les personnages s’évaluent dans les silences loquaces et les rires nerveux. Lors de ses échanges préconçus par une politesse de façade, les personnages sont prisonnier·e·s de leur propre statut social, de leur position d’artiste. Chacun·e insiste sur l’inactivité de l’autre : Junhee est une romancière qui n’écrit plus ; Kilsoo est une actrice qui ne joue plus. Cette sensation d’enfermement est accentuée par l’utilisation d’un fort contraste qui piège les personnages dans un épais brouillard blanc. Comme à part du monde, iels déambulent dans un paysage entièrement annihilé, malgré sa beauté annoncée. À l’instar de la petite fille qui dévisage Kilsoo et Junhee à travers la vitre, iels sont les proies du regard du spectateur·rice et par extension de la société qui les modèlent.
Dans ce monde factice où chacun·e doit suivre la voie tracée par son métier et le médium artistique qui en découle, Hong Sang-Soo livre un plaidoyer contre l’automatisation de l’acte créatif (Junhee écrit tous les jours « parce qu’elle est une romancière ») et de sa réception (Seewon qui lisait uniquement selon les goûts des autres). Au sein de La Romancière, le film et le heureux hasard, les personnages cherchent à atteindre une pureté émotionnelle, comme purgée de toute fausseté sociale… Cette honnêteté souveraine est le cœur même des œuvres vibrantes d’Hong Sang-soo, dupliqué par les nouvelles ambitions cinématographiques de Junhee qui cherche à atteindre une vérité intérieure, jouant des frontières avec le réel (son court métrage s’appuyant sur les vrais liens entre Kilsoo et son mari) tout en insistant sur le fait que ce ne « [sera] pas un documentaire ».
Chez Hong Sang-soo, l’épure formelle se double d’un vertige sentimental où ses personnages cherchent à expérimenter des nouvelles manières de communiquer. Elles peuvent être aussi belles que la transmission poétique d’une phrase en langue des signes entre trois femmes assises autour d’une table ; ou n’être qu’une tentative, l’espoir d’un renouveau à l’instar des plans du court métrage de Junhee dans lequel Kilsoo compose un bouquet, laissant cette dernière mystérieusement songeuse à la sortie de la projection. » (focus-cinema.com)
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
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