L’argent de la vieille



Vendredi 26 juin 2009 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Luigi Comencini – Italie – 1972 – 1h58 – vostf

L’un des – très – grands classiques de la Comédie à l’italienne. Un film aussi hilarant que amer et cruel. Une œuvre profondément politique qui, non seulement n’a pas pris une ride, mais que la crise actuelle rend totalement d’actualité. A ne rater sous aucun prétexte !

Une vieille milliardaire américaine, passionnée de jeux de cartes, défie un couple de chiffonniers.

Notre critique

Par Philippe Serve

Luigi Comencini a-t-il parfaitement conscience en 1972, lorsque sort L’Argent de la Vieille, que son film sonnera rétrospectivement comme une sorte d’avertissement ultime, un signe annonciateur de ce qui va devenir dès l’année suivante les sinistres années de plomb ? Se doute-t-il que, trente-sept ans plus tard, l’irrésistible farce aussi hilarante que cruelle n’aura pas perdu une miette de sa pertinence ?

L’Argent de la Vieille – notons que pour une fois le titre français sert mieux le propos que l’original centré sur le scopone scientifico  – est une comédie à l’italienne, et de la meilleure facture. Mais une comédie qui retrouve ses origines sociales populaires. Ironie de l’Histoire, Comencini ayant été accusé – avec un certain nombre de ses collègues – d’être le fossoyeur du sacro-saint Néo-réalisme en l’affadissant et en le repeignant en rose.

Revenons en arrière… Pendant plus de 20 ans, l’Italie se trouve sous la botte fasciste. Le cinéma aussi. Le temps du premier âge d’or, celui des années 10, semble bien loin. Règnent alors – bien que tardifs et presque éphémères (1937-41) – les fameux films aux téléphones blancs, propulsés par la création de la Mostra de Venise en 1932 puis celle de Cinecitta trois ans plus tard. Seuls, les milieux sociaux les plus aisés, les plus luxueux ont droit de cité à l’écran, déclinant sans fin de fades romances dont la politique est bien sûr tout à fait exclue mais pas les téléphones dont la blancheur – assortie aux décors et toilettes des femmes – reflètent la richesse supposée de l’Italie mussolinienne. On peut aussi voir un grand nombre de spectaculaires récits historiques ou de cape et d’épée, à l’image de Scipion l’Africain (Carmine Gallone, 1937) ou  La Couronne de fer d’Alessandro Blasetti (1941).

Lorsque le régime s’écroule, suivi de l’armistice (1943), de la fugace République de Salo (1943-1945) puis enfin de la fin de la guerre, l’Italie a profondément changé et son cinéma connaît alors une révolution. Adieu les téléphones blancs, à la poubelle les décors de carton-pâte, voici qu’arrive le Néo-Réalisme avec ses tournages en pleine rue, ses histoires de petites gens, ses interprètes non-professionnels. Visconti (Ossessione, La Terre tremble), Rossellini (Rome ville ouverte, Paisa, Allemagne année zéro), De Sica (Les enfants nous regardent, Sciuscia, Le Voleur de Bicyclette), De Santis (Riz amer) multiplient les oeuvres marquantes. Tous ces films ont en commun, outre les critères techniques, humains ou scénaristique déjà cités, de ne pas faire place à l’humour. La période est difficile, la reconstruction du pays en ruines n’a pas vraiment commencé, les règlements de compte politiques sont encore vivaces, l’espoir en un futur meilleur se heurte à un quotidien sans pitié, on n’est pas vraiment là pour rigoler. Pourtant, cette période sera brève. Dès le début de la décennie suivante, Vittorio de Sica (Miracle à Milan, 1951 et Umberto D, 1953) et Luigi Comencini (Pain, amour et fantaisie, 1953 et Pain, amour et jalousie, 1954) envoient le néo-réalisme sur une nouvelle voie, celle de la comédie. Ils sont alors durement critiqués, considérés comme des traîtres, voire des réactionnaires. Voici le temps du Néo-réalisme rose. Dino Risi ou Federico Fellini participeront avec brio à cette évolution, tout comme Renato Castellani, vainqueur du Grand Prix à Cannes en 1952 (alors équivalent à la Palme d’Or) pour son charmant Deux sous d’espoir.

Les racines néo-réalistes vont encore perdurer un certain temps (Le Pigeon, Mario Monicelli, 1958) avant de disparaître telle une peau de chagrin pour laisser place à ce que l’on appellera désormais La Comédie à l’italienne. La nouvelle vague italienne, incarnée par Fellini, Antonioni, Pasolini, Bellocchio ou Bertolucci enterrera définitivement ce courant qui aura révolutionné le cinéma mondial d’après guerre. Mais la comédie à l’italienne  ne se veut pas légère pour autant. Si le rire est franc, derrière celui-ci se cache bien souvent une réalité plus amère, mordante, voire cruelle. Le Fanfaron  de Dino Risi (1962) en est un parfait exemple. Parallèlement, on assiste à un retour du péplum, films historico-mythiques dont l’ancêtre remonte au spectaculaire Cabiria de 1914. Maciste revient pour un tour de piste en même temps que Hercule. Les films d’épouvante font florès avec Riccardo Freda – également spécialiste des oeuvres de cape et d’épée -, Mario Bava ou Dario Argento, ainsi que les giallo, films policiers à la limite du genre précédent. C’est aussi l’arrivée de ce que l’on nommera les westerns spaghetti au réalisme cru volontairement éloigné des clichés hollywoodiens du genre et dont le maître absolu reste bien entendu Sergio Leone. Le cinéma italien connaît alors une popularité énorme dans le monde entier, renforcé par les nombreux chefs œuvres des cinéastes déjà cités, ainsi que par l’apparition du film politique.

Les années de plomb, évoquées au début de cet article seront accompagnées d’œuvres violemment dénonciatrices, tournées par des cinéastes engagés. Certains avaient pris de l’avance, ainsi de Francesco Rosi (Salvatore Giuliano, 1962, Main basse sur la ville, 1963), Bernardo Bertolucci (Prima della rivoluzione, 1964), Marco Bellocchio (Les poings dans les poches, 1965, La Chine est proche, 1967), Gillo Pontecorvo (La Bataille d’Alger, 1966). Les années 70 vont amplifier le mouvement avec un accent particulier souvent porté sur le thème de la corruption : Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (1970), La classe ouvrière va au paradis (1971), La propriété n’est plus un vol (1973), tous signés Elio Petri, L’affaire Mattei (1971) et Lucky Luciano (1973) de Rosi, La stratégie de l’araignée (1970) ou Le Conformiste (1971) de Bertolucci, etc.

Bette Davis, Silvana Mangano, Alberto Sordi et Joseph Cotten

C’est dans ce contexte de grande prise de conscience politique du cinéma italien mais aussi de stratégie de la tension entre Pouvoir, extrême gauche et extrême droite sur fond d’incertitudes économiques (la crise du pétrole ne va pas tarder) que Comencini tourne L’Argent de la Vieille. A sa manière. A savoir en tournant le dos au cliché, à l’évidence, au discours didactique ou militant. Pour lui, il n’a jamais cessé de le répéter, l’émotion du spectateur doit primer. La réflexion naîtra de ses sentiments et jamais de l’inverse. Et plus le rire sera grand et le fond dramatique, plus le spectateur s’esclaffera tout en prenant conscience de la noirceur de la situation. Ettore Scola fera de même avec son fabuleux Affreux, sales et méchants. Deux films que l’on peut rapprocher par la peinture d’une misère humaine conduisant à tous les excès. Deux films aussi qui redonnaient la parole aux petits, aux plus démunis, à cette classe ouvrière que le cinéma italien avait tendance à oublier, laissant les classes moyennes ou les milieux intellectuels parler pour elle. Les choses ne se sont pas arrangées depuis puisque certains prétendent encore que de classe ouvrière, il n’y en a plus. Affirmation digne d’une comédie à l’italienne, certainement. Finalement, ces deux films ont aussi retrouvé un parfum de néo-réalisme.

Comencini, cinéaste de l’enfance depuis son premier court-métrage (Des enfants dans la ville, 1946) puis son premier long (De nouveaux hommes sont nés, 1948) jusqu’à son dernier (Marcelino, 1991) en passant par Heidi (1952), Tu es mon fils (1956), L’Incompris (1967), Casanova, un adolescent à Venise (1969), Les aventures de Pinocchio (1971), Eugenio (1980), Cuore (1981), possédait un regard lucide sur son temps et sur le Monde. L’actualité de L’Argent de la Vieille en 2009 le prouve amplement.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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