Leningrad Cowboys Go America



Lundi 17 Février 2014 à 20h30 – 12ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Aki Kaurismäki – Finlande – 1989 – 1h18 – vostf

Un groupe de rock’n roll des pays de l’Est, sans public et sans avenir, décide de partir pour les Etats-Unis. Le film retrace son odyssee a travers le continent americain, de bars louches en pays perdus.

Notre article

par Josiane Scoleri

C’est peu dire que Leningrad cowboys go America est une comédie. C’est carrément un film qui travaille le comique à tous les étages, comme on disait dans le temps « Eau et Gaz à tous les étages ». D’abord le comique visuel, bien évidemment. On ne se remet jamais tout à fait de la première image où nos héros apparaissent à l’écran et même si on les voit ensuite pratiquement à chaque plan pendant 75 minutes, c’est à chaque fois le même choc visuel. Nous écarquillons les yeux, mais rien n’y fait, nous n’arrivons pas à croire ce que nous voyons à l’écran. Et là où Kaurismäki est très fort, c’est qu’il arrive à nous surprendre et à se renouveler à chaque nouvel épisode.

A priori bien sûr, le look de tous les membres du groupe (et de leur manager) est parfaitement ridicule, mais il est en fait tellement loufoque qu’il en devient une esthétique à part entière. Et surtout, nous savons tout de suite que Kaurismäki a juste poussé un (grand) cran plus loin la dégaine des grandes stars du rock des années 60, Elvis Presley en tête. De la banane aux santiags, en passant par la coupe du costume, tout y est. Ce qui rend le film si attachant, c’est justement que derrière la franche rigolade et la caricature, on trouve en fait un hommage de tous les instants à la musique américaine ou plutôt à toutes les musiques des États-Unis, que ce soit le blues, le rock, le folk, le rythm’and blues, la country music, le jazz, latino ou big band, c’est au choix. Mais en plus, les musiciens réussissent l’exploit d’être plutôt bons dans chaque style de musique tout en étant totalement pathétiques, soit par le jeu de scène, soit par la voix ou la gestuelle. Et de préférence les trois à la fois, sans oublier le costume (cf par exemple la veste orange avec la faucille et le marteau, énormes, sur la poitrine du chanteur). Et si cela ne suffisait pas, Kaurismäki s’offre le luxe de mettre en scène quelques morceaux culte, tels que « Rock and Roll is here to stay » ou « Born to be wild » dans des versions éminemment cocasses, mais qui tiennent quand même sacrément la route sur le plan musical.

Ensuite le comique de situation. Chaque saynète est construite de manière classique: d’abord l’exposé de la situation, déjà en soi parfaitement absurde, le développement jusqu’au climax hautement improbable, la chute hilarante qui entraîne le prochain épisode. Le début du film en est un très bon exemple : Le groupe est en train de jouer, il passe en fait une audition devant un apparatchik soviétique (fiasco complet) qui donne le numéro de son cousin aux États-Unis, appelé illico par l’impresario du groupe, qui ne fait ni une ni deux et décide de traverser l’Atlantique (au passage, nous  apprendrons, juste par le biais d’une photo accroché au mur du salon que Lincoln est l’aïeul de la famille, émigré en son temps aux États-Unis et dont on n’a jamais plus eu de nouvelles…).

Là où les choses se corsent, c’est que l’hommage à la musique américaine se double d’un hommage à la musique de film et au cinéma américain sous toutes ses coutures. Chaque étape du voyage est l’occasion d’un clin d’oeil à une situation, une scène ou un personnage type du cinéma de genre américain de la grande époque, le burlesque avant tout bien évidemment, mais pas seulement, loin de là. Nous retrouvons pêle-mêle le sky-line de New-York, le bar minable au bord d’une route in the middle of nowhere, les champs de derricks du Texas, les casses de voiture (à deux reprises, dont l’une avec Jim Jarmush en vendeur de vieilles Cadillac cabossées plus vrai que vrai), les pompes à essence, la prison avec ses énormes barreaux (et une scène minimaliste , mais oh combien efficace, où nos musiciens n’ont plus pour tout instrument que des canettes de bière), la mangrove de Floride où l’on s’attend à voir à tout moment surgir un crocodile et ce sera un saumon géant, le feu de camp dans le désert, l’impresario moitié escroc et totalement dément, la plage et le culte du soleil (« What people like here are The beach Boys » !), le passage de la frontière mexicaine (avec une réplique qui devrait rester dans les annales : « Nous approchons de la frontière, baissez-vous » et nos héros se retrouvent de l’autre côté sans qu’on ait même eu besoin de voir les contrôles de police !)… et last but not least, le personnage comique récurrent, le sparing partner qui ponctue le film de ses apparitions saugrenues. Kaurismäki nous régale de tous ces petits riens qui font immédiatement écho en nous, ce qui prouve, si besoin était, à quel point le cinéma américain imprègne à tout jamais la rétine du spectateur où qu’il se trouve dans le monde y compris au fin fond de la toundra finlandaise. Et chacun retrouve les films ou les images qui sont quelque part dans sa mémoire et sont autant d’icônes, d’archétypes du cinéma américain.

L’Amérique et son cinéma certes, mais aussi ses films ou ses tableaux ; les grands peintres de l’Amérique profonde, Edward Hopper en tête ne sont pas loin. Derrière la dérision se cache donc plus de profondeur qu’on aurait tendance à en voir de prime abord. Kaurismäki avec son humour (très) décalé nous parle aussi -surtout?- de lui et révèle au grand jour son amour pour ces deux formes d’expression artistique qui collent le plus à l’Amérique : la musique dite populaire et le cinéma – art populaire s’il en est.

Je n’ai pas parlé de l’autre grand mode comique, le comique de mots qui échappe forcément un peu à ceux qui ne comprennent pas le finnois. Mais il faut savoir que Kaurismäki fait parler ses personnages dans une langue très châtiée et plutôt désuète. Ce n’est plus un décalage, c’est le grand écart garanti avec ce qu’on voit à l’écran !! Évidemment, une fois de l’autre côté de l’Atlantique, l’anglais des Cowboys est plus sommaire, mais Kaurismäki se débrouille malgré tout pour nous caser quelques répliques très hollywoodiennes. Tout simplement jubilatoire. Et c’est sans doute le mot qui caractérise le mieux ce film qui manie l’outrance la plus kitsch avec beaucoup de tendresse pour notre plus grand bonheur.

Sur le web

« Les Leningrad cowboys, cousins germains des “drapes” dans Cry-Baby, sont une grande famille unie dans l’excentricité capillaire et vestimentaire ; ils partagent, de même, cette propension à chanter faux. C’est ainsi que sont nés les personnages créés par Aki Kaurismäki avec la coopération du groupe finlandais des Sleepy sleepers, avant que les Leningrad cowboys ne déclarent leur indépendance vis à vis de leur créateur et forment un groupe devenu à l’instar du film mondialement connu. Non contents de s’offrir un concert géant sur la place du Sénat à Helsinki avec les Chœurs de l’armée rouge (Total balalaika show), les Leningrad cowboys se retrouvèrent quelques années plus tard à nouveau les héros d’un film de Kaurismäki dans Les Leningrad cowboys rencontrent Moïse.
 Leningrad cowboys go America, quant à lui, est, à l’image de ce dénouement, indéfinissable. Road-movie surréaliste et burlesque à travers les États-Unis (car même la mauvaise musique est susceptible d’y faire un tabac), le film se vit tour à tour comme une variation sur le thème du vilain petit canard (les Leningrad cowboys qui arborent fièrement leur banane rejettent impitoyablement la honte du village, arborant une calvitie avancée), une représentation du rêve  américain, un voyage musical (avec un nombre conséquent de fausses notes) de la fanfare au rock en passant par la country et les mariachis, ou encore la quête initiatique de musiciens qui se libèrent du joug de leur manager tyrannique. Beaux et mélancoliques comme une perspective de Magritte au détour d’un plan fixe les montrant allongés sur le sable en rang d’oignons, réduits à la représentation d’une banane et de bottes pointant toujours plus haut vers le ciel, les Leningrad cowboys méritent bien l’adjectif cultes. De la Sibérie à l’Amérique profonde, ce premier road-movie avec les Leningrad Cowboys nous donne l’occasion de réviser quelques standards américains réinterprétés de façon loufoque par et de croiser Jim Jarmusch, qui joue un vendeur de voitures dans le film. » (Ciné-club de Caen)

Total Balalaika Show de Kaurismäki, est le tournage d’un grand concert donné à Helsinki par le groupe Leningrad cowboys et le choeur de l’armée rouge en juin 1993. Sur la place centrale d’Helsinki, une scène immense et un public de plus de 70 000 personnes. Le magazine Variety le qualifia de « mariage interculturel le plus plus incongru et le plus inspiré depuis que Noureïev dansa avec Miss Piggy. » En 1994 le groupe Leningrad cowboys et le choeur de l’armée rouge furent acclamés aux Music Awards de MTV et se produisirent au Radio City Music Hall à New York. Un show regardé par quelque 250 millions de personnes à travers le monde. Ou comment une idée burlesque et déconnante peut devenir un succès planétaire.

Les 11 cowboys et les deux cowgirls de la formation  chantent des hymnes à la vodka, aux tracteurs, aux missiles et à Genghis khan, et passent sans transition de chansons folkloriques russes à des ballades rock n’roll, reprenant des morceaux des Beatles ou de Led Zeppelin. Leur objectif : « Les faire crier, sauter et faire la fête. » Leur secret ? L’humour.
Le look des Leningrad cowboys, avec ses bananes de 50 cm et ses longues chaussures pointues, est devenu leur marque de fabrique. « Le plus mauvais groupe de rock de tous les temps » comme ils se baptisent eux-mêmes a depuis 15 ans participé à des centaines de concerts et de performances pour la télévision, du Japon à l’Amérique latine en passant par les Emirats.
En 1992, Aki Kaurismaki a également tourné deux clips avec eux : Those Were the Days (1992) et Thru The Wire.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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