L’Esquive



Vendredi 11 mars 2004 à 20h45

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Abdellatif Kechiche – France – 2004 – 1h57

Abdelkrim, dit Krimo, quinze ans, vit dans une cité HLM de la banlieue parisienne. Il partage avec sa mère, employée dans un supermarché, et son père, en prison, un grand rêve fragile : partir sur un voilier au bout du monde. En attendant, il traîne son ennui dans un quotidien banal de cité, en compagnie de son meilleur ami, Eric, et de leur bande de copains. C’est le printemps et Krimo tombe sous le charme de sa copine de classe Lydia, une pipelette vive et malicieuse…

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Le Jeu de l’amour et du hasard (1730), oeuvre sur le travestissement et les faux semblants, est au centre du film : les élèves répètent la pièce et profitent de leur rôle pour déclarer leurs sentiments. Mais pour Abdellatif Kechiche, faire référence à Marivaux va de soi dans un film qui traite des minorités, en raison de son regard moderne et audacieux, comme il s’en explique : « chez (lui), les valets, les soubrettes, les paysans, les orphelins tiennent non seulement des rôles à part entière dans l’intrigue, mais il leur prête également une vie intime, une intériorité, des sentiments nuancés. (…) Il y avait plus d’audace dans sa démarche que dans ce qui se fait aujourd’hui dans la représentation des minorités. »

« On a fait une telle stigmatisation des quartiers populaires de banlieue, qu’il est devenu quasiment révolutionnaire d’y situer une action quelconque sans qu’il y ait de tournantes, de drogues, de filles voilées ou de mariages forcées. Moi, j’avais envie de parler d’amour et de théâtre, pour changer« , explique le réalisateur Abdellatif Kechiche.

« Contrairement à La Haine, dont le désenchantement notable a fait grand bruit, les adolescents de L’Esquive gardent une certaine part d’innocence, encore peu conscients des difficultés que le monde adulte leurs réserve. Ici, nulle revendication explicite: la cité n’est pas encore un enjeu en soi, elle est une toile de fond, inhérente au quotidien de chacun de ces personnages qui l’acceptent comme telle. L’emploi d’un vocabulaire assez détonant et l’impression d’agressivité qui en résulte pour les autres exposent très justement les codes d’une communauté trop souvent réduite au cliché de la violence et du racket…Le réalisateur soutient intelligemment et avec un didactisme incroyable l’idée selon laquelle la banlieue peut être autre chose qu’un cliché constamment rabattu par les médias. Le cadre de vie n’y est soudainement plus synonyme de fatalité. Et pourtant, lorsqu’une bande de policiers intervient, soupçonnant le groupe d’adolescents d’un quelconque trafic, leur dignité, subtil mélange d’espoir et de volonté, se retrouve sérieusement menacée. Tutoiement abusif, agressivité physique totalement injustifiée, racisme ordinaire d’une bande de dégénérés, les préjugés s’en retrouvent sérieusement contrariés car sous prétexte de ne pas avoir la bonne couleur de peau ou de ne pas pouvoir vivre ailleurs, ces jeunes sont les réelles victimes d’un racket moral. Le film n’invite pourtant à aucun misérabilisme appuyé car, même si la scène d’arrestation est développée, la suite de cette entrevue musclée reste évacuée, « esquivée » car Kechiche, s’il dénonce les applications abusives de la loi, ne souhaite pas polémiquer pour polémiquer. Au contraire, l’espoir demeure lors de l’étape suivante car on n’y voit rien d’autre que l’aboutissement souhaité de la démarche de ces quelques élèves volontaires et déterminés. Cette expérience les aura fondamentalement affectés et modifiés en les exposant directement à l’intolérable. Une nouvelle maturité, celle d’une prise de conscience douloureuse vis-à-vis d’une société réticente à les accepter comme tels, se lit sur les visages de ces nouveaux comédiens en plein exercice théâtral. Une bouleversante osmose emplit alors les dernières scènes de ce film d’une troublante sincérité dont on n’a manifestement pas fini d’entendre parler. » (critikat.com)

« Sur le papier, L’Esquive fait très peur, laissant imaginer le pire dans le genre constat social banlieusard… Surprise : il n’en est rien. Progressivement, le scénario, subtil et fin, évapore les clichés, s’affranchit des comparaisons peu flatteuses et propose une histoire drôle, simple, juste, lumineuse. La gageur de L’esquive est de proposer un marivaudage made in banlieue qui repose sur une multitude d’idées audacieuses. La première consiste à montrer une autre image de la banlieue sans les problèmes sociaux inhérents. 
Après une première Faute à Voltaire sur le monde des laissés-pour-compte, Kechiche pose sa caméra dans une banlieue ordinaire et se met à hauteur d’ados pris au cœur d’une mise en abîme et d’un vaudeville moderne où la réalité côtoie délicieusement le dérisoire. En filigrane, le cinéaste privilégie ici l’individu par rapport au groupe. Par exemple, le jeune Krimo se met au théâtre par amour et emprunte ce support pour déclarer sa flamme à celle qu’il aime secrètement. Il ne possède pas les mots pour lui dire ce qu’il ressent, de la même façon qu’il a peur de la réaction de ses amis. Incidemment, le film prend la forme d’une belle histoire d’amour entre deux personnages qui, prisonniers de leur condition, ne peuvent pas dire qu’ils s’aiment et dont l’issue de leur relation est inévitable. Cette situation sert de plan final au film. 
Cependant, si le cinéaste montre sans démagogie une image de la cité qui va craquer débarrassée de poncifs, son film n’est pas pour autant consensuel : le passage éclair des flics rappelle à quel point les jeunes issus de l’immigration et plus généralement des cités peuvent être parfois victimes des clichés haineux véhiculés par les médias, les réduisant à des délinquants. C’est une réalité que le réalisateur n’a pas eu envie d’éluder sans quoi son récit aurait sans doute été taxé d’angélisme. Mais il y a ici plus d’espoir que d’appel à la révolte : Kechiche a compris que montrer une image plus juste de la banlieue (sans pour autant l’améliorer ni la magnifier) pourra peut-être faire évoluer les mentalités. Beau combat. » (avoir-alire.com)

Le tournage du film s’est déroulé dans le quartier de Franc-Moisin, à Saint-Denis (93). Si au départ les habitants se montraient plutôt réticents, ils ont vite compris que le tableau de la cité fait dans L’Esquive n’allait pas les « trahir« , critique qu’ils reprochaient à de nombreux reportages télévisées les concernant.

Pour les jeunes acteurs du film, c’était leur première expérience en tant qu’acteur. Seule Sarah (qui joue Lydia) avait déjà fait deux figurations. Le casting s’est imposé à la suite des répétitions de groupe et selon les disponibilités de chacun, car le film a en partie été tourné l’été.

« Je voulais démystifier cette agressivité verbale, et la faire apparaître dans sa dimension véritable de code de communication. Une sorte d’agressivité de façade qui cache bien souvent de la pudeur, et même parfois une véritable fragilité, plus qu’une violence à proprement parler « , explique le réalisateur.

Dans une interview accordée à Télérama à l’occasion de la sortie de La Vie d’Adèle en 2013, Abdellatif Kechiche a expliqué qu’il a eu une autre idée de fin pour L’Esquive deux ans après la sortie du film et qu’il a failli la tourner avec Sara Forestier.

Présenté au festival du film de Belfort 2003, L’Esquive a reçu le Grand prix du long métrage français et le prix du public. Nommé aux César 2005 dans 6 catégories (Meilleur Film, Meilleur réalisateur : Abdellatif Kechiche, Meilleur espoir masculin : Osman Elkharraz, Meilleur espoir féminin : Sara Forestier et Sabrina Ouazani), L’Esquive a obtenu 5 récompenses (Meilleur Film, Meilleur réalisateur : Abdellatif Kechiche, Meilleur espoir féminin : Sara Forestier), s’imposant comme le grand triomphateur de la cérémonie.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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