Melancholia



Vendredi 14 octobre 2011 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Films  de Lars von Trier – Danemark – 2011 – 2h10 – vostf

À l’occasion de leur mariage, Justine et Michael donnent une somptueuse réception dans la maison de la soeur de Justine et de son beau-frère. Pendant ce temps, la planète Melancholia se dirige vers la Terre…

Notre critique

Par Philippe Serve

LARS VON TRIER, LE JOUEUR-CHERCHEUR

Lars von Trier (LvT) vient de déclarer que cette fois, fini, il ne parlerait plus. Le mutisme serait son compagnon de route. Effet différé bien sûr de sa blague stupide et ratée – et largement incomprise – au dernier festival de Cannes et dont ce paranoïaque provocateur n’avait su se sortir par une désastreuse fuite en avant qui lui valut de se retrouver aussitôt déclarée persona non grata  sur la Croisette. La conséquence la plus regrettable de toute cette affaire fut de voir son film en compétition, Melancholia, être privé d’une récompense majeure – Palme d’Or ? – qui lui semblait promise par l’ensemble de la critique et des festivaliers. Le prix d’interprétation féminine accordé à son actrice Kirsten Dunst ne faisant que souligner l’embarras d’un Jury peut-être trop sous l’influence de la direction du Festival…

Donc, LvT ne parlera plus. Tournera-t-il encore ? Tout indique que oui. Mais si par malheur un objet céleste – moins imposant et plus précis que celui de Melancholia, – venait à frapper sa maison au Danemark et mettre un point final à sa carrière, déclarons-le tout net : ce dernier opus ferait un magnifique testament artistique. Le terme « artistique »  ne se colle pas ici par hasard. Lars von Trier n’est pas un « simple cinéaste » mais bien un véritable artiste, possédant une vision personnelle du Monde et de la Vie qu’il n’a de cesse depuis  plus de 25 ans de décliner en des formules toujours plus inventives, plus audacieuses. Il y a du génie en lui, peut-être de la folie. Mais Hippocrate lui-même ne liait-il pas intimement  les deux états à cette maladie de la bile noire (Melankholia en grec) qu’il fut le premier à diagnostiquer ?

On a coutume de dire – souvent à juste titre – que les films de Lars von Trier, on les aime ou on les déteste. Pas de compromis. Une chose est certaine : ils ne laissent jamais indifférent. Comme leur auteur. Ce dernier se trouve parfois accusé de se servir du 7ème Art comme d’un moyen au service de son tempérament provocateur. C’est à mon sens mal appréhender et mal comprendre qui est Lars von Trier : un chercheur, doublé d’un joueur. Au sens plein du terme. Ce qui l’intéresse est de mettre en place un système de jeu avec ses règles et de voir ce qu’on peut faire dans ce cadre imposé et limité. D’où ses trilogies (en « E » pour Europe, des « Cœurs d’or« ), d’où un film comme Le Direktor et, bien sûr, le Dogme 95.

LvT est un homme passionné par le paradoxe et le principe même de contradiction. Le fait de coller à cette obsession des « règles » (auto)imposées, tout en ne cessant de vouloir les enfreindre en bon et vrai rebelle qu’il est, le prouve. Le cinéaste danois n’est jamais autant à l’aise que dans l’opposition, le conflit et le sentiment d’incertitude, d’ambiguïté que ceux-ci provoquent en retour chez le spectateur. Peut-être peut-on trouver les racines de cette constante dans sa propre psyché et ses diverses névroses avouées, mais aussi dans des traditions artistiques et cinématographiques dont il est héritier : romantisme – surtout allemand -, expressionnisme, théâtre et cinéma scandinave (Strindberg, Ibsen, Sjöström, Dreyer, Bergman)…

L’impression que Lars von Trier ne trace pas, au long de ses 33 œuvres (tous genres confondus),  un sillon bien droit se révèle à l’analyse tout à la fois vraie et fausse. Vraie car oui, LvT sort vite de la ligne tracée : à l’intérieur même de sa première trilogie, il rompt brutalement de style entre {Element of Crime} (1984), premier long-métrage portant les traces du génie, entièrement tourné sous un filtre ocre, au scénario volontairement opaque et aux plans très composés, et le suivant, Epidemic (1987), en noir et blanc  hyper contrasté, à la trame narrative réduite au minimum et au parfum de film-gag…De même entre Les Idiots (1998), parfaite illustration du Dogme 95 (lui-même incarnation absolue de ce qu’est un jeu imposé avec ses règles), cinéma rejetant tout artifice et faux-semblant, et Dancer in the Dark (2000), deuxième volet des héroïnes en or (le premier ayant été Breaking the Waves quatre ans plus tôt) avec son opulence de « mise en scène« , de musique, d’illusions et de prouesses technologiques (voir la scène tournée avec 100 appareils photos). Et l’on peut continuer : après ce déluge son et lumière, LvT nous plongeait dans le dénuement scénique d’une nouvelle trilogie finalement ramené à un diptyque « américain » :Dogville (20003) et Manderlay (2005) avec leur immense hangar et des décors invisibles et dont les limites étaient simplement tracées à la craie, au sol. Ou comment passer de l’univers – très décalé, on en conviendra – du Magicien d’Oz au théâtre brechtien et à son Verfremdungseffekt (effet d’étrangeté ou de distanciation). N’oublions pas entre les deux drames yankees, l’amusant – et passionnant sur le travail de création artistique – Five Obstructions (2003, encore un jeu, encore des règles contraignantes) puis, après Manderlay, l’ovni Le Direktor (2006) pour lequel LvT laissait sa caméra décider par elle-même de ses angles de prises de vue ! Pure comédie burlesque à l’opposé total de ce qui allait suivre, un nouveau tir groupé sur le thème de la dépression majeure, d’abord le tétanisant et insoutenable Antichrist (2009) puis ce plus serein Melancholia

Sortie récurrente de sillon, donc ? Pas si sûr… Dans tous les films évoqués ci-dessus – et il faut y ajouter ce chef d’œuvre que fut Riget / Le Royaume (également nommé L’Hôpital et ses fantômes, série géniale tournée pour la télévision – on retrouve les thèmes, les obsessions, les interrogations de Lars von Trier sur le monde, sur la vie, sur le combat incessant entre le Bien et le Mal, entre la Lumière et les Ténèbres (sans jamais céder au manichéisme), sur les concepts même de Bien et de Mal, après tout il n’est pas danois pour rien ! Et les différences stylistiques – difficilement contestables – entre les œuvres, ne prouvent qu’une chose : ce qui intéresse LvT n’est pas seulement son sillon mais bien tout le champ à labourer. Ce champ, celui du cinéma, il ne veut pas y laisser une seule motte non retournée car il en sait le terreau riche et fécond. Tout peut y pousser, même l’improbable. Son rôle d’artiste, le voici : travailler à y faire pousser les plus belles fleurs, et qu’importe leur parfum souvent vénéneux. Au contraire, celui-ci aiguisera encore davantage nos sens. A ce romantique maintes fois incompris et si souvent rejeté, nous pourrions proposer pour l’ensemble de son œuvre un titre général bien connu : « Les Fleurs du mal« . Baudelaire, Lars von Trier, comment ne pas les rapprocher ? Même réputation scandaleuse, même odeur de soufre, même vision – régulièrement traitée de misogyne par les inattentifs – de la Femme, même fascination pour le spleen, cet autre terme décrivant l’état de mélancolie… Cette mélancolie que peu – aucun ? – aura su porter à l’écran aussi magnifiquement et intelligemment que ce trublion génial de Lars von Trier.
Alors, prêt(e) à adorer ou à détester ?


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

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La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).

Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
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