Mardi 10 Février 2015 à 20h30 – 13ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Quentin Dupieux – France/Angola – 2010 – 1h25 – vostf
Dans le désert californien, des spectateurs incrédules assistent aux aventures d’un pneu tueur et télépathe, mystérieusement attiré par une jolie jeune fille. Une enquête commence.
Notre critique
par Guillaume Levil
« Pourquoi appellent-ils intelligence toutes les limites de toutes les règles, tous les interdits de tous les codes ? Enorme et gigantesque constipation de tous les cerveaux ! » Wilfrid Lemoine / Le Funambule
Depuis bien longtemps, une des quêtes de l’artiste est de défier son propre art, en Dieu critique qui voudrait faire évoluer sa création. Ainsi certains peintres ont fui le figuratif pour faire naître les émotions dans des mouvements de couleurs, certains écrivains ont abandonné le narratif pour explorer la puissance des mots. Aujourd’hui, la réflexion artistique peut amener à peindre en dehors de la toile, ou même à ne pas produire de support physique du tout, car on fuit la matière, ou bien on la réinvente, assassinant les codes préétablis. Quentin Dupieux cinéaste fait partie de ces assassins, faisant naître de nouvelles espérances de liberté, et, en provocateur malin Quentin Dupieux en 2010 forcément critiqué, il fait partie de ceux qui tuent le code par simple curiosité artistique.
Quentin Dupieux ne fait pas de films
Quentin Dupieux est davantage connu du grand public pour les sons sournois de Mr. Oizo (son nom d’emprunt pour la musique). En 1999 sort un tube multi-visionné à travers le monde, Flat Beat, avec la petite peluche jaune rigolote qui s’agite dans le clip (la peluche s’appelle Flat Eric, utilisée dans les pubs blue-jeans Levi’s). Il nous le dit, Quentin, sa musique est lié à »l’inécoutable », c’est »du grand n’importe quoi », et d’ailleurs il scande que certaines de ses créations sont inventées par des moyens totalement aléatoires. C’est cela, la modernité de Quentin Dupieux, parier sur le hasard, ne jamais intellectualiser ni les sons, ni les images, et prôner la liberté de créer sans forcément faire appel au cerveau : « il n’y a rien de plus beau dans l’art que de ne pas réfléchir. » Mais le hasard et l’aléatoire sont ma foi fort prolifiques puisqu’en plus de la B.O de ses propres films viennent s’ajouter quatre albums en studio, la réalisation de clips pour les copains (Marilyn Manson, Sébastien Tellier, etc… qui jouent d’ailleurs dans certains films de Dupieux), et même la production d’autres artistes.
Le petit Quentin a très vite compris la force de l’image : « J’ai acheté, vers 18 ans, une caméra 16 mm et que j’ai tourné ma première bobine en filmant un copain marchant dans la forêt. J’ai fait développer le truc et, quand je l’ai projeté, j’ai compris la puissance du cinéma. A partir de ce moment, j’ai commencé à écrire des scénarios et à réaliser des courts-métrages en 16 mm. » (Propos recueillis par Jérémie Couston pour Télérama). Quentin grandit et devient cinéphile, grand amoureux de son principe du hasard et de la narration décalée. Forcément, s’il devait réaliser la suite d’un film, ce serait « Un Chien Andalou 2 », certifie-t-il, pour mettre des idées et des rêves bout à bout comme les surréalistes Salvador Dalí et Luis Buñuel. Et s’il devait être un peintre, il se réincarnerait en Andy Warhol, forcément, car il {« aime bien le côté feignant de son art. L’idée plus importante que la réalisation. »} Fort de ses envies d’images et ces références marquantes, Quentin Dupieux ne veut pourtant pas qu’on le considère comme un cinéaste : « Je refuse de me fantasmer en Spielberg ou Kubrick. Je refuse d’être un pro. » D’ailleurs, dans la bande-annonce de son prochain film (Réalité sortie le 18 février 2015), Alain Chabat y joue déjà un réalisateur qui insulte Kubrick avec assurance.
En 2001, son premier film de 48 minutes s’appelle Nonfilm. Non seulement Dupieux n’est pas un réalisateur, mais dès le début de ses accointances avec le cinéma, il décide de créer un film qui n’en est pas un. Il s’agit de l’histoire d’un homme qui se réveille en plein milieu d’un tournage où, apparemment, c’est lui l’acteur. L’équipe technique du film est décimée par mégarde et voilà que les quelques survivants décident de continuer le film sans scénario et sans caméra. Ici déjà apparaissent les ingrédients farfelus de celui qui n’est pas cinéaste, mais qui s’offre le luxe de créer un film sur un faux film dans le film, qui ne sera même pas vu puisqu’il n’est pas tourné, arrachant aux codes de la mise en abîme le but même de son existence. Voici les explications données par l’auteur en guise de mise en garde sur Nonfilm :
NONFILM est irregardable.
NONFILM est ma première tentative de créer un film (j’ai échoué).
NONFILM est l’essence du concept ‘NO REASON’. NONFILM est le petit frère handicapé de RUBBER. NONFILM est un animal sauvage.
NONFILM ne contient qu’UNE blague.
NONFILM a été tourné avec l’argent de Flat Eric. NONFILM est génial si vous savez le regarder. ESSAYEZ.
Pas de soucis, donc, tout est dit : film autoproduit, c’est un ovni métastable, et l’auteur avoue que l’histoire du film non tourné est le miroir de son propre échec. A l’image du scénario improbable et libre à souhait, la caméra vient parfois percuter les comédiens, elle tremble comme si un touriste chinois pas doué ne savait pas où se placer pour voler ces instants.
Quentin Dupieux fait des films.
Rubber est le troisième film de Dupieux. C’est le Petit frère handicapé, alors on y retrouve forcément la force de liberté et l’autocritique terriblement cynique de Nonfilm. Son manifeste NO REASON y est fourni comme ça dès le début, établissant les règles du jeu : mon film, ça va être du n’importe quoi. Pourtant, l’auteur contredit son côté anti-intellectuel par le simple fait que les références abondent, que la trame reste précise et que les moments de comédie sont écrite au vitriol. Sans y prendre garde, « l’anti-statut-de-cinéaste » en serait-il devenu un ? Car ce manifeste est énoncé par un personnage qui regarde la caméra, le shérif, faisant entrer le film dans une métalepse qui fait penser à « Annie Hall », dans lequel Woody Allen, personnage, s’adresse à la caméra puis reprend l’action diégétique. La métalepse, c’est l’intrusion de celui qui raconte dans le monde narré, et c’est souvent pris par le spectateur comme une infraction de la narration. Mais là Dupieux va plus loin, en enfreignant les « pseudo-codes » d’un concept qui va lui-même à l’encontre des codes (vous suivez ?). Le personnage devient narrateur, certes, mais l’auteur est mis en scène dans le film (est-ce le pneu, qui se bat contre le cinéma aseptisé en faisant littéralement exploser des têtes ?) et même le spectateur est représenté, sous les traits de personnes voyeuristes au jugement facile. Par ces imbroglios successifs, le film prend un recul sidéral sur le problème de la représentation. En tout cas tout le monde en prend pour son grade et Dupieux présente là clairement une revendication du cinéma d’auteur intelligent.
Dans Rubber, le serial-killer psychotique est un objet de la vie courante (on reconnaît la patte d’Andy), et justement, si l’existence d’un serial-killer fait frémir l’imaginaire collectif, c’est parce qu’il peut se cacher n’importe où : parmi nos amis, parmi les enseignants de nos enfants, ou même parmi… les roues de votre voiture de sport. Robert le tueur est un objet mais il a un cœur, il tombe amoureux d’une magnifique Roxane Mesquida, comme King-Kong l’avait fait avant lui. Soyons clairs, il est facile de s’identifier à Robert, car nous le voyons naître, nous le voyons s’épanouir puis sombrer dans la déception. Cette liberté n’est possible techniquement que grâce au fameux Canon EOS 5D Mark II, appareil photo qui a servi pendant tout le tournage de 14 jours (c’était l’une des premières fois de l’histoire). Ainsi la caméra (enfin, l’appareil photo) se faufile à hauteur de pneu, rendant l’identification évidente.
Rubber est donc une réflexion acide sur le cinéma moderne et c’est aussi un résumé des genres : il s’agit d’un film d’épouvante (magistrale référence à la scène de la douche hitchcockienne ; ou on pense à Christine de Carpenter), une comédie, un film noir, un « slasher »…. Mais après tout cela, quand on demande à Quentin Dupieux pourquoi il tourne, la réponse pourrait dérouter plus d’un pneu : « Parce que je suis toujours fasciné par la magie qui entoure l’action de filmer. Tout cette énergie dépensée pour un truc finalement assez ridicule. »
Sur le web
Tout l’enjeu du réalisateur était que le spectateur ne s’interroge pas pendant tout le film sur les artifices qui feraient bouger le pneu. En effet, il fallait réussir à rendre crédible cette autonomie afin qu’il ne reste pas bloqué sur cette question juste pratique. « Il y avait un langage à créer, qui a trait au cadre, au découpage, à la mise en scène. Trouver le langage, c’est trouver une logique à suivre dans le découpage pour brouiller les pistes du spectateur« . Et il était décisif de ne pas rater l’entrée dans le film : « il fallait donc le montrer à plusieurs reprises évoluant tout seul dans plan, aller vaguement à droite, puis s’arrêter avant de redémarrer« , explique-t-il.
Le seul personnage sur lequel le réalisateur a voulu développer la notion de sentiments est bien évidemment (!) celui du pneu. Il fallait réussir à se projeter dans l’esprit du pneu, d’où par exemple le moment où il se regarde dans le miroir: « Donner une personnalité à ce pneu était primordial » , explique-t-il. L’origine de ce plan était d’abord de montrer le moment où il découvrait son aspect physique, mais Dupieux a ensuite décidé d’en faire plus. De lui donner une identité: « Au montage, quand je suis arrivé à cette scène, l’idée qu’il se remémore son passé et remonte le fil de son existence s’est imposée comme une évidence« .
Personnage central, quasiment présent à tous les plans, la question de l’animation du pneu est évidemment intrigante car tellement spontanée. A l’heure du tout-numérique, Quentin Dupieux n’a pour sa part choisi que des trucages mécaniques, dans un souci de réalité que l’informatique ne lui procure pas autant, trop parfait visuellement. Ainsi le pneu agit avec un moteur et une télécommande et les têtes qui explosent sont en fait des ballons de baudruches avec de l’air comprimé, à l’ancienne. Si un peu de post-production numérique a été nécessaire pour les têtes humaines, il ne s’agit que d’une partie très réduite du travail.
Choisir de faire un film sur un pneu serial killer a tout du projet parfait de série B. C’est d’ailleurs un genre que le réalisateur ne renie pas: « J’ai été beaucoup spectateur de ce type de films, mais je les regarde de moins en moins », confesse-t-il. Une distance qu’il explique : « Pour moi, la vraie série B est emprunte de naïveté, de sincérité. Les séries B d’aujourd’hui font semblant, sont souvent cyniques. » Il refuse cette unique caractéristique et cite volontiers d’autres pairs: « David Lynch a juste un esprit, il fait des films comme il l’entend. (…) et cette idée que les spectateurs se retrouvent à regarder un truc qu’ils ne peuvent voir qu’en faisant des efforts colossaux m’amuse beaucoup« .
A l’instar des films de fantômes japonais dont il est friand, il y a dans Rubber une certaine lenteur que le réalisateur revendique. C’est même une de ses armes car, bien qu’ « on pourrait imaginer une version de Rubber avec un pneu qui roule à toute allure, qui au lieu de vibrer et de faire exploser les objets leur fonce dessus« , cela plongerait son film dans une genre qui n’est pas le sien. « Le choix d’une mise en scène photographique, de la lenteur, ont été une façon de ne pas s’engouffrer dans ce créneau de cinéma Z qui ne m’intéresse pas du tout« , confesse-t-il.
Selon une méthode qu’il utilise également quand il fait de la musique (sous le pseudonyme de Mr Oizo), Quentin Dupieux n’a pas besoin de beaucoup de temps pour construire ses projets. Au contraire: « Quand je fais un morceau que j’estime bon, c’est un moment qui prend une heure grand maximum. Le film a été tourné en 14 jours, et finalement nous n’avons fait que tourner, en équipe réduite. » Alors que Quentin Dupieux se force du mieux possible à ne pas s’inspirer de films en particulier quand il écrit, un film s’est détaché sans qu’il puisse faire autrement: « Impossible de ne pas penser à Scanners de Cronenberg quand on filme des têtes qui explosent, » confesse-t-il. « C’est un des chocs de mon adolescence. (…) J’aime beaucoup les scènes avec les types qui se regardent en face à face, qui se crispent jusqu’à ce qu’il y en ait un qui explose« . Effectivement la référence n’est pas loin !
Présentation du film et animation du débat avec le public : Guillaume Levil.
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