Vendredi 16 octobre 2015 à 20h30
Film de Jozo Itami – Japon – 1985 – 1h58 – vostf
Tampopo, une jeune veuve tient un médiocre restaurant de soupes de nouilles dans un quartier populaire de Tokyo. Elle lutte courageusement et n’aspire qu’à une honnête vie, jusqu’au jour où un routier à la dégaine de cow-boy, Goro, entre dans sa vie. C’est un gourmand, il sait que la préparation de la soupe de nouilles est une vocation, sinon un rituel. Le jour où il vient se restaurer chez Tampopo, il l’informe brutalement que ses nouilles « manquent de tripes » ! Elle le convainc alors de lui enseigner l’art de cuisiner une bonne soupe. Parallèlement à la quête de Tampopo et Goro aidés par maints personnages excentriques, plusieurs intrigues secondaires, toutes d’ordre culinaire, se nouent… Cette femme qui s’introduit furtivement dans les supermarchés et qui diaboliquement tâte les fruits et les fromages… Ce jeune couple dont les ébats dans une chambre d’hôtel sont agrémentés d’œufs.
Notre article
Par Josiane Scoleri
Tampopo illustre parfaitement un genre rarement associé en Occident à la cinématographie japonaise, alors qu’il est très vivace au Japon, celui de la comédie. Dans le cas de Juzo Itami, une comédie volontiers satirique qui aime bien flirter avec la parodie. Tampopo a été qualifié par la critique américaine à sa sortie en 1985 de « western nouilles », en référence bien sûr au western spaghetti de Sergio Leone et la dégaine de l’acteur principal, Tsutomo Yamasaki, est effectivement plus qu’un clin d’œil à l’éternelle silhouette du cow-boy, la démarche chaloupée et le chapeau en cuir vissé sur la tête. Cela dit, ce n’est qu’un des aspects du film qui saute volontiers d’un genre à l’autre, tout en revenant régulièrement à son fil conducteur principal ( le bar à nouilles traité comme un saloon, le duel au soleil entre les deux rivaux, le camion rutilant rappelant ceux des grandes plaines de l’Ouest américain, orné d’une immense paire de cornes de bovidé, etc…). En effet, l’une des caractéristiques les plus originales de Tampopo, c’est sa construction éclatée en une multitude de personnages secondaires qui n’ont rien à voir avec l’intrigue principale et qui, pour certains, reviennent aussi à intervalles plus ou moins réguliers. Toutes ces ramifications permettent au réalisateur d’aborder à la fois une grande variété de sujets touchant à la société japonaise tout en les associant à chaque fois à un genre cinématographique. C’est ce qui fait le côté jouissif et gentiment virtuose de Tampopo. Le film de yakusa, comme le film érotique, deux genres majeurs du cinéma japonais, sont traités ici sur le mode de la transgression et du détournement. Le film policier ou le film d’auteur de même : le sacrifice de la femme mariée comme chez Ozu avec de plus, quelques trains qui traversent l’écran pour faire bonne mesure ou encore les clodos gastronomes qui ne sont pas sans rappeler le Dodeskaden de Kurosawa. Mais Juzo Italmi ne s’éparpille pas pour autant. Sous cette grande diversité de fond et de forme, il ne lâche à aucun moment son véritable sujet qui est tout simplement inépuisable, à savoir notre rapport à la nourriture.
Au-delà de la progression de Tampopo – c’est le nom de l’héroïne du film – vers l’excellence du bol de nouilles, Itami passe en revue à la fois les conventions sociales autour de la bouffe ( cf l’inénarrable scène de bonnes manières sur comment manger des spaghettis sans faire de bruit ou encore le repas d’hommes d’affaires dans un restaurant de luxe, bien évidemment français), le rapport entre nourriture et sexualité ( avec notamment deux scènes aussi explosives que drôles et franchement nettement plus érotiques que la plupart des films du genre), le fétichisme ( la vieille dame au supermarché), la gloutonnerie (autre scène burlesque avec le milliardaire qui s’étouffe), la transgression de l’interdit ( le petit garçon et sa glace), le culte esthétique, voire maniaque de la présentation, la fonction « madeleine de Proust » avec une scène hilarante de recette au moment de la mort du gangster, et même une scène carrément grand guignol chez le dentiste, etc…Tampopo nous dit tout simplement sous ses airs de comédie loufoque que toutes les circonstances de la vie, de la naissance à la mort, sont de fait intrinsèquement liées à la nourriture. Et le dernier plan du film, plutôt long et totalement inattendu se fait fort de nous le rappeler en un ultime clin d’œil.
Le réalisateur se comporte tout au long du film en chef d’orchestre symphonique ou peut-être plus précisément de big band de jazz avec un art consommé du montage qui donne au film son rythme époustouflant. Car si le film tient la route, et si 30 ans après, il n’a toujours pas pris une ride, c’est bien grâce à son tempo qui ne faiblit pas quelque soit le genre de film abordé ou l’aspect social dont il est question.
Le montage est renforcé par l’utilisation de la musique qui utilise tous les canons des films hollywoodiens et en rajoute : le moment de suspense, le dénouement victorieux, l’attente amoureuse, l’étonnement, le renversement de situation, etc… nous reconnaissons en permanence des airs qui peuplent notre imaginaire autant que les images qu’ils accompagnent. Mais là où Juzo Itami révèle toute sa maestria c’est qu’il utilise cette même musique des films américains qui souligne -souvent très lourdement- ce qui est déjà explicite à l’écran, pour la détourner de sa fonction d’origine. Ici, elle ajoute une note parodique à la scène, accroît le décalage avec l’image et contribue par elle-même à nous faire rire.
Enfin, le film est porté par une équipe d’acteurs formidables. Le duo Tsutomo Yamazaki/Noboku Myamoto fonctionne à merveille. Lui en Clint Eastwood au service de la veuve et de l’orphelin qui repartira en loup solitaire à bord de son camion. Elle, de veuve effacée à disciple prête à tout qui retrouve charme et vivacité au fur et à mesure de sa conquête gastronomique. Mais il serait injuste d’oublier tous les autres acteurs dont aucun n’est secondaire, chacun étant le protagoniste d’au moins une scène haute en couleurs qu’on ne risque pas d’oublier, Le dandy gangster et sa pin-up sexy, le jeune acolyte de Goro, le vieux maître de nouilles, le flic compréhensif et l’escroc gastronome, tous ont droit à un ou deux solos qui révèlent à plein leur talent et apportent une touche de plus à la construction de l’ensemble.
Sur le web
Le réalisateur a qualifié Tampopo de « western-nouille », un clin d’oeil à l’expression « western-spaghetti ». Il est vrai que le film fait écho à de nombreux éléments propres aux westerns : Goro s’apparente au personnage mystérieux qui arrive en ville au début de l’intrigue. Il sauve ensuite une jolie jeune femme des griffes d’hommes peu recommandables et leur livre même un combat plus loin dans le film. Certains critiques ont remarqué que le jeu d’acteur de Goro (Tsutomu Yamazaki) imite volontairement celui de Clint Eastwood…Jozo Itami semble s’être beaucoup amusé en tournant et le fait que Tampopo soit seulement son deuxième film à 52 ans, un an après Funérailles (1984), procure un côté presque juvénile à cette œuvre. Il commença très tard cette carrière de cinéaste en raison d’un complexe envers son père, grand réalisateur des années 1940…Juzo Itami est venu très tard à la réalisation après avoir exercé les métiers les plus divers, boxeur, monteur d’orchestre, designer commercial, rédacteur de magazine, traducteur, journaliste, animateur de télévision, acteur, écrivain et meurt tragiquement le 20 décembre 1997 à l’âge de 63 ans, officiellement suicidé après être tombé de la fenêtre de son bureau situé au huitième étage. On retrouva un mot destiné à la presse où il assurait, après avoir été accusé d’adultère avec une jeune femme âgée de 26 ans : « Je prouverai mon innocence en mourant. Il n’existe aucun autre moyen de prouver que rien ne s’est passé entre elle et moi« . Mais une théorie existe comme quoi il aurait été éliminé par des yakusas mécontents du traitement que Itami leur avait réservé dans certains films, dont Tampopo, et qui auraient camouflé leur meurtre en suicide. Cinq ans auparavant, Itami s’était fait agresser devant son domicile par trois de ces gangsters armés de couteaux et il avait dû passer 8 jours à l’hôpital.
« En trois films: Funérailles, Tampopo et L’inspectrice, Juzo Itami a dynamité les notions de genre et de bon gout. Il a parlé de l’argent, de la mort et avec Tampopo, il fait le western spaghetti de la grande bouffe made in Japan. » (Louis Skorecki, Libération)
Tampopo est à vrai dire un film célèbre dans l’histoire du cinéma japonais, il a été diffusé un peu partout dans le monde. Cette œuvre est un véritable poème aux nouilles japonaises accompagné d’une soupe, de trois tranches de porc, de quelques légumes, d’oignons qui forment ce qu’on appelle communément, le ramen.
La mise en scène et le film dans son ensemble font preuve d’un grand humour parodique, et Jozo Itami n’hésite pas non plus à exposer certains des travers de la société japonaise, de la recherche effrénée de la perfection au conformisme le plus généralisé. Jozo Itami multiplie les petites digressions fonctionnant comme autant de sketches qui entretiennent chacun un rapport étroit à la nourriture et tous sont très amusants. Qu’il s’agisse du cours donné par une japonaise très collet-monté à de jeunes étudiantes attentives sur la manière de manger des spaghetti et qui tourne à la farce la plus débridée ou encore de ce déjeuner d’administrateurs tous plus conformistes les uns que les autres. Attablés dans un restaurant de haut-vol servant une cuisine française recherchée, ils se contentent, privés d’imagination et d’audace, de copier comme un seul homme la première commande faite par l’un d’entre eux (sole et salade). Ce comportement est d’ailleurs courant dans les repas d’affaires japonais. Tous sauf un, le plus jeune, qui, en gourmet, va choisir des plats extrêmement sophistiqués, accompagnant le tout de commentaires révélateurs d’un amateur très éclairé. Le yakusa, gangster local, habillé tout de blanc (Koji Yakusho) réapparaît de temps en temps pour des épisodes assez succulents de jeux sexuels à base de nourriture, bien plus inventifs que ceux des films érotiques. Les gambas vivantes sont utilisées d’une façon répertoriée dans aucun livre de cuisine. Le sommet est atteint avec œuf cru, gobé, dont le jaune intact passe de bouche en bouche, jusqu’à figurer une métaphore d’un orgasme féminin.
De nombreux restaurants japonais à l’étranger (mais aussi au Japon) se sont appelés « Tampopo » en hommage au film. Le personnage du sans-abri qui concocte un « omu rice » est un hommage à Charles Chaplin, lui-même surnommé « The Tramp » pour avoir incarné de nombreux clochards comme dans Les Lumières de la ville.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri
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