Toto qui vécut deux fois



Vendredi 13 novembre 2009 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de  Daniele Cipri et Franco Maresco – Italie – 1998 – 1h35 – vostf

Trois sketches farfelus et blasphématoires inspirés des épisodes les plus connus de la vie du Christ.

Notre critique

Par Philippe Serve

TOTO…, LA JOUISSANCE SACRILEGE

Dès le début du film – interdit avant même sa sortie et resté censuré dix ans -, dans cette première séquence pré-générique déjà provocatrice, le ton est donné. Toto qui vécut deux fois se fera contre le cinéma italien, peut-être même contre le cinéma tout court. Ou plutôt non ! Toto sera enfin du cinéma, du vrai, du pur, à l’inverse de tous ces produits tournés à la chaîne, sans âme, bavards à n’en plus finir et qui trop souvent ne jouent qu’aux faux rebelles politiques sans jamais vraiment bouleverser l’ordre établi. Les deux réalisateurs, Daniele Cipri et Franco Maresco, font du cinéma anarchiste et tiennent à le faire savoir. Mais là où l’opération s’avère fascinante pour le spectateur est que cette démarche anar et provocatrice s’appuie sur un talent exceptionnel. Bénéficiant d’une photographie en noir et blanc somptueuse et propulsé par une bande son en tout point parfaite, les deux compères se permettent tout, bousculant les barrières morales et les tabous religieux avec une bonne humeur communicative.

Au pays où le Catholicisme, la Virilité et l’Amore s’affichent au fronton de l’identité nationale – puisque le terme se veut à la mode – et auxquels les inévitables clichés de la représentation ajouteront la Voiture et le Football, Cipri et Maresco nous révèlent la vraie nature selon eux de leurs compatriotes : des branleurs infatigables. A prendre au sens premier du terme, pas à celui des Vitelloni de Fellini. Au cas où l’on aurait encore des doutes sur les irrépressibles pulsions primaires de protagonistes ne pensant qu’à se toucher, enfiler tout ce qui passe à portée- à poils ras ou à plumes – la présence de nombreux porcs attendant à leurs côtés l’apparition de la prostituée tant fantasmée, aura vite fait de les lever. Notons que les rats prendront la place des porcs dans le second récit avec une même volonté métaphorique.

Merveilleusement cadrées, les trognes apparaissant à l’écran n’ont rien à envier à celles de l’univers fellinien. Le tout s’enserre dans un monde tout à la fois néo-réaliste – tournage en extérieur et en décors naturels, acteurs inconnus et pour la plupart non professionnels, petites gens à la pauvreté évidente – mais aussi fortement théâtralisé, renvoyant en plus déjanté aux premiers films de Pasolini. La photo elle-même, déjà évoquée, est comme un écho à son Evangile selon saint Matthieu (1964). Mais là où le poète de Bologne croyait en la spiritualité – révolutionnaire – qu’il peignait à l’écran, Cipri et Maresco tournent la leur en parfaite dérision, plus proches du Buñuel de La Voie Lactée ou de Viridiana.

Le personnage principal de la première histoire, Paletta, est la parfaite incarnation de cette dérision. Nouvel avatar christique, innocent du village, les deux mains toujours prêtes à se porter au pubis, geste de friction immanquablement accompagné d’un sourire béat, il se fait moquer et cracher dessus par les autres. Mais son visage placide et muet nous le rend vite plus attachant qu’objet de raillerie ou de répulsion, plus humain que grotesque. Et le plan qui clôt la première des trois histoires du film, loin du sacrilège dénoncé par ses censeurs, prend alors tous les aspects de l’évidence.

Toto qui vécut deux fois est tout à la fois un film cruel et irrésistiblement drôle. Dans le deuxième récit, centré sur le thème de l’amour (ici homosexuel) trahi par cupidité, les cinéastes nous réservent une scène tournée à la façon des meilleurs films fantastiques de série Z, à la Ed Wood. La qualité technique et artistique en plus, ce qui n’est pas rien. Notons aussi du côté de l’humour que tous les rôles féminins son tenus par des hommes – effet irrésistible – et la vieille mère de cette deuxième histoire reste aussi mémorable que la prostituée de la première.

La rencontre initiale de Fefe et Pietrino dérapant en parodie d’opéra demeure aussi un grand moment de délire à la curieuse tendresse tout juste ébranlée par le rictus édenté de Fefe. Ceux qui dénoteraient dans ce second récit des accents homophobes en raison de la caricature {hénaurme} des personnages se tromperaient sur toute la ligne, Cipri et Maresco tapent simplement sur tout ce qui bouge, hétéros comme homos, peu importe. C’est la nature humaine décrite par les Evangiles, puisque telle est la source d’inspiration, qui en prend pour son grade. Pourtant, ce regard extra-lucide n’est pas méprisant. Derrière le jeu de massacre, se cache une humanité profonde qui est, n’en doutons pas, celle de Cipri et Maresco.

Si les deux premiers récits s’avèrent vite glorieux, le troisième et dernier explose toutes les attentes. Plus évangélique que jamais – on commence par l’histoire de Lazare et on finit par le Calvaire – l’arrivée du Toto du titre, vieux Christ atrabilaire et mal embouché, élève le film à un sommet de mauvais goût exquis et d’hilarité totale. Rien ne manque au décor et les « reconstitutions » du miracle de Lazare ou de la Cène (comment ne pas penser là encore à Viridiana ?) mettent les zygomatiques à rude épreuve. Cependant, la séquence de la « punition » de l’ange chanteur et usurpateur coupe court au rire et, prise dans une esthétique soudain transformée (gros grain de l’image, ralentis), plonge le spectateur dans un abîme de réflexions contradictoires et, par conséquent, stimulantes. Cette dernière partie du film empile blasphèmes et sacrilèges en tous genres et on a peine à imaginer la déflagration entraînée par de telles scènes dans la si pieuse Italie et surtout en Sicile – région de Cipri et Maresco, où le film se déroule – d’autant que chaque saillie est d’ordre sexuelle. Ce qui, somme toute, paraît logique…

Toto qui vécut deux fois, film aux compositions visuelles magistrales – admirez ses cadrages, son organisation de l’espace – est-il pornographique ? Peut-être. Mais la Vie ne l’est-elle pas à chaque instant pour le meilleur (« La pornographie, c’est l’érotisme des autres », rappelait avec justesse le grand spécialiste de la chose, Alain Robbe-Grillet) comme pour le pire ? Et à tout prendre, qu’est-ce qui est le plus pornographique, si l’on envisage le terme sous son acception péjorative et moralisante ? Admirer un âne bander, des idiots se masturber, deux vieilles folles partager en voix-off un dialogue des plus crus et un Christ cacochyme jurer comme un charretier et se faire gratter l’entrejambe ou se regarder soi-même, passif, devant l’horreur du monde et ses cortèges d’enfants et d’innocents – du village ou pas –  mourant de faim, de maladie, de violence, chaque soir aux infos pendant notre dîner, passe-moi le sel, le festin est un peu fade ? Et si Cipri et Maresco ne nous disaient au fond pas autre chose ? Et si derrière leur implacable lucidité et leur décapante provocation se cachait un véritable message évangélique, celui que n’aurait jamais eu l’occasion de trahir trop d’apôtres zélés et de grands prêtres trop soucieux du Dogme et pas assez d’amour ?


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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