Samedi 19 Septembre 2020 à 20h
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Paul Vecchiali – France – 2020 – 1h32
INFORMATION DE DERNIÈRE MINUTE
Paul Vecchiali sera également présent le lendemain, le dimanche 20 septembre et nous réserve une projection en première mondiale de son film Les gens d’en bas (France, 2010, 1h43).
Ce film fait partie d’un ensemble de 5 films entièrement tournés dans la maison du réalisateur, « La villa Mayerling » (en hommage bien sûr à Danielle Darieux) et ses environs immédiats. La maison est en réalité le personnage principal de cette pentalogie. Elle permet à toutes les intrigues de se déployer et donne à Vecchiali l’occasion de croquer une grande variété de personnages dans une sorte de thriller qui ne dit pas son nom, même si chaque volets la « série « est entièrement autonome. À découvrir absolument dimanche 20 septembre à 14h.
Pour ceux qui ne pourront pas assister à la séance d’Un Soupçon d’Amour le samedi soir, faute de place, Paul Vecchiali a accepté d’animer une séance supplémentaire le dimanche 20 à 17h.
Dans tous les cas, réservation fortement conseillée directement auprès du Mercury: 04 93 55 37 81
UN SOUPÇON D’AMOUR
Geneviève Garland, une célèbre comédienne, répète « Andromaque » de Racine, avec pour partenaire, son mari André. Elle ressent un malaise profond à interpréter ce personnage et cède son rôle à son amie Isabelle qui est aussi la maîtresse de son époux. Geneviève s’en va avec son fils malade dans son village natal. Elle semble fuir certaines réalités difficiles à admettre.
Notre article
par Josiane Scoleri
Le dernier film de Paul Vecchiali commence par une répétition d’Andromaque au théâtre. Et comme toujours chez Vecchiali, mieux vaut prêter attention au texte. Après le premier extrait où, hautaine et enfermée dans sa douleur face à Pyrrhus, Andromaque/Geneviève Garland s’apprête à aller voir son fils, l’actrice craque et fond en larmes sur « Rendre un fils à sa mère ». Tout le drame d’ Un soupçon d’amour est contenu dans cette ouverture, mais nous ne le savons pas encore. Le film est une plongée dans l’univers intime de Geneviève, actrice de théâtre réputée qui se sent dans une impasse et se débat pour en sortir. Mais l’impasse n’est pas celle de la carrière comme tout semble porter à le croire dans un premier temps. Et Vecchiali, avec ce don du scénario et de la mise en scène dosés au milligramme, va instiller petit à petit des indices, des allusions, des détails apparemment infimes qui nous amènent à prendre conscience du véritable drame.
Ainsi dans la première scène où Geneviève et André se retrouvent chez eux, Geneviève s’apprête à aller dire bonne nuit à leur fils Jérôme et André lui dit « S’il te plaît, ne dors pas avec Jérôme ». On comprend qu’elle est coutumière du fait. Or, lorsque nous découvrons Jérôme dans sa chambre, c’est un garçon d’une douzaine d’années. Il n’est plus à l’âge où une mère peut occasionnellement dormir avec son fils…Même si leurs échanges sont d’une grande intensité… Vecchiali mène ainsi de front les deux univers de Geneviève, le monde du spectacle, ce qui lui permet d’introduire le personnage d’Isabelle, pressentie pour reprendre le rôle d’Andromaque, et le domaine privé où sa relation de couple bât de l’aile et son amour pour son fils phagocyte tout l’espace.
Autre habileté de la mise en scène, les scènes où apparaît Jérôme, sont toujours des tête-à-tête avec sa mère, et ce n’est pas un détail, on s’en rendra compte au fur et à mesure que le film progresse. Le jeune acteur, Ferdinand Leclère est d’ailleurs formidable, avec des lignes de dialogue très écrites (nous pouvons faire confiance à Vecchiali sur ce point) et qui sonnent néanmoins totalement juste dans la bouche d’un enfant de cet âge. Nous naviguons ainsi entre côté cour et côté jardin jusqu’à cette scène explosive où Isabelle en guêpière, bas résille et haut de forme, chante et danse, entraînant Geneviève dans la ronde (en rouge passion pour une fois, loin des bleus sages et distingués qu’elle affectionne). C’est une scène étonnante où les deux femmes sont en même temps rivales et complices, avec des mots et une gestuelle des plus explicites où il est question de sexualité et d’infini désir, mais qui se termine sur « se confronter à la réalité ». On sait que dans l’univers filmique du réalisateur, les chansons ne sont pas une simple ponctuation, qui viendrait trouer le récit, mais qu’au contraire, elles sont indissociablement liées à l’intrigue et à la tension du montage. Nous en avons encore ici un magnifique exemple. Vecchiali prend son temps dans cette scène qui dure en tout plus de 8 minutes. Il croque au passage les tics du show-biz (« il n’y en a que pour les stars » se lamente le metteur en scène), le rôle de la critique (Le Monde, Libé et les Inrocks, cités explicitement), les intrigues de basse-cour ( « intriguer, ça veut dire coucher »), et bien sûr, le nerf de la guerre, l’argent où Vecchiali lui-même, en producteur de spectacles, traverse l’écran et danse avec Isabelle, collé-collé.
On comprend face à tout ça qu’André, mari de l’une et amant de l’autre, finisse par craquer et lance un « Stop » tonitruant. C’est le point de bascule du film. Mais une bascule douce, dont on ne se rend pas compte tout de suite. En apparence, Geneviève continue à s’occuper de Jérôme, André continue à la tromper avec Isabelle (plus hollywoodienne que jamais dans son lit monumental et ses déshabillés en satin rouge), mais Geneviève n’est déjà plus là.
Dans la deuxième partie du film, elle plaque effectivement Paris, son travail de comédienne, son mari, pour se retrouver quelque part dans le Midi, avec son fils qui tousse de plus en plus. À partir de là, le jeu de Marianne Basler monte en intensité dans un crescendo sans faille. Toute à son fils, elle vibre comme la feuille au moindre souffle de vent. Elle est revenue dans son village natal où elle retrouve de vieilles connaissances. Et l’espace et le temps se brouillent de plus en plus entre souvenirs et mémoire, amour de jeunesse et rendez-vous ratés qui sont autant de petits cailloux blancs savamment agencés pour notre gouverne par Vecchiali/Petit Poucet. Geneviève est constamment sur le qui-vive, au bord des larmes, essayant de faire bonne figure face à son fils, ce qui nous vaut de très jolies scènes (« Maman, tu joues trop à l’ancienne ! » « Mais enfin, maman, les hommes, c‘est des femmes aussi ! » ) dans des camaïeux de bleu qui se détachent sur fond de végétation. On ne parle pas assez de la composition des plans dans le cinéma de Vecchiali, comme par exemple le plan sur la magnifique grille art-déco du cimetière qui dit tout l’enfermement de Geneviève dans son propre passé. Pendant toute cette partie du film, deux plans seulement font retour sur André, seul dans son appartement, dans le noir par temps d’orage, mais c’est là toute l’habileté du montage, ces deux plans sont entrecoupés d’un plan de moins de 10 secondes sur Jérôme souriant en train de cueillir des fleurs. C’est la première fois, après plus d’une heure de film que le fils apparaît dans le monde du père. Un autre petit cailloux blanc…
Et n’oublions surtout pas en chemin que le film est dédié à Douglas Sirk. En plus des tenues d’Isabelle, la bande son joue à plusieurs reprises avec cet univers. Par exemple lorsque Geneviève arrive affolée du village, craignant que son fils ne soit mort. La musique est alors au comble du mélo et l’absence de dialogue a quelque chose d’assourdissant. Ne dit-on pas de l’angoisse qu’elle est sourde. Mais les violons et les cymbales s’arrêtent net dès que Jérôme se réveille. C’est d’une efficacité et d’une élégance rares pour nous forcer à entrevoir le manque de continuité, malgré la fluidité des images. Vecchiali joue de ces ruptures avec l’image aussi, lorsque Geneviève renvoie Jérôme à l’intérieur et revient accueillir Isabelle avec un manteau passé sur sa robe. L’a-t-elle mis en ressortant ou bien sommes-nous dans un autre temps ? La longue tirade de Geneviève avant qu’elle se décide à entrer dans la maison nous montre à quel point son esprit vacille jusqu’à la scène finale où elle retrouve André qui essaie, sans doute pour la enième fois, de la faire sortir de ce long déni de réalité. Mais au moment où Jérôme répond à l’appel de sa mère, c’est André stupéfait qui entend la voix de l’enfant, prêt à entrer dans le délire de sa femme. La même musique à suspens retentit. Le film semble s’arrêter là, mais le tout dernier plan est celui de Geneviève courant vers son fils dans le jardin. Consciente enfin qu’il est mort ? Ce serait le véritable happy end. Qui sait ?
Sur le web
Commençant dans le cinéma par des stages d’assistant dans les années 1950, Paul Vecchiali réalise son premier long métrage, Les Petits drames, en 1961. A la fois nostalgique des années 1930, et emblématique de la nouvelle vague française, le metteur en scène a pour habitude de dérouter le grand public. Après avoir réalisé plus de 30 films dont Rosa la rose, fille publique ou À vot’bon coeur, Paul Vecchiali sort son dernier film, Un soupçon d’amour, à 90 ans passés.
Un soupçon d’amour commence par une répétition d’Andromaque, grande pièce du théâtre classique. Au-delà du sujet de la pièce en écho au drame personnel vécu par Geneviève, la langue de Racine se retrouve en pointillé dans le film. On y retrouve ainsi plusieurs clins d’oeil, comme lorsque le personnage d’Isabelle dit à différents moments « Andromaque agonise« , « Andromaque se meurt« , « Andromaque expire« . Paul Vecchiali précise : « Ma sœur, Sonia Saviange, dans Femmes Femmes, avait fait une improvisation sur une scène d’Andromaque. Elle aussi avait perdu son enfant, un fils qui n’a vécu que six heures. Ce fut le point de départ. Mais aussi la situation d’Andromaque, dans la pièce, qui craint pour son fils et que Geneviève assimile à la sienne. Il est vrai que j’aime le « texte ». C’est mal vu de nos jours. On fait aussi allusion à La mégère apprivoisée dont Geneviève et André joueraient dans la vie une sorte de parodie. »
«LA DOULEUR QUI SE TAIT N’EN EST QUE PLUS FUNESTE» (Andromaque, III, 3)
Paul Vecchiali explique qu’il y a trois films dans sa filmographie qu’il n’aurait pas pu ne pas faire : L’Etrangleur, Corps à cœur et En haut des marches. Il confie: « J’ai perdu ma compagne et ma fille en 1955, je porte toujours ce deuil-là. Le temps amenuise la douleur mais les morts sont toujours en moi… La mort de ma mère m’a été épouvantable. C’est le plus beau personnage que j’aie rencontré de ma vie… Je lui dois tout. J’étais sous la douche ce jour-là, il était 11h30, je me suis mis à hurler et à pleurer sans savoir pourquoi. Une heure après, ma soeur m’a annoncé que ma mère était morte. Je ne crois à rien, mais je pense que les ondes existent. Il m’est aussi arrivé de sentir en dormant un personnage s’asseyant sur mon lit pour me demander de le faire exister ». Il ajoute: « Il y avait plus de 60 ans que je cherchais à me libérer de ce deuil. J’ai écrit un roman dont le titre était le nom que nous avions choisi pour la fille à venir : « Marie-Christine ». Elle vivait avec moi au fil des années. Le film restait à faire. Le métier m’a écarté de ce projet. Et j’ignorais comment l’aborder. Brusquement, je compris que ce qui me gênait, c’était de voir un comédien jouer mon rôle. J’ai aussitôt pensé qu’avec une femme je pourrai me détacher du contexte. A partir de ce postulat, tout est allé très vite : l’écriture du scénario, le casting, la préparation, le tournage »…Interrogé sur la place d’Un soupçon d’amour dans sa filmographie, il déclare : « C’est le film le plus important. Parce que j’ai mis des années avant de pouvoir le faire, parce que c’est là où j’ai le plus de choses à dire aussi. Ce qu’il y a dans ce film, c’est mon état depuis plus de soixante ans. J’ai toujours voulu raconter cette histoire, mais je cherchais un acteur pour jouer mon rôle, et je ne le trouvais pas. Puis j’ai eu l’idée de reporter le rôle sur une femme et de le proposer à Marianne Basler. À partir de là, en trois jours, le scénario était écrit. Mais mon film le plus abouti reste Once more ».
«On n’arrête pas Paul Vecchiali. Nonagénaire depuis peu, le natif d’Ajaccio entame avec Un soupçon d’amour, dont il signe également le scénario et la production, la sixième décennie de sa (prolifique) carrière de réalisateur. Où il retrouve sa comédienne fétiche Marianne Basler (nomination au César du meilleur espoir féminin en 1985 pour son rôle dans Rosa la rose, fille publique), le film marquant à ce jour leur sixième collaboration. Cinéaste de l’amour sous toutes ses formes, Vecchiali convoque le thème maintes fois abordé, autant au cinéma qu’au théâtre, du triangle amoureux. L’intérêt de sa dialectique est ici davantage à trouver dans l’apparente complicité des deux femmes «antagonistes» (au sens commun du terme) qui, bien qu’elles convoitent le même homme, partagent de véritables scènes de communion. Celle de la danse incarne parfaitement cette dissonance : si elles partagent toutes deux le devant de la scène (littéralement), leur rapport contrasté à la féminité, par la simple couleur de leur robe (noire pour l’une, rouge pour l’autre) saute aux yeux.
Le film, dédié à Douglas Sirk (Le Temps d’aimer et le temps de mourir, Tout ce que le ciel permet, Écrit sur du vent), reprend ainsi les codes du cinéaste américain, autant dans son esthétique (les couleurs chaudes sur les vêtements des protagonistes) que dans sa structure narrative, par le contraste entre un personnage tragique, à savoir Geneviève, et un autre au contraire stable émotionnellement, voire cynique dans le cas d’Isabelle. En arrière-plan de cette joute passionnelle, Un soupçon d’amour nous parle de résilience, de reconstruction après un drame intime et la manière dont celui-ci bouleverse les liens affectifs. Le film mériterait d’ailleurs un second visionnage à l’aune de cette trame, qui ne nous est révélée qu’à la dernière scène et qui donne finalement au long-métrage un sens plus subtil et profond qu’il n’y paraissait. Le lien avec l’Andromaque de Racine, qui traite conjointement d’amours impossibles et du poids des morts dans l’existence des vivants, devient alors limpide.
On sait Paul Vecchiali fervent opposant au cinéma naturaliste, très en vogue depuis le début du siècle – il suffit d’écouter le phrasé très théâtral, parfois jusqu’à l’apprêté, de ses acteurs pour s’en convaincre. En parallèle, sa caméra ne s’autorise que quelques mouvements, comme ce léger travelling avant qui, du salon de la maison, rejoint Geneviève et André sur la terrasse ensoleillée, alors que la femme annonce son désir d’abandonner son rôle dans Andromaque et de retourner dans son village natal : juste assez pour signifier que le film est avant tout celui d’une fuite en avant (en arrière ?). Il ne s’agit pas là d’un objet cinématographique qui se laisse manipuler avec aisance : son montage sec et son écriture ténue laisseront bon nombre de spectateurs sur le côté, et il faut l’immense talent de Marianne Basler pour transmettre la véritable charge tragique que porte le film. Celui-ci ne cherche pas non plus à se montrer aimable ; d’ailleurs, Vecchiali n’a jamais eu le même succès public que d’autres réalisateurs de sa génération, son compère Jacques Demy en tête, ni le succès critique d’un Godard. Longtemps, il aura même peiné à faire sortir ses films en salles. Ainsi éloigné de toute préoccupation commerciale ou festivalière, sa volonté première est d’interpeller, à l’aide de stratagèmes toujours plus épurés, les curieux qui veulent partager avec lui, le temps d’une œuvre, ses intuitions et son goût de la diversion. Le cinéaste prend plaisir à multiplier les références à des genres cinématographiques : la comédie musicale, le drame, la comédie sont ainsi convoqués au détour d’une scène, d’un plan. On sent, malgré une austérité de façade, un certain goût pour la liberté, pour le décalage permanent et le changement de ton qui viendraient exprimer une envie encore inassouvie de cinéaste. On peut ne pas s’y montrer sensible mais force est de constater qu’à 90 ans passés, cette flamme créatrice qui anime toujours Paul Vecchiali impose le respect.» (lebleudumiroir.fr)
«C’est mon film le plus important déclare Paul Vecchiali, 90 ans, qui sort Un soupçon d’amour, avec la sublime Marianne Basler. Considéré comme un des plus grands cinéastes français, Paul Vecchiali s’est forgé une carrière immense dans les contre-allées des systèmes de production. On lui doit les magnifiques Rosa la rose, fille publique (1985) et Once More (1988), parmi tant d’autres films, aujourd’hui Paul Vecchiali est considéré comme un des plus grands cinéastes français. En 2014, le magazine Les Inrockuptibles classait même ses films Femmes, femmes (1974) et Corps à coeur (1978) parmi les cent plus beaux de l’histoire du cinéma hexagonal, respectivement à la 28e et 99e place. Avec presque un film par an depuis son retour au cinéma en 2003, ce vétéran continue une carrière qu’il maintient libre et indépendant, se produisant lui-même avec sa société Dialectik. Un soupçon d’amour est son 30e long-métrage. Marianne Basler y incarne une comédienne célèbre quittant plateau et mari pour se poser avec son fils dans son village natal. À 90 ans, le cinéaste prouve à nouveau toute la vitalité de son cinéma profondément sentimental.» (francetvinfo.fr)
LES GENS D’EN-BAS
Depuis son installation à Plan de la Tour, en Provence, il y a quelques années, Paul Vecchiali tourne une série de films qui ont pour cadre une maison, la villa Mayerling. Celle-ci devient un véritable personnage. Ésotérisme et intrigues baignent le film autour du personnage d’Alain, un saisonnier légèrement ombrageux.
Notre article
par Josiane Scoleri
Les gens d’en bas, quatrième volet de la pentalogie « Humeurs et Rumeurs » est dédié à Marcel Pagnol. À première vue, cette dédicace peut surprendre. En effet on n’associe guère les films de Pagnol à l’univers vecchialien. Si ce n’est peut-être que ce sont tous deux des hommes du Sud qui savent filmer le bleu du ciel, la chaleur et le mistral. Il ne suffit pas de faire entendre les cigales sur la bande-son et d’attabler les acteurs devant un pastis, comme on le croit parfois au-delà du 42ème parallèle ! Ce qu’il y a d’étonnant dans les scènes « provençales » du film autour du personnage de Fabregas le vigneron, c’est que effectivement, on se sent immédiatement chez Pagnol et que ça sonne pourtant totalement vrai et actuel. D’ailleurs, l’acteur qui joue le personnage n’est pas un comédien professionnel et on se rend compte à la manière dont il endosse le rôle à quel point Pagnol avait vu juste et capté quelque chose de profond dans cette humanité méridionale.
Les cinq longs-métrages de cet ensemble ont pour personnage principal la « Villa Mayerling », lieu chargé de fantômes et de drames, objet de bien des convoitises et – accessoirement ?- demeure de Paul Vecchiali lui-même, ainsi nommée en hommage à Danielle Darrieux qui veille elle aussi sur le tournage. Chaque épisode voit la villa changer de propriétaire, ce qui permet de déployer une nouvelle intrigue et de créer pléthore de personnages, même si certains reviennent d’un épisode à l’autre. Et celui qui est présent, et même de plus en plus présent au fil des différents chapitres, c’est l’inquiétant Monsieur Laforge, joué par Vecchiali lui-même, qui ne cache pas ses ambitions de mettre la main sur la belle demeure. Le début du film semble nous emmener vers une comédie solaire et sentimentale avec le coup de foudre entre Mireille, la fille du vigneron, et Alain, un saisonnier venu pour les vendanges. Mais de fait, il a davantage l’allure du « poor and lonesome cowboy » avec son cheval et son fusil en bandoulière que d’un vendangeur pur jus. Et la petite musique qui l’accompagne semble sortie tout droit d’un western. Dès le départ, Vecchiali sème ainsi le doute dans notre esprit sur ce que nous sommes en train de voir. Lorsque au lendemain de la noce, la jeune mariée annonce qu’elle s’est trompée et qu’elle en aime un autre, nous savons d’emblée que nous avons déjà quitté la comédie. Alors, bien sûr, on reste encore un peu chez Pagnol. Fabregas , bourru, déclare qu’il ne verra plus sa fille. Le père d’Alfred, l’heureux élu, ne veut pas entendre parler d’une union hors mariage et Alain, du fond de son désespoir, refuse de divorcer. Mais, avec toute l’habileté qu’on lui connaît, le réalisateur tisse en réalité plusieurs trames qui dépassent le drame intimiste et vont emmener le film dans une tout autre dimension. D’abord, avec l’irruption des gangsters bon teint, plus vrais que vrai avec leurs chapeaux mous et leurs costumes croisés à boutons dorés !
Là, nous avons définitivement quitté la Provence légendaire de Pagnol pour nous retrouver – via la parodie- dans la face sombre de notre belle région où la pègre n’est pas seulement liée au banditisme, mais accomplit sans sourciller les basses œuvres des politiciens véreux. C’est là que le mystérieux M. Laforge va s’avérer un redoutable manipulateur, n’hésitant pas à tirer partie du malheur d’Alain pour le transformer en tueur à gages. Il fallait oser et pourtant, ça passe. L’affaire est rondement menée. Au fur et à mesure qu’Alain exécute les contrats pour Laforge, homme de main du puissant « Consortium », la tension va crescendo et Vecchiali prend soin de tourner ces scènes très sobrement, avec à chaque fois un détail qui change dans la manière dont l’un ou l’autre se fait descendre, jouant l’accumulation tout en évitant la monotonie. Et lorsque le Consortium essaie de doubler Laforge, mal lui en prend ! Mais Les gens d’en bas ne se contente pas de passer du drame amoureux au film de gangsters qui ne dit pas son nom.
Tous les personnages du film ont leur épaisseur, même lorsqu’il s’agit d’un rôle mineur. Et comme dans un big band de jazz, tous ont droit à leur moment de gloire. Le scénario et le montage sont tellement bien construits que les transitions glissent en douceur et chaque scène apporte une touche supplémentaire qui donne davantage de relief à tout ce petit monde. Ainsi Sarah en adolescente aguicheuse ou son père en Appache à foulard rouge autour du cou, gouailleur comme dans un film des années 30. Aziz, travailleur marocain, placide et observateur, tiraillé entre deux mondes. Ou encore la scène collective où Alain manque de se faire lyncher. Et c’est tout l’art de Vecchiali de surfer encore une fois sur les genres canoniques du cinéma, où, en quelques plans, le Sud des États-Unis, avec ses relents réactionnaires et racistes, vient se superposer au soleil du Midi. À bon entendeur, salut! Devant une telle toile de fond, Vecchiali va encore nous surprendre dans la dernière partie du film en réunissant deux solitudes impénétrables, celle de Leister, vieil homme muré dans les affres d’Alzheimer et celle d’Alain, jeune homme mortellement blessé au cœur. Nous changeons encore complètement de registre, avec une note grave qui nous touche d’autant plus qu’elle était jusqu’ici absente du film. Les scènes entre les deux hommes sont très émouvantes, filmées avec une grande délicatesse par la caméra de Vecchiali qui se fait légère et tendre, sans trop s’approcher. Et de toute cette douceur surgit le désespoir, tranchant comme un diamant noir, inéluctable. C’est un crescendo sans faille qui conduit à la dernière scène d’une rare intensité. Les gens d’en bas est un film de Paul Vecchiali où l’on chante relativement peu. Ou plutôt, on y chante de moins en moins. J’ai envie de dire, on y chante tant qu’on est chez Pagnol, dans tout le début du film, : les vendanges, la noce et les chansons d’amour du jeune Alfred qui va séduire la belle Mireille. C’est à ce signe qu’on voit à quel point les chansons qui parsèment tous les films du réalisateur sont signifiantes et parfaitement intégrées au scénario. Le cœur d’Alain ne saurait chanter, même une complainte et Laforge est bien trop empêtré dans ses sordides affaires.
Avec cette justesse qui n’appartient qu’à lui, Vecchiali, tel un funambule sur son fil, garde toujours l’équilibre et maintient ainsi à la fois le rythme et la cohérence du film. Il nous tient dans ses filets et ne nous lâche pas jusqu’à la scène finale. Conclusion tragique, mais filmée comme un épure qui nous révèle à quel point Vecchiali est véritablement un maître du « less is more »
Sur le web
« Tourné dans le Var durant l’été 2009 et dédié à Marcel Pagnol, un autre franc-tireur incontournable dont Vecchiali venait de monter sur scène une adaptation théâtrale de La fille du puisatier, ce film est le quatrième volet d’une pentalogie (Humeurs et Rumeurs, … Et tremble d’être heureux, Être ou ne pas être, Les Gens d’en bas, Retour à Mayerling.Le personnage central de la série est une maison : la villa Mayerling, située à Plan sur la Tour, non loin de Saint-Tropez.
Chacun des cinq films a son caractère propre et peut être vu séparément. Les allusions, au détour d’un dialogue, à des événements survenus dans un des autres volets créent ce que Vecchiali appelle lui-même des trous d’airs. Ils contribuent à installer un climat légèrement ésotérique et mystérieux. Car si les ressorts dramatiques sont bien marqués et les dialogues souvent très explicites (la mariée tombe amoureuse d’un autre homme le jour de ses noces et déclare sans plus de manières : Je me suis trompée), bien des choses restent dans l’ombre sous le soleil aveuglant de l’été provençal, à commencer par le rôle plus qu’ambigu que joue le personnage malicieusement incarné par le cinéaste lui-même, vieux monsieur affable et manipulateur dont on se rend compte peu à peu qu’il tire tous les fils de l’intrigue.
Le langage filmique de Vecchiali, qui depuis son retour au cinéma avec A vot’ bon cœur en 2003, travaille vraiment avec des bouts de ficelles, est d’une audace tranquille et d’une franchise réjouissante. Convaincu que l’hétérogénéité est toujours stimulante et productive, il ne craint pas le mélange des genres (mélodrame, film noir, comédie musicale), ni la confrontation d’acteurs, professionnels ou amateurs, qui ont chacun leur manière bien à eux de jouer la comédie.Tous sont étonnants et parviennent à faire exister une figure singulière au caractère affirmé. Les monologues de Serge Feuillard en Lester Hayes, vieil américain atteint d’alzheimer, sont particulièrement irrésistibles. Mais la prestation du débutant Julien Lucq en mari cocu devenant tueur à gage, ou l’arrivée inattendue, à un quart d’heure de la fin, de la grande Hélène Surgère, familière de l’univers du cinéaste depuis Les ruses du diable (1965), ne sont pas moins savoureuses.
N’ayant plus rien à prouver, Vecchiali choisit toujours la solution de mise en scène la plus franche et la plus radicale. C’est parfois abrupt (les scènes d’exposition, enchaînement de blocs autonomes que le montage ne cherche pas à lier) mais toujours vivifiant. Souvent très drôle (les cueilleuses de raisin qui chantent horriblement faux le choeur des magnanarelles de la Mireille de Gounod), intrigant, émouvant, habité d’une poésie simple et totalement dénuée d’emphase (la lune, soudain, ou le chant assourdissant des cigales), Les gens d’en bas permettent de se délecter d’un art qui ne s’encombre pas de fioritures.
A Quatre vingts ans, Paul Vecchiali est indiscutablement un des plus passionnants parmi les jeunes cinéastes français. Il n’a pas fini de nous surprendre. » (avoir-alire.com)
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.
Entrée : 8 € (non adhérents), 6,50 € (adhérents). Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici