Un week-end avec Jean-Luc Godard/Carte blanche à Noël Dolla


 


Vendredi 22 mars à 20h30 : Week-end avec Jean-Luc Godard – Le Gai Savoir (France, 1968, 1h35)

Samedi 23 mars à 20h30 : Carte blanche à Noël Dolla – Film Socialisme (France, 2010, 1h42)

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Nous avons choisi de présenter deux œuvres a priori très différentes, et pourtant… La première est celle d’un artiste en colère face à l’ancien monde qu’il aimerait balayer d’un revers de caméra. La seconde est le miroir d’un homme au soir de sa vie qui maîtrise son art comme personne et continue à balayer le monde de sa caméra.

Le gai savoir est au départ une commande de l’ORTF sur l’éducation. Commencé en mars 1968, interrompu en mai et terminé en juin, la télévision française refusera le film et obtiendra qu’il ne sorte pas en salles. Il sera présenté l’année suivante au festival de Berlin et bien plus tard en France après Londres et New York! Le gai savoir est un film qui porte comme un étendard la marque et les questionnements de son époque. Grandes questions et graffiti. Pouvoir et langage. Volonté de rupture et expérimentations. Godard invente une forme radicale pour dire la soif de renouveau et le désir de tout réinventer. Une démarche qui caractérise, s’il en est, l’œuvre de Godard et qui ne cessera de se renouveler d’un film à l’autre.

Noël Dolla a choisi de venir nous parler de Film Socialisme (2010), parce que, comme il dit, « le socialisme, c’est la question ». Le regard d’un artiste plasticien sur l’œuvre d’un cinéaste « qui ne fait rien comme tout le monde« .

À plus de 40 ans de distance, les deux films se font écho, dans leur radicalité et leur beauté plastique. De quoi interpeller Noël Dolla dont la recherche se situe tout autant en dehors des sentiers battus. Justement, à partir de 68, avec le mouvement Support/Surfaces, Noël Dolla va s’emparer de tout ce qui permet de peindre sans toile ni pinceau. Ses tarlatanes qui absorbent la couleur par capillarité, son étendoir à serpillières, le noir de fumée, les mouchoirs de Jeannette, etc… Une remise en question des images qui n’est pas sans rappeler la démarche de Godard vis à vis du cinéma.  Noël Dolla est né et vit à Nice. Ses œuvres se trouvent aujourd’hui dans les plus grands musées du monde. En France, notamment à Beaubourg et au Mamac. Il a enseigné pendant de nombreuses années à la Villa Arson avec la passion de transmettre et d’amener à bon port les désirs de création des jeunes talents qui fréquentaient ses cours. Nombre de ses anciens étudiants sont aujourd’hui des artistes reconnus sur la scène internationale.

Le Gai savoir

Sur un plateau de tournage éclairé par une seule lumière, deux acteurs discutent de philosophie.

Filmés sur fond noir, deux personnages s’interrogent sur les sons, les mots, les signes et les images. Elle, c’est Patricia, la fille de Lumumba et de la révolution culturelle. Déléguée du Tiers Monde aux nouvelles usines Citroën, elle a été congédiée parce qu’elle donnait des magnétophones aux ouvriers. Lui, c’est Emile Rousseau, personnage-idée par excellence. Sur le ton de l’aphorisme ou de la désinvolture subversive, ils parlent du cinéma, de la télévision, des journaux, de la politique. Des inserts, sous forme de dessins, de collages, d’inscriptions calligraphiques ou d’images du quotidien, viennent casser la durée du récit. Pour affirmer le rapport indissoluble entre l’esprit révolutionnaire et la nouvelle pédagogie, Patricia Lumumba et Emile Rousseau décident de retourner au zéro originel et d’en faire une préoccupation essentielle pour la recherche d’une méthode. Cette démarche leur permet d’apprécier la richesse expressive d’un silence et la valeur d’une attitude d’écoute. Ils dénoncent la nocivité du langage lorsque celui-ci devient une arme du pouvoir qu’il convient de retourner contre les oppresseurs. Au terme de cet échange verbal, agrémenté de nombreux jeux de mots et de glissements de sens, l’art et la science sont présentés comme solutions aux problèmes. L’art est une solution nécessaire, la science une solution suffisante.

Notre article

Par Josiane Scoleri

Revoir Le gai savoir 50 ans après sa sortie procure aujourd’hui encore un choc certain et on a du mal à s’imaginer comment ont réagi les spectateurs qui l’ont découvert en France souvent dans des circuits parallèles, bien longtemps après la fin du tournage. Le gai savoir est un enfant de mai 68. C’est un film où l’on est à la fois très sérieux et où l’on s’amuse. Parce que refaire le monde, c’est très sérieux, mais c’est aussi un jeu. Passer à côté de cette dimension ludique, ce serait, me semble-t-il, passer à côté d’une partie essentielle du film. Ce n’est peut-être pas un film gai, mais c’est souvent un film drôle. Godard s’amuse à brouiller les pistes, à brouiller les sons, en superposant dialogues et bruitage, voire parasitage, en rendant sciemment inaudibles des bribes de texte en voix off ou des éléments de dialogues, en signalant par des bips continus les passages censurés… Il y a souvent de la friture sur la ligne. Sans oublier la musique et même les chansons. Il s’amuse tout autant à « bidouiller » l’image, le collage est très présent (photos, articles de presse, publicités, etc…) et le montage permet des accélérations soudaines, des télescopages inouïs qui peuvent emmener le spectateur vers des contrées insoupçonnées. Le texte écrit, souvent à la main par Godard lui-même, se superpose souvent à l’image, parfois, il occupe tout l’écran. Mais ça peut être aussi bien du dessin. Godard fait feu de tout bois, y compris de l’écran noir, pour susciter des réactions chez le spectateur, stimuler sa curiosité, le provoquer, voire l’exaspérer, sans passer par la narration, ni pratiquement aucun des artifices habituels du cinéma. Il n’y a pas de décor non plus. Un fond noir sur lequel se découpent les deux acteurs, à peine quelques accessoires, mais une lumière très soignée, signée Georges Leclerc, un de ces artisans/techniciens du cinéma comme il en existait à l’époque. Lux fiat et le verbe fut… car disons-le franchement Le gai savoir est un film bavard. Juliet Berto ( Patricia Lumumba) et Jean-Pierre Léaud (Émile Rousseau) récitent, ou devrais-je dire déclament, leur texte comme chez Bertold Brecht, avec cette diction claire et détachée qui est la marque de la Nouvelle Vague depuis À bout de souffle. Ils veulent tout recommencer à zéro, nous disent-ils et se creusent les méninges pour être à la hauteur de leurs ambitions. Ils se perdent -et nous perdent souvent- dans leurs élucubrations. Et la déstructuration du langage qu’ils appellent de leurs vœux aboutira à cette scène délectable où une actrice lit avec conviction un texte incompréhensible fait de sons mis bout à bout. Sur le mur derrière elle, les dessins de personnages emblématiques de la BD américaine : Batman et Spiderman! Le gai savoir est un film qui joue sur les mots, mais surtout avec les mots : Par exemple les « Afranics », anagramme de « Français » sont les « Français de l’an 2000, après la mutation des ordinateurs ». Nous sommes tous des Afranics qui s’ignorent. Ou encore, ces mots qui sont épelés, face à la caméra, sur des rythmes différents et qui aboutissent ainsi à bien d’autres combinaisons possibles (CINEMA et TELEVISION notamment). C’est aussi un film qui explore le cinéma et cherche à établir de nouvelles relations entre ce qui est dit, ce qui est montré, ce qui est tu et ce qui est hors champ, tout comme ses
personnages explorent la pensée et le langage. Pour le dire comme Godard : « des images qui donnent la clef des champs et des contre-champs ». C’est un film en rupture de ban qui semble s’inspirer de l’écriture automatique des Surréalistes. (cf les très belles scènes où des personnages filmés en plan fixe et en gros plan sur des fonds de couleurs vives qui tranchent avec les costumes – jouent au jeu des associations de mots). Par delà les outrances qui nous sautent aux yeux et aux oreilles aujourd’hui, Le gai savoir vaut avant tout par cet esprit novateur, cette audace, voire ce culot et sa dimension esthétique demeure aujourd’hui le véritable garant de la portée révolutionnaire de l’exercice. De ce point de vue-là, Le gai savoir annonce déjà les fulgurances visuelles et sonores des films réalisés par Godard ces dix dernières années, où le travail sur le montage, le découpage, la dissociation/juxtaposition entre son et image, musique et parole ont pris une place prépondérante. Le gai savoir prenait davantage son temps, mais depuis, le monde a connu une accélération vertigineuse qui se reflète nécessairement dans le cinéma de Jean-Luc Godard. Ce n’est pas pour rien que l’Histoire est si souvent au cœur de la réflexion du cinéaste. ( Allemagne, année neuf zéro, Notre musique, Les ponts de Sarajevo sans parler de sa monumentale Histoire(s) du cinéma). Godard, comme ses personnages, veut comprendre le monde pour pouvoir le dissoudre et le recomposer. C’est ce qu’il fait avec le cinéma. Il y a des moments d’une simplicité et d’une efficacité sidérantes ( cf la scène où Juliet Berto, de dos, dit «Oh» sur tous les tons et Jean-Pierre Léaud, face à elle, mais caché par la silhouette de l’actrice, veut la forcer à dire «Ah »). Cette mise en scène minimaliste suffit à nous faire toucher du doigt la nature du pouvoir, de l’exercice de la force et de la résistance . Le film s’appuie sur cette alternance entre les scènes qui réunissent les deux comédiens, devant leur fond noir, coupés de l’extérieur et celles où des images du monde nous parviennent, des images éclatées, fragmentées, pas toujours très lisibles, mais qu’il nous revient, à nous spectateurs, d’assembler, de relier entre elles et à la bande-son pour ne pas se perdre dans le labyrinthe du film. L’exercice n’est pas toujours facile, mais il est dans tous les cas gratifiant. Car, n’en déplaise à ses détracteurs, toujours Godard fait le pari de l’intelligence du spectateur. Ce n’est pas un mince cadeau par les temps qui courent. Et c’est sans doute une des raisons pour lesquelles certains lui en veulent autant. Ce cadeau ne s’est pas effrité avec le temps et nous nous rendons compte qu’aujourd’hui comme hier, c’est bien ce dont nous avons le plus besoin.

Film Socialisme

Une symphonie en trois mouvements.

Des choses comme ça : En Méditerranée, la croisière du paquebot. Multiples conversations, multiples langues entre des passagers presque tous en vacances…

Notre Europe : Le temps d’une nuit, une grande sœur et son petit frère ont convoqué leurs parents devant le tribunal de leur enfance. Ils demandent des explications sérieuses sur les thèmes de liberté, égalité, fraternité.

Nos humanités : Visite de six lieux de vraies/fausses légendes, Egypte, Palestine, Odessa, Hellas, Naples et Barcelone.

Premier film après l’exposition Voyage(s) en utopie du centre Pompidou, Film Socialisme en reprend la structure en trois parties. Voyage (s) en utopie exposait « Le théorème perdu« , celui qui permet de trouver la solution de l’équation x+3=1. Le parcours consistait à explorer avant-hier (première salle de l’exposition, nommée -2), puis hier (nommée 3) pour aboutir à aujourd’hui (troisième salle nommée 1). Il consistait, en reprenant les mots associés aux salles à « avoir été » et « à voir » pour « être« . Film Socialisme inverse ce parcours en explorant dans sa première partie nommée « Des choses comme ça », tout à la fois le présent et le verbe être. La seconde partie, « Quo vadis europa« , est celle de l’avoir, entendu aussi comme à-voir et parle du futur. La troisième est celle de l’avoir-été, de l’histoire. Godard dresse un portrait peu glorieux de notre présent dans un voyage sur le Costa Concordia tout aussi mystérieux que sont mystérieux ses passagers et leurs motivations. Dans la seconde partie, Godard propose donc de cesser d’être stable, satisfait, pour privilégier, contre la doxa habituelle, l’avoir sur l’être. Il faut donner du sens, des armes aux exclus, de l’avoir, tout ce qui est à voir aujourd’hui comme demain avec les enfants. La troisième partie est un appel à la vigilance. (cineclubdecaen.com)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri 

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury). Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.

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