Le voleur de Bagdad


 


Dimanche 05 Février 2017 à 17h – 15ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Ludwig Berger, Michael Powell et Tim Whelan – Royaume-Uni – 1946 – 1h45 – vostf

Dans le Bagdad des années 40, le roi Ahmad est victime d’un complot organisé par son vizir Jaffar. Jeté en prison, le roi y rencontre le jeune valeureux Abu, et les deux hommes réussissent à s’enfuir à Basra. Ahmad tombe amoureux de la fille du sultan. Opposé à cette relation, Jaffar leur tend des pièges machiavéliques. Les deux héros commencent alors une épopée fantastique au royaume de la magie…

Notre critique

Par Josiane Scoleri

« Les Mille et une nuits » est un récit mythique, composé  d’un grand nombre d’histoires, contes et légendes d’origine persane et indienne qui nous est parvenu grâce à une traduction en arabe. On sait à quel point la première édition en français au début du XVIII ième siècle suscita l’engouement, tous  publics confondus, dans  une véritable  fascination qui ne s’est jamais démentie depuis. Comme le théâtre avant lui, le cinéma s’est emparé de ces personnages qui font désormais partie de l’imaginaire collectif en une multitude d’adaptations de 1924  à  nos jours avec la toute récente Trilogie des Mille et Nuits de Miguel Gomes ( 2014).

Le voleur de Bagdad superproduction britannique de 1940 qui voulait en remontrer aux studios américains en matière de spectacle et d’effets spéciaux se situe dans cette veine, avec un scénario qui mêle plusieurs contes connus et en invente d’autres pour les besoins de la cause. Le résultat est, il faut bien le dire, carrément époustouflant, même à 77 ans de distance. Le voleur de Bagdad  est un film fait de profusion : profusion de couleurs, de magie, de rêves. Un film  qui prend plaisir à laisser de côté le rationnel ou le raisonnable pour nous entraîner dans le merveilleux. Une fois ce postulat accepté, rien n’est trop beau, trop incroyable ni même improbable.

En effet, le cinéma a, parmi  tous les arts, cette vertu de nous transporter en dehors de nous-même pour nous faire entrer de plein pied dans ce faux réel qui se déroule devant nous. Ça marche, certes, quand le train entre en gare de La Ciotat, même si nous ne sursautons plus d’effroi comme les spectateurs des premières projections, mais ça marche tout aussi bien – et c’est plus surprenant- quand le réel de l’écran ne se préoccupe pas le moins du monde de faire comme si c’était vrai. Nous y sommes quand même. Et nous en redemandons. Pour atteindre cet objectif, le film ne lésine pas sur les moyens et les rebondissements vont crescendo pour  satisfaire notre soif de « toujours plus ». Dans la scène d’introduction, nous accompagnons Abu, le petit voleur bondissant de toits en terrasses, et nous sommes presque dans un wou-xia-pien.  Une fois dans le palais du sultan, nous pourrions être à Bollywood, par la chorégraphie et les costumes chatoyants. La belle princesse endormie, c’est bien sûr la belle au bois au dormant. Mais ce n’est qu’un début.

Avec les tours de magie néfastes du grand vizir, tout devient possible et plus le film s’échappe vers des contrées improbables, plus nous sommes heureux. Ainsi, nous découvrons d’abord les automates merveilleux du sultan de Bassorah, mais ce ne sont que de grands jouets comparés au cheval volant que va lui faire cadeau le vizir. Ce qui nous vaut la chevauchée dans les airs par-dessus les toits de la ville, de tourelles en coupoles parfaitement roses dans le plus pur carton-pâte de studio. Mais bien plus loin dans le film , le scénario nous réserve une autre scène avec les automates, beaucoup plus dramatique cette fois, puisque le nouveau joujou va causer la perte du sultan. Où l’on voit que le film est construit et que les réalisateurs, Michael Powell au premier chef, ont plus d’un tour de montage dans leur sac. Pour que la magie fonctionne et que le merveilleux l’emporte, il faut d’abord que l’adversité soit vraiment à la hauteur et donc la plus terrible possible. C’est ainsi que le Prince devient aveugle, qu’Abu est transformé en chien, que leur bateau fait naufrage, qu’Abu se retrouve seul sur une île déserte., etc, etc… J’en passe et des meilleures. Mais il faut bien donner quelque chose à faire au génie enfermé dans sa bouteille ! Toutes les scènes avec le djinn sont véritablement extraordinaires et là aussi, non content de sortir une première fois de la bouteille, par pur hasard, il lui faut y retourner et supplier Abu de le libérer à nouveau. Le spectacle de l’extravagance procure une jouissance qui est toujours au rendez-vous. Et il est curieux de constater que la simple différence d’échelle constitue déjà en soi un ressort d’une efficacité imparable ( Abu minuscule sous le pied du géant, ou accroché, tel un moustique, à sa chevelure).

Le personnage d’Abu, qui est le voleur du titre du film  est de loin le véritable protagoniste du film, par delà l’histoire d’amour contrariée, et nécessairement convenue, entre Ahmed et la fille du sultan. L’acteur indien, le jeune Sabu, quinze ans au moment du tournage, surfe sur le rôle, à la fois très physique ( cf la scène de l’escalade de la toile d’ araignée géante) et plein d’humour. Il a l’âge et la vitalité du personnage. Le grand vizir lui-même est un affreux méchant comme il se doit, mais il n’est pourtant pas complètement dépourvu d’humanité . Il renonce dans un premier temps à ses sortilèges pour conquérir l’amour de la princesse, Lorsqu’il s’y résout, nous sommes encore régalés d’un scène magique avec le parfum de la rose bleue qui fait tout oublier. Ce film plane décidément très haut au-dessus du sol, et pas seulement à cause des multiples scènes où les personnages s’élèvent littéralement dans les airs,  nous valant à chaque fois des plans stupéfiants sur des paysages grandioses.

Et puisque nous sommes au pays des Mille et Une Nuits, il ne pouvait manquer dans ce registre un tapis volant en bonne et due forme! Emblème de la liberté, c’est lui qui va permettre à Abu de sauver son ami Ahmed, en arrivant à la vitesse de l’éclair et à l’ultimissime minute, suspense oblige. C’est encore grâce à  lui  qu’il repartira vers de nouvelles aventures, loin des ors du Palais et des contraintes d’une vie normalisée.

Le voleur de Bagdad est en fait un petit miracle d’ingéniosité et de savoir faire mis au service du Tecnicolor, à moins que ce ne soit l’inverse. C’est en tout cas un film comme le cinéma n’en produit plus depuis longtemps, dans ce qui était encore une sorte de candeur des origines et une foi dans le cinéma comme vecteur d’imagination et de rêve à l’état pur. Un régal pour les yeux où le ballet des couleurs porte le film presque à lui tout seul, ce qui explique si besoin était son inclusion dans cette édition du festival.

sur le web

L’idée du film a d’abord germé dans la tête du producteur d’origine hongroise, Sir Alexander Korda, qui possédait les studios les plus modernes d’Europe, ceux de la London Film Company. Il souhaitait faire un remake du Voleur de Bagdad réalisé par Raoul Walsh en 1924, avec Douglas Fairbanks dans le rôle principal. Korda voulait rivaliser avec les grosses productions américaines de l’époque en s’inspirant à son tour des contes orientaux des Mille et Une Nuits. Pour cela, il fit appel au réalisateur anglais Ludwig Berger, mais Korda se révéla vite insatisfait du résultat : son film n’était pas le grand spectacle populaire auquel il s’attendait. Il convoqua alors le réalisateur anglais Michael Powell ainsi que l’Américain Tim Whelan, engagé principalement pour les scènes de comédie. Les décors du film ont été réalisés par William Cameron Menzies, à qui l’on devait également ceux du Voleur de Bagdad de Raoul Walsh. Il y aura deux autres ré-adaptations du Voleur de Bagdad qui suivront en 1959 et en 1978.

Ce chef-d’oeuvre du kitsch en Technicolor mêle avec bonheur la fantaisie et le merveilleux, à partir d’une délirante conception plastique signée Vincent Korda. Le scénario, confié au Hongrois Lajos Biro, mêle quant à lui diverses influences : outre les fameux contes des Mille et Une nuits, on retrouve également des traces de mythologies extrême-orientales (Inde, Indonésie) ainsi que des éléments du merveilleux. La réalisation, étalée sur près de deux ans, fut une véritable épopée. Commencée en Grande-Bretagne, interrompue par la guerre, reprise à Hollywood, voyant se succéder des réalisateurs (dont, non mentionnés au générique, Zoltan Korda et William Cameron Menzies), le film ne doit son unité qu’à la ténacité de Korda, à la direction artistique de son frère et à la superbe photo de Périnal, ces deux derniers couronnés d’Oscars mérités. L’ingénuité féérique des effets spéciaux reste insurpassée, tels le cheval mécanique, la toile d’araignée géante, l’apparition du génie de la lampe magistralement campé par Rex Ingram, le tapis volant ou la statue meurtrière. Et face au malicieux Sabu, Conrad Veidt incarne avec une délectation perverse l’un des plus mémorables “méchants” de sa carrière : les studios Disney s’empareront de son visage et de sa silhouette longiligne dans leur récente production Aladdin.

Comme un bon nombre de films à l’époque, Le Voleur de Bagdad a été tourné en grande partie en studio. Pas de prises en Irak dans les ruelles de Bagdad, donc, mais aux Denham Film Studios dans le Buckinghamshire, près de Londres. Aladdin, sorti en 1992 des studios Disney, ou encore la franchise Prince of Persia ont beaucoup emprunté à ce long métrage.Le casting du film compte en tête l’élégant et inquiétant Conrad Veidt (Le Juif Süss, L’Espion noir et Espionne à bord de Michael Powell et Emeric Pressburger, Echec à la Gestapo avec Humphrey Bogart, Casablanca de Michael Curtiz) et le virevoltant acteur indien Sabu, alors âgé de 15 ans, le héros de Elephant Boy, d’Alerte aux Indes et du Livre de la jungle, tous trois réalisés par Zoltan Korda. Sabu sera également de l’aventure du somptueux Narcisse noir de Michael Powell et Emeric Pressburger. Au départ, le rôle de la princesse avait d’abord été imaginé pour Vivien Leigh. Mais celle-ci quitta brusquement la production pour incarner Scarlett O’Hara dans Autant en emporte le vent (1939). C’est finalement June Duprez qui hérita du rôle. LeVoleur de Bagdad constitue le premier film de la carrière de John Justin qui joue Ahmad. Celui-ci croisera notamment la route des metteurs en scène David Lean et Henry King par la suite.

Le film reçut les Oscars de la meilleure photographie, meilleure direction artistique (Vincent Korda) et meilleurs effets visuels (Lawrence W. Butler et Jack Whitney) et fût nominé à l’Oscar de la meilleure musique de film en 1941.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 17h précises.

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).

Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


 

Partager sur :