Le jardin qui bascule



Vendredi 28 Juin 2024 à 20h

Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Guy Gilles, France, 1975, 1h20

Jeune tueur à gages, Karl est chargé d’éliminer Kate, une séduisante aventurière. Mais le malfrat ne tarde pas à tomber amoureux de la jeune femme.

« Les films sont des actes poétiques avant d’être des spectacles. Je suis formaliste, mais la forme est l’expression de la sensibilité« . (Guy Gilles)

Notre Article

par Josiane Scoleri

Le jardin qui bascule est lui-même un film qui bascule et plutôt deux fois qu’une. C’est un film où on a l’impression que Guy Gilles a voulu se frotter à deux grands genres cinématographiques, le thriller en ouverture et le mélodrame en coda, comme un prétexte, pour la beauté du geste, pour filmer au fond ce qui lui tient le plus à coeur et qui est la matière fondamentale de son oeuvre: le temps qui passe. Ou sans doute devrais-je plutôt dire, la douleur du temps qui passe.

Ainsi le premier plan, ouvrant le générique de début du film est-il un gros plan sur le visage de Patrick Jouané barré par un revolver, le film annonce la couleur du film de gangster. C’est un long prologue d’une dizaine de minutes qui aboutit au meurtre sur fonds de fête du 14 juillet. Flons-flons et feux d’artifice jusqu’au petit matin qui déchante. Première surprise, le commanditaire est un fleuriste énigmatique. Et c’est ainsi, au milieu des bouquets de fleurs, que nous assistons à la prochaine commande. Même si tout le reste respecte les codes du film de tueurs à gages, ce personnage de fleuriste nous met la puce à l’oreille. D’autant qu’il y a déjà eu cette longue énumération de noms de fleurs dans le monologue du jeune homme ivre dans la scène précédente. Et effectivement, il va souvent être question de fleurs, tout au long du film, comme dans la première conversation entre Kate (Delphine Seyrig) et Karl (Patrick Jouané) sur les fleurs qui se fanent si vite, inexorablement. Les fleurs imprimées ou brodées sur le vêtements, les serviettes pliées en forme de fleur dans les restaurants, les tapisseries ou carrelages à fleurs, etc…

La caméra de Guy Gilles est très douce, comme toujours. Elle prend son temps pour nous faire sentir, plus que voir, les personnages. La musique distille des impressions fugaces. Il flotte un air de mélancolie. Nous sommes dans un cinéma de la sensation avant toute chose. Sur le plan visuel, la composition des plans relève de la peinture. Dès le premier plan où apparaît Delphine Seyrig, ce sont des camaïeux de verts à l’arrière-plan, en harmonie avec ses yeux soulignés d’une ombre de fard à paupières, vert lui aussi. Les peintres disent souvent que le vert est une couleur difficile à manier. La magie du cinéma fait que nous pouvons voir simultanément tous les verts d’un paysage, comme si nous y étions. Nous ressentons la fraîcheur de ce jardin au bord de l’eau, comme si temps était suspendu. Le vert est omniprésent y compris dans le décor et les accessoires (tables de jardin, service à thé, etc.). Le vert, couleur maudite au théâtre, couleur réputée froide, va devenir la couleur de la passion, le temps d’un amour. Nous sommes au coeur du film. Le temps s’étire encore. Nous ressentons l’attirance de Kate pour ce jeune inconnu. Nous ressentons la fascination de Karl pour cette femme d’un autre monde, d’un autre temps que lui, aussi. L’évocation d’un Montmartre qui n’existait déjà plus dans les années 70 suffit à poser davantage encore la différence d’âge entre les deux. C’est une histoire d’amour dont on sait d’entrée de jeu qu’elle ne va pas durer et qu’elle va certainement mal se terminer. Le tout ponctué par ces plans en ombres chinoises qui nous renvoient aux contes de notre enfance. Sans oublier le piano qui égrène quelques notes et ajoute au mystère. Et la voix de Jeanne Moreau, bouleversante, dans ce cabaret qui nous rappelle les films des années 30, même si tout, décor et public, est 100% seventies. Cette chanson qui annonce les amours mortes sert de prélude aux premiers moments d’intimité entre les nouveaux amants, à la manière des choeurs de l’Antiquité grecque. Et puis tout d’un coup, sans transition, ressurgit le fleuriste au milieu de ses fleurs. Art du montage qui nous ramène brusquement au réel.

Scène suivante, Kate signifie à Karl, tout en douceur, mais sans appel, qu’il doit partir. Double bascule en quelques minutes. Guy Gilles réussit tout d’un coup à créer un suspense presque incongru dans ce film si délicat. Les nuages s’amoncellent. Il reste à peu près 20 minutes de film et on se demande bien d’où va venir le dénouement. Mais une chose est sûre, il sera tragique, nécessairement tragique. Le film reprend apparemment son rythme tranquille, mais nous savons bien qu’il s’agit d’un trompe-l’oeil. La lente descente aux enfers de Karl, toute en montage parallèle entre présent glauque et passé heureux se déploie devant nous jusqu’à cette fin exacerbée, digne du plus pur mélodrame hollywoodien de la grande époque. Il y aura eu tout au long du film maints clins d’oeil au cinéma. Des affiches des films de l’après-guerre aux tenues de Kate, irrésistible en Marylin en passant par l’évocation de La Habanera, le dernier film allemand de Douglas Sirk, le film tout entier est une déclaration d’amour et une profession de foi dans le cinéma. D’ailleurs, au-delà des deux personnages principaux, tous les rôles, même des apparitions fugitives, sont particulièrement soignés. Sami Frey, et son élégante nonchalance habite le personnage de Michel, seule présence masculine tolérée par Kate sur la durée à la fois stable et intermittente. Guy Bedos en Pied-Noir caricatural assumé. C’était avant le «politiquement correct». Plus personne n’écrirait sans doute une telle tirade aujourd’hui vu la tyrannie omniprésente du premier degré. Son numéro en est d’autant plus jouissif. Philippe Chemin, encore adolescent, dans le rôle de Roland, l’acolyte de Karl, en jeune prolo, mal à l’aise dans ce milieu bourgeois, mais doté d’une réelle conscience de classe. C’est lui qui pose frontalement la question du racisme en Algérie au personnage de Bedos. Et puis, il y a bien sûr Jeanne Moreau, à qui le film est dédié. Une seule scène où elle chante une chanson qu’elle a elle-même écrite, accompagnée par le violon de Stéphane Grapelli. Une seule scène, mais une scène qui chavire et qui fait basculer le film.

Sur le web

« Né à Alger le 25 août 1940, Guy Gilles est élève de l’école des Beaux-Arts de sa ville natale. Il est d’abord peintre et chroniqueur à « L’Écho d’Alger » avant de réaliser, au sortir de l’adolescence, deux courts métrages produits avec l’argent de ses piges, Soleil éteint et Au biseau des baisers.

Guy Gilles débarque à Paris, en décembre 1960. « Je n’avais pour tout bagage qu’une valise et un portrait de ma mère que j’avais peint moi-même. C’était vraiment la misère noire », confie-t-il à Guy Tesseire (L’Aurore, 9 avril 1965, épisode qu’il reprendra dans L’amour à la mer). Claude de Givray le sauve en lui offrant un petit rôle de pioupiou dans Tire au flanc (1961).

En allant montrer ses films au producteur Pierre Braunberger, il rencontre François Reichenbach, qui l’engage comme opérateur et produit son court métrage Melancholia. Guy Gilles fait aussi la connaissance d’Agnès Varda et de Jacques Demy, dont il deviendra l’assistant pour La Luxure, le sketch des Sept péchés capitaux (1961). A vingt cinq ans à peine, il a touché à tous les métiers du cinéma, ce qui lui permettra d’avoir plus tard une maîtrise totale de ses propres films.

Le cinéaste met ensuite trois ans à écrire et réaliser son premier long métrage, L’amour à la mer (1962), produit par Filmax. À travers l’histoire d’un amour impossible entre deux jeunes gens, Guy Gilles y révèle un thème qui demeurera l’obsession majeure de toute son oeuvre : celui de la fuite du temps. Il apparaît dans son propre rôle, racontant l’arrivée à Paris, les premières années de solitude, la liberté dans la ville. On peut entre autres y voir des apparitions de Jean-Claude Brialy, Jean-Pierre Léaud, Romy Schneider ou Alain Delon. Couronné par un prix de la critique au Festival de Locarno 1964, le film ne trouvera jamais de distributeur et demeure inédit en salles.

Guy Gilles réalise une série de courts-métrages : Histoire d’un petit garçon devenu homme (1962), Paris une chanson de gestes, Le jardin des Tuileries, Les cafés de Paris (1965 série Chroniques de France), Un dimanche à Aurillac, Ciné-bijou, Le pop âge (1967).

Interprété et produit par Macha Méril, Au pan coupé (1967), « un film rêvé » selon lui, est court poème douloureux autour d’un couple principal formé par Macha Méril et Patrick Jouanné son acteur fétiche, son double à l’écran, que l’on retrouvera dans presque tous ses films… Le film connaît un certain succès critique mais reste boudé par le public. Il réalise ensuite un court métrage : La vie retrouvée (1969).

La reconnaissance vient véritablement avec son film suivant, son seul succès public, Clair de Terre. Ce film nostalgique, très autobiographique, conte le retour au pays d’un Pied-noir déraciné. Il a pour vedette Edwige Feuillere et ici encore de nombreuses stars jouent dans le film : Micheline Presle, Roger Hanin ou encore Annie Girardot. Clair de Terre, sera qualifié de « premier film proustien » par Claude Mauriac.

Le jardin qui bascule (1974), avec Delphine Seyrig et Sami Frey, est l’histoire de deux êtres qui se ressemblent si étrangement qu’ils vont se détruire.

Entre deux longs métrages, Guy Gilles réalise des montages pour François Reichenbach, tourne des sujets pour les émissions télévisées Dim Dam Dom (Le Partant, Le Cirque des Muchachos 1969, 1970) et « Pour le plaisir » ou encore des portraits d’auteurs (Proust, l’amour et la douleur et Saint Genet, poète et martyr 1972 et 1974), La poésie est dans la rue (1970), Coté cour, côté champs, Dis papa raconte-moi là bas (1971), La Loterie de la vie, La Vie filmée 1946-1954 (1975), Monsieur Ravel (1978) mais marqué par sa rupture avec Jeanne Moreau, il sombre dans la dépression. Le cap des années 70 sera difficile.

Dans Le crime d’amour (1981), un adolescent mythomane (Jacques Penot) s’accuse du meurtre d’une femme. Une nouvelle fois le film ne rencontre pas le public.

Le tournage de sa comédie La tête à ça au début des années 80 est abandonné. Ses retrouvailles à l’écran avec Patrick Jouanné aboutissent en 1987 sur Nuit docile, une errance nocturne déroutante et désespérée. Film lugubre, il se heurte à l’indifférence voire au mépris de la critique. Guy Gilles attend ensuite près de dix ans pour terminer ce qui reste son dernier film, inachevé pour cause de litige financier : Nefertiti. Coproduction italienne avec l’Égypte et la Lituanie ayant connu de multiples incidents, Nefertiti peine à trouver une cohérence et Guy Gilles déjà malade tente malgré tout de sauver ce qui peut rester de son idée initiale mais les studios de Cincecitta en garderont des bobines.

Guy Gilles s’éteint en 1996 à l’âge de cinquante sept ans, laissant aux cinéphiles une oeuvre très ancrée dans la nouvelle vague, impressionniste, nostalgique et lyrique.

Après sa disparition, le 3 février 1996, Jean-Claude Guiguet écrira : « Guy Gilles était un auteur, un artisan attentif et patient, capable, par exemple, d’exprimer les impressions les plus subtiles en choisissant des interprètes aux noms les plus prestigieux dont il parvenait à adoucir la brillance (…). Son art et sa manière permettaient à ce messager du cinéma de poésie d’atteindre une forme d’équilibre parfait » (Cahiers du cinéma, n° 502, mai 1996). Son frère, Luc Bernard (1947-2002), lui consacrera un superbe portrait filmé, Lettre ouverte à mon frère Guy Gilles, cinéaste trop tôt disparu (1999). » (cineclubdecaen.com)

« Deux jeunes tueurs à gage, Karl (Patrick Jouané) et Roland (Philippe Chemin) sont envoyés par un fleuriste crapuleux pour assassiner une bourgeoise exilée dans sa maison de province. Depuis le jardin bucolique de Kate (Delphine Seyrig), ils se laissent aller à la flânerie, aux rêveries, aux jeux et à l’amour, en oublient leur mission. Au fil de cette partie de campagne, le temps se dilate, voire même finit par s’arrêter : c’est comme si Guy Gilles s’efforçait d’en retenir les instants les plus fragiles et fugaces. Les personnages et les décors semblent alors figés, s’insérant dans les tableaux qui tapissent les arrière-plans des intérieurs bourgeois. Kate apparaît d’abord immobile devant une toile qui remplit le cadre tout entier, puis plus tard en effigie de Marilyn Monroe. « J’ai des images plein la tête », dit-elle, alors que ses souvenirs de jeunesse contaminent sporadiquement le montage. Guy Gilles capture ainsi les moindres détails d’un restaurant parisien dans lequel elle travaillait jadis, par une série de natures mortes qui apparaissent en inserts et exacerbent l’impression de temps suspendu.

Ce badinage illusoire, témoignant d’une certaine superficialité dont le cinéaste semble avoir conscience (cf. la vague intrigue criminelle qui sert de prétexte au récit), est toutefois contrebalancé par la force de la mélancolie. Inévitablement, le « jardin bascule ». Le cinéma de Guy Gilles, empreint de fatalité, s’organise alors autour de motifs plus sombres : le spleen, la rupture, la fuite et la mort. Les décadrages et les regards dans le vide apparaissent d’autant plus saillants lorsque Karl et Roland sont chassés de la maison : les personnages sont à la fois d’ici et d’ailleurs, d’aujourd’hui et d’hier. L’amertume de Karl grandit depuis sa chambre d’hôtel dans laquelle il songe à Kate et au jardin, dont les images contaminent à leur tour le montage. Le retour de ces visions subjectives (au début du film, Karl se remémorait ses crimes), dévoile quelque chose de la tristesse monstrueuse du personnage. Le film se replie alors, comme l’assassin, sur lui-même : devant les corps morts de Kate et de Karl dans le jardin désormais bien silencieux, on repense au début du film et à cet inconnu qui déclarait, au lendemain des célébrations du 14 juillet, « Y’a plus rien ». Comme à chaque fois, les films de Guy Gilles nous laissent sur un constat aussi mélancolique qu’amer : la fête est finie. » (critikat.com)

« De L’amour à la mer à Nuit docile, en passant par des courts métrages et des téléfilms, Guy Gilles est l’auteur d’une œuvre attachante et cohérente, qui n’a pas encore sa place dans les histoires du cinéma, malgré une rétrospective que la Cinémathèque française lui a consacré en 2014. On retrouve dans Le jardin qui bascule la sensibilité déployée dans ses meilleurs films, à savoir Le clair de terre et Absences répétées… À vrai dire, le scénario et le synopsis policier, bien que subtils, comptent moins que l’ambiance tchekhovienne et proustienne, ainsi que les motifs et la poésie qui se dégagent de ce long métrage situé en cadre bucolique.

On retrouve des constantes du cinéma de Guy Gilles, à savoir la rêverie juvénile, une mélancolie onirique discrète, et la peur suscitée par le passage des ans. Dans un entretien avec Jean-Claude Guiguet publié dans Hard International (1975), Guy Gilles pouvait préciser : « Le film est aussi l’autopsie d’une passion. Comment naît l’amour ? À quelles contradictions se heurte-t-il ? Désir de possession et désir d’indépendance. Romantisme de la rupture, de l’absolu et de la mort. Qu’y a-t-il encore dans la tête d’une femme qui ne veut plus regarder sa propre image ? ». De surcroît, la connotation autobiographique donne au récit une troublante résonance, Karl étant l’alter ego du cinéaste, qui se projette sans doute aussi dans cette femme à la fois audacieuse et désabusée, réalisant l’éloignement de ses années de jeunesse. On appréciera également une digression réjouissante avec un invité pied-noir (Guy Bedos) qui confirme le leitmotiv du souvenir de l’Algérie française, une thématique chère au réalisateur.

Même si le cinéma de Guy Gilles est singulier, on pourrait par ailleurs le rapprocher de celui de Paul Vecchiali, par sa description d’amours quasi interdites, son parfum nostalgique, son mélange de pittoresque et d’incantation. Le goût des seconds rôles est un autre point commun, et ils ne sont pas le moindre charme de ce Jardin qui bascule, de Jean-Marie Proslier en bistrotier à Anouk Ferjac en confidente. Ajoutez à cela une délicieuse chanson (Pour toi) interprétée et coécrite par Jeanne Moreau, qui apparaît dans une scène, et la correspondance avec l’auteur de Femmes femmes, qui incrustait des mélodies dans certains films, est affinée. Enfin, les fans de Delphine Seyrig seront comblés et elle y est une fois de plus admirable. La même année 1975, elle était également à l’affiche de Jeanne Dielman et Aloïse.

Le jardin qui bascule a été restauré en 4K par TF1 Studio à partir du négatif image original 16mm et du négatif son 16mm au laboratoire VDM avec le soutien du CNC. » (avoir-alire.com)

« Quelqu’un rêve qu’il court dans le jardin. Va-t-il atteindre le bout du jardin ? Le jardin bascule, ramenant le coureur à son point de départ, c’est-à-dire à zéro. Tout est à recommencer ; à chaque fois basculant, le jardin devient inaccessible. Allégorie jolie. Guy Gilles l’anime avec la sensibilité qui lui est propre : toute en émotions rapides, éblouissements prompts, révélations aussitôt évanouies qu’aperçues, dont les images, sensibles et que le montage rend vives, savent traduire la fugacité fragile. Pareille virtuosité n’est pas gratuite. Guy Gilles en fait le signe de la précarité universelle. De la vulnérabilité de tout, choses et gens, devant le Temps. Le Temps charrie tout. Et vite. Cette idée, Guy Gilles l’illustre par deux thèmes poursuivis avec habileté d’un bout du film à l’autre ; celui du fleuve, l’eau qui passe (la riche villa, principal théâtre de l’action, se situe au bord de la Seine) ; celui des fleurs,  » denrée  » périssable par excellence. Tout coule, tout se fane. Certitude mélancolique qui dramatise le bonheur, le plaisir, l’amour, la beauté, la jeunesse. Autant de  » fleurs  » promises à une fin rapide. Autant de fêtes temporaires comme toute fête, populaire ou bourgeoise. Le film commence par les flonflons et les lumières d’un soir de 14 juillet du côté de la Bastille, et il se poursuit par des vacances de rêve dans une belle maison au milieu des fleurs et près d’un fleuve. Vrai déjeuner de soleil. Et jardin à bascule. De cette précarité universelle, une femme, Kate (Delphine Seyrig), a fait sa philosophie, elle en a tiré sa règle de vie. Ne commence-t-elle pas elle-même à se faner ? Elle se hâte de jouir, avec une prédilection pour les  » fleurs  » et les  » fêtes  » dont elle sait bien qu’elles ne peuvent durer. Il faut les saisir au vol, dans l’éclair de leur fraîcheur. Les beaux corps de vingt ans chantés par Rimbaud sont eux aussi denrée périssable. Cette beauté-là n’est belle que parce qu’elle est du diable, et le diable c’est le Temps, qui ne le sait ? Ogresse évaporée, la dame se repaît de chair fraîche. Elle consomme du minet. À ses risques et périls. Certaines fleurs sont d’autant plus vénéneuses qu’elle sont plus fraîches. Mais le chair fraîche, sait-elle qu’elle est fraîche, c’est-à-dire irrémédiablement condamnée à la quasi immédiate défraîcheur ? Le propre de la jeunesse est d’ignorer que jeunesse se passe, et à toute vitesse. Elle exige la durée. Toujours appartient à son vocabulaire et, bien sûr, elle le fait rimer avec amour. L’amour est ce jardin vers le bout duquel on courra, pense-t-elle, toute sa vie. Mais le Temps fait tout de suite basculer le jardin. Pour le jeune Karl, il s’agit de bien plus que l’amour. Ce jardin (la villa, la dame, l’amour), c’est son salut. Le petit prolo, seul, pauvre, perdu, voyou prisonnier d’une bande, trouve dans les vacances chez Kate sa fête. La  » bascule  » lui est d’autant plus insupportable. Guy Gilles a épicé son histoire par le fait divers. Mais le  » suspense  » criminel n’est qu’un ressort ajouté. Je n’y vois pas le prix du film – mais plutôt dans la délicate, affectueuse, analyse du personnage de Kate – elle-même Fleuve et fleur – dont Gilles réussit à justifier l’inconstance pathétique (et dangereuse pour elle-même); et dans le portrait, affectueux lui aussi, presque complice, des deux minets voyous (Patrick Jouané en progrès, et Philippe Chemin dont les débuts à l’écran surprennent par leur qualité), jeunes fauves jouant de leurs charmes et du charme de la chair fraîche, beautés véritablement du diable, petits truands transfuges de la fête populaire vers la féérie bourgeoise des riches – il y a du tennis, de la pelouse, de la piscine -, piégeurs tendant à la dame un piège qui se referme sur eux. Le prix du film, je le vois aussi dans la présence de Guy Gilles. Non seulement à l’image (il est l’un des comparses, moins là pour tirer la moralité du film que pour obliger les petits truands à aller jusqu’au bout d’eux-mêmes). Mais surtout par son style, un des plus personnels du jeune cinéma français, et par les références et allusions très furtives à ses précédents films grâce à la reprise de thèmes qui lui sont chers : la nostalgie algérienne du pied-noir, la dévotion à une certaine féminité que Jeanne Moreau, ici présente, par une chanson émouvante, incarne à la perfection. » (Jean-Louis Bory, Le Nouvel Observateur – 5 mai 1975)

« … Karl rêve souvent qu’il court dans un jardin, basculant toujours d’un côté ou de l’autre. Symbole d’un absolu qu’il ne peut atteindre. Le jardin de Kate pourrait être cet absolu, mais Kate ne le veut pas. Elle a quarante ans, la peau douce et beaucoup de souvenirs. Elle a peur de ce qui dure, car durer, c’est vieillir. Kate tente de supprimer le temps, en évoquant son passé d’une manière mythique (comme une femme fatale de cinéma), en lisant pendant des heures n’importe quel livre, en faisant de la passion qu’elle vit avec ce garçon un amour éphémère. Car elle est la mort de Karl comme Karl est sa mort. C’est la lecture sensible qu’on peut faire de ce film très beau, très triste, très maîtrisé. Mais certainement déconcertant pour qui ne va chercher au cinéma qu’un divertissement avec une intrigue et des images qui « bougent ». Le Jardin qui bascule est un film à contempler, dont presque chaque plan est une « nature morte » de photographe ou de peintre. Personnages, paysages et objets sont saisis, comme immobilisés dans les instants où ils surgissent sur l’écran. Delphine Seyrig, qui n’a jamais été aussi belle ni aussi émouvante, incarne la nature insaisissable de la femme, figurée aussi par Jeanne Moreau et Anouk Ferjac, qui ne font qu’apparaître. Patrick Jouané , sombre et blessé jusqu’au désespoir, est très exactement l’acteur qui convient à l’univers de Guy Gilles, où l’adolescent, le jeune homme, est condamné à aller, très vite, jusqu’au bout de lui-même. » (Jacques Siclier, Le Monde, 22 mai 1975)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h précises.

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats : La parole est à vous !

Entrée : Tarif adhérent: 6,5 €. Tarif non-adhérent 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


Partager sur :