Stalker (22ième Festival)



Samedi 08 Mars 2025 à 19h30

Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Andreï Tarkovski, URSS, 1979, 2h43


Dans un pays et une époque indéterminés, il existe une zone interdite, fermée et gardée militairement. On dit qu’elle abrite une chambre exauçant les désirs secrets des hommes et qu’elle est née de la chute d’une météorite, il y a bien longtemps. Les autorités ont aussitôt isolé le lieu, mais certains, au péril de leur vie, bravent l’interdiction. Leurs guides se nomment les «stalker», êtres déclassés, rejetés, qui seuls connaissent les pièges de la zone, en perpétuelle mutation…

« L’art existe et s’affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l’idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains » (Andreï Tarkovski)

Dans un pays et une époque indéterminés, il existe une zone interdite, fermée et gardée militairement. On dit qu’elle abrite une chambre exauçant les désirs secrets des hommes et qu’elle est née de la chute d’une météorite, il y a bien longtemps. Les autorités ont aussitôt isolé le lieu, mais certains, au péril de leur vie, bravent l’interdiction. Leurs guides se nomment les «stalker», êtres déclassés, rejetés, qui seuls connaissent les pièges de la zone, en perpétuelle mutation…

La zone interdite du film a été inspirée par un accident nucléaire qui s’est passé près de la ville russe de Tcheliabinsk en 1957. Plusieurs centaines de kilomètres carrés avaient été désertés car intoxiqués. À ce moment, il n’y avait aucune mention de ce danger sur les lieux. Stalker a été notamment inspiré par l’oeuvre d’Arseni Tarkovski, le père poète d’Andrei Tarkovski.

La structure en deux parties de Stalker est dûe au fait qu’une partie du film a été retournée avec un autre directeur de la photographie, Aleksandr Knyazhinskiy, après que les négatifs ont été détruits par erreur dans le labo soviétique où ils étaient conservés. La monteuse Lyudmila Feyginova aurait cependant conservé des rushs chez elle, avant de périr dans un incendie qui a lui aussi tout détruit.

D’après le designer sonore Vladimir Sharun, au moins trois personnes de l’équipe sont mortes à cause d’une contamination chimique pendant les prises en Estonie. Le metteur en scène Andreï Tarkovski, mort d’un cancer du poumon à 54 ans en 1986, se trouverait dans ces trois personnes.

Le film a reçu un prix spécial au festival de Cannes en 1980 (date de première diffusion en France) et le prix des spectateurs du festival du film fantastique de Porto.

« Le personnage principal connaît des moments de désespoir, quand il doute de sa foi. Mais il retrouve toujours un sens renouvelé à sa vocation de servir les autres, ceux qui ont perdu leurs espoirs et leurs illusions. Il était d’une importance primordiale pour moi que le scénario observe une unité de temps, d’espace et d’action. (…) Dans Stalker, je ne voulais pas de rupture de temps entre les plans. Le temps, et son écoulement, devait se révéler et exister à l’intérieur même du plan, et le montage des plans marquer le progrès de l’action, rien de plus, sans déviation de temps, et sans remplir aucune fonction de sélection ou d’organisation dramatique du matériau. Tout devait apparaître comme si le film n’avait été tourné qu’en un seul plan. Cette approche simple et ascétique offrait, me semblait-il, d’immenses possibilités. J’ai épuré le scénario pour ne plus avoir qu’un minimum d’effets extérieurs. Je ne voulais pas, c’était un principe, distraire ou étonner le public par des changements inattendus de la scène, de la géographie de l’action, du sujet de l’intrigue. Je n’aspirais qu’à la simplicité et à la discrétion de toute l’architectonique du film. J’ai essayé, de manière encore plus conséquente, de faire comprendre au spectateur que le cinéma, en tant qu’instrument de l’art, possède, autant que la littérature, des possibilités qui lui sont propres. J’ai voulu lui démontrer la capacité du cinéma à observer la vie, sans ingérence évidente ou grossière dans son écoulement. Car c’est la que réside, à mon avis, la véritable essence poétique du cinéma. Je craignais, toutefois, qu’une simplification excessive de la forme ne parût artificielle ou affectée. Pour réduire ce risque, j’ai tenté d’éliminer dans les plans toutes les touches nébuleuses ou incertaines, qui trop souvent passent pour la marque d’une « atmosphère poétique ». Pourquoi s’appliquer à constituer péniblement ce genre d’atmosphère, alors qu’il était clair pour moi qu’il ne fallait même pas s’en préoccuper ?

Une atmosphère est quelque chose qui découle de l’idée centrale de l’auteur. Plus la formulation de cette idée centrale est fidèle, plus le sens de l’action est clair, et plus l’atmosphère tout autour sera signifiante. Les objets, les paysages, les intonations des acteurs, commenceront tous alors à résonner de cette note centrale. Tout deviendra interdépendant et indispensable. Chaque chose fera écho à une autre, tout s’interpellera, et il en résultera une atmosphère, comme conséquence de cette capacité à se concentrer sur le principal. Alors que vouloir créer une atmosphère en tant que telle, me parait une chose étrange. C’est d’ailleurs pourquoi je ne me suis jamais senti proche de la peinture impressionniste, dont l’objectif était de saisir l’instant, l’éphémère pour lui-même. Ce peut être un moyen, mais pas un objectif de l’art. Dans Stalker, où j’ai tenté de me concentrer sur l’essentiel, l’atmosphère qui en a découlé entre-temps est apparue, me semble-t-il, comme plus active et plus émotionnellement contagieuse que dans tous mes films précédents. » (Andreï Tarkovski, extrait de l’ouvrage Le Temps Scellé)

Notre Article

par Josiane Scoleri

Comme tous les films de Tarkovski, Stalker est un film-monde, un voyage dans lequel on s’embarque et dont on sait seulement qu’il ne ressemblera à aucun autre. Stalker est peut-être le plus dépaysant, le plus déboussolant de tous. Il concentre tous les grands thèmes de l’oeuvre tarkovskienne, à commencer par l’interrogation sur le sens de la vie et de la mort, si tant est d’ailleurs qu’elles aient même un sens.

Tarkovski met en scène 3 personnages qui sont autant d’archétypes du fonctionnement de l’esprit humain : l’écrivain fait face au scientifique, les deux intellectuels qui cherchent la connaissance par le mental, avec à la pointe du triangle, l’homme apparemment simple qui a accès directement à la sagesse par une forme de foi première, dépouillée de tous les artifices de l’Église. Ces personnages n’ont pas de nom et seuls leur fonction ou leur titre va les définir tout au long du film. L’Écrivain, le Professeur et le Stalker (qu’on pourrait traduire par le pisteur ou le traqueur). Les trois sont taraudés par une quête dont ils savent bien au fond qu’elle les dépasse, même si l’écrivain et le professeur ont du mal à l’admettre. Dès les premières secondes, il émane des images du film une impression de mystère, une menace intangible qui plane et se déploie au fur et à mesure que le film avance dans un rythme qui coule, inexorable, sans à-coup, avec à peine quelques rares variations qui prennent alors un relief inouï.

Lorsqu’on voit le film aujourd’hui, on a du mal à croire qu’il ait été tourné 7 ans avant la catastrophe de Tchernobyl, tant les images nous semblent familières : la zone en théorie interdite et pourtant sans cesse explorée, la dévastation industrielle environnante et l’exubérance de la Nature qui n’a cure de l’agitation des hommes. Tarkovski fait un choix simple et efficace avec le Noir et Blanc pour les premières scènes d’exposition dans cette ville où le délabrement du réel nous prend à la gorge dans sa tristesse infinie et la Couleur qui explose dès que nous sommes dans la Zone à proprement parler. La Zone, lieu de tous les fantasmes, de tous les rêves, de toutes les projections. De tous les dangers aussi. C’est là que le Stalker se sent chez lui. Son visage s’éclaire. Il se redresse. La chape de plomb du réel n’a soudain plus de prise sur lui. Mais c’est là aussi qu’il faut abandonner tout espoir, comme à l’entrée de l’Enfer de Dante, car seuls les plus malheureux peuvent traverser la Zone et en revenir. Le malheur est au-delà du Bien et du Mal. C’est la nature profonde de la condition humaine qui s’évertue pourtant à chercher sans cesse le bonheur jusque et y compris au coeur de la Zone où il n’y a pas de chemin. Nos trois héros avancent laborieusement à la manière de funambules. Toute la traversée nous fait l’effet d’un rêve éveillé dans un espace-temps qui défie la raison. Le cinéma de Tarkovski est empreint de cette dimension onirique où il devient difficile de faire la différence entre le réel et l’imaginaire. La présence de l’eau sous toutes ses formes, renforce encore cette impression d’étrangeté, d’autant plus que les vestiges de constructions abandonnées par les hommes sont omniprésents. Une sensation diffuse d’apocalypse, de fin de monde, mais dans une sorte de douceur vénéneuse où tous les bruits sont étouffés. Comme si les personnages retenaient leur souffle en permanence et nous avec eux. On se sent quasiment sous hypnose, dans une attention aux détails, où tout fait symbole, lisible ou pas, peu importe en fait.

Les dialogues sont plutôt trois monologues qui exposent la vision du monde de chacun. Le Stalker dit avec des mots simples et définitifs que pour lui, les choses ont un sens et une raison d’être. Le poète se lamente sur sa condition d’artiste et l’inutilité de l’art, incapable de changer quoi que ce soit à la société des hommes. Le physicien est le plus taiseux. Il a l’air de savoir pourquoi il est là. Le scientifique veut en fait détruire l’espoir, dixit le Stalker. La scène de la bombe et le coup de fil tragi-grotesque avec son collègue agissent comme une déflagration avec un changement de ton et de propos totalement inattendu. Le sort du credo scientiste est ainsi réglé et le Professeur finira par renoncer. Lorsque soudain le poète actionne un interrupteur, la lumière se fait contre toute attente dans ce lieu abandonné. Il se fabrique une couronne d’épines avec du fil barbelé qu’il pose sur sa tête, et dit « Je ne vous pardonne pas ». Il aura suffi de quelques minutes pour subvertir deux piliers fondamentaux du dogme chrétien : l’omnipotence du Dieu créateur et le Pardon christique, tout en exposant le désir de puissance et la mégalomanie de l’Écrivain. On comprend que le bavardage n’a pas cours dans le cinéma de Tarkovski.

Ce qu’il y a de très frappant dans Stalker, au-delà de la beauté fulgurante des images et du jeu intériorisé des acteurs, c’est le crescendo constant, presque imperceptible, qui aboutit pourtant à une tension extrême dans la Chambre des souhaits et jusqu’au retour même du Stalker chez lui. C’est un art de la mise en scène, tendu comme un arc, sans concession ni fioritures, avec des images souvent énigmatiques, mais qui s’éclairent les unes les autres dans une cohérence esthétique totale. Le personnage de l’enfant, comme souvent chez Tarkovski, se situe dans une autre dimension que les adultes. Ici, une petite fille handicapée, comme tous les enfants des stalkers, muette et impassible qui a le pouvoir de faire bouger les objets. La Zone produit donc des malformations, mais dote également de pouvoirs hors du commun. Pour Tarkovski, la spiritualité, la veine mystique, diront certains, est une source vive où le merveilleux, l’inexpliqué, l’inexplicable font partie du réel, pour qui veut bien le voir. C’est cette source qui irrigue ses films et leur donne cette coloration unique qui ne cesse d’interroger le spectateur.

Sur le web

 » Adaptant avec les frères Boris et Arkadi Strougatski leur roman d’anticipation Pique-nique au bord du chemin, Tarkovski s’est évertué à en gommer la dominante futuriste pour en faire un trek métaphysique : un passeur nommé le Stalker guide un professeur et un écrivain dans un territoire interdit, surveillé par l’armée, qu’on surnomme la Zone depuis qu’une météorite ou bien des extraterrestres l’ont rendu dangereux, mortel. Ils tentent l’aventure car au sein de la Zone se trouve une “chambre” où les rêves les plus fous sont censés se réaliser.

Envisageant d’abord le tournage en Asie centrale (à Isfara au Tadjikistan), Tarkovski se ravisera et filmera l’essentiel des extérieurs en Estonie, à Talinn, notamment dans une ancienne centrale électrique désaffectée. Le tournage dura environ deux ans, 1977-78, au cours desquels l’essentiel de ce qui avait été filmé pendant six mois fut perdu, puis recommencé à zéro, avec un nouveau scénario et un autre chef opérateur. Et dans l’intervalle, Tarkovski fut victime d’une crise cardiaque.

Celui-ci tira profit, si l’on peut dire, de tous ces bouleversements, pour dépouiller le film de toute référence à la SF, et pour transformer le Stalker, à l’origine simple voyou, en idiot mystique à la Dostoïevski. Ce qui n’était au départ qu’une simple épopée post-apocalyptique est devenu une quête existentielle dans la lignée des les autres films de Tarkovski, pour la plupart fondés sur la recherche du sens et de la transcendance, en opposition avec le matérialisme politique et industriel de son époque…

… Le cinéma de Tarkovski produit un effet proche de l’hypnose. Il propulse son spectateur dans un autre état de conscience en même temps qu’il génère une crainte pour ses non-initiés. Si la filmographie du cinéaste russe souffre souvent d’une réputation dépressive et absconse, (re) voir Stalker, c’est faire au contraire l’expérience d’une œuvre humaniste et profondément sensorielle, qui renferme l’idéal du cinéma tarkovskien tout en étant assurément son film le plus accessible. À la fois film d’aventures, science-fiction minimaliste et expérience mystique, le cinquième film réalisé par Tarkovski, et son dernier tourné en URSS, est aussi connu pour avoir été l’un des tournages les plus troublants de l’histoire du cinéma. Ce tournage illustre de manière vertigineuse l’adage rivettien selon lequel un film est toujours le documentaire de sa propre fabrication…

Stalker est un film à suspense, mais c’est tout sauf un film d’action. Une œuvre énigmatique dès le départ, qui prend son temps pour avancer, tout comme le Stalker et ses acolytes, qui n’emploient jamais la ligne droite (“Trop dangereux !”). Non seulement le film est lent, mais les personnages font de longues haltes au cours desquelles ils somnolent et débattent de sujets philosophiques ou éthiques…

… Toute l’histoire repose sur des postulats, des affirmations du Stalker, conteur dans le conte. Tout tient sur sa parole, sur son affirmation que la chambre exauce les désirs les plus fous. Le Stalker prétend également que si l’on ne suit pas ses procédures, on risque sa vie. De toutes ces affirmations et avertissements, rien ne sera confirmé ni infirmé. Un des protagonistes en fait d’ailleurs la remarque à un moment, se demandant si tout cela n’est pas un bluff. D’où la beauté du film, qui fait vibrer et frémir au diapason des personnages, mais sans jamais fournir aucune preuve que toute cette inquiétude soit fondée…

Stalker annonce la catastrophe de Tchernobyl avec près de dix ans d’avance, lorsqu’il décrit un territoire interdit, des bâtiments abandonnés, fermés au public suite à un phénomène à la toxicité mortelle. Comme dans le film, un vaste espace autour de la centrale ukrainienne dévastée est nommé la Zone. Et comme dans le film, des tour-opérateurs effectuent des visites guidées des décombres pour touristes en mal de sensations. Dans un sens plus large, le film est également prémonitoire du délitement de l’Union soviétique et de ses structures politiques et sociales…

… Comme la plupart des films non tournés en France ou dans les pays anglo-saxons jusque dans les années 1980, Stalker a été doublé et bruité de A à Z. Une pratique abandonnée aujourd’hui, où le son direct est devenu presque la norme. Elle avait pourtant des vertus de stylisation et un grand potentiel esthétique et dramatique. Les sons sont reconstitués, filtrés, conçus en syntonie avec la musique planante et synthétique de Edouard Artemiev, proche de certaines B.O. électroniques de films d’aventure de l’époque, comme Aguirre, la colère de Dieu (PopolVuh), ou Le Convoi de la peur (Tangerine Dream). Hélas, Artemiev n’a jamais eu l’audience de ses confrères ouest-allemands. Par ailleurs, les sons eux-mêmes contribuent beaucoup à l’ambiance : crissements réverbérés dans les boyaux et les usines détruites que traversent les membres de l’expédition; clapotements et écoulements divers, renforçant la tonalité amniotique de ce trek au bord de la folie…

… Si Stalker est une œuvre à part entière et close, c’est aussi un prolongement du principe fantasmatique de Solaris, le film de SF de Tarkovski. Dans Solaris, le personnage principal se retrouve dans une base spatiale sur une lointaine planète, où la mer qui en couvre la surface est une entité pensante. Elle renvoie aux hommes leurs souvenirs qui, en se matérialisant, causent leur perte. Le principe de Stalker est connexe. L’excursion vers la Zone, vers la chambre magique, a pour but la métamorphose et l’oubli, la concrétisation de tous les souhaits et désirs. Comme dans Solaris, le phénomène fantastique est un vecteur presque psychanalytique de l’inconscient et de la névrose. En subissant une épreuve permettant d’aller au-delà de soi-même – que ce soit la prière ou le sacrifice –, on entreverra le salut ou on pourra l’envisager. D’où le profond mysticisme sous-jacent dans l’œuvre de Tarkovski. Ses héros intérieurement dévastés – la Zone est le reflet de leur psyché – ne seront pas complètement changés par l’expérience, mais transcendés d’une façon ou une autre. » (lesinrocks.com)

« … À la fable science-fictionnelle se mêle celle métaphysique (chrétienne, mais aussi bouddhique ou zen) : cette trinité d’hommes renvoie aussi aux deux pèlerins d’Emmaüs visités par le Christ, référence narrée par une voix-off alors qu’est cadré le visage du Stalker : « Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux. »

Mais c’est aussi une fable politique (la zone comme espace de liberté possible au sein d’un système totalitaire) et artistique : la notion de « stalking » emprunte encore à Castaneda qui en fait un véritable art, une conduite furtive, secrète, qui consiste en une manière de percevoir une autre réalité d’une façon plus harmonieuse et qui est visionnaire…

… Si le Stalker est la figure d’un humble par excellence, c’est à une conversion qu’invite Tarkovski : devenir tel un enfant, à l’image d’un arbre souple et tendre. Ainsi, « l’homme en venant au monde est faible et souple. Quand il meurt il est fort et dur. L’arbre qui pousse est tendre et souple. Devenu sec et dur, il meurt. La dureté et la force sont les compagnons de la mort. La souplesse et la faiblesse expriment la fraîcheur de la vie. Ce qui est dur ne vaincra jamais. » Le cinéma comme art de l’enfance, est associé chez Tarkovski à un modèle organique, celui de la croissance végétale, à l’image de la spirale de croissance de la coquille de l’escargot : le terme « stalk » désigne en effet aussi la tige d’une plante, laquelle s’élève vers le ciel.

Stalker, film-labyrinthe dont l’intérieur de la zone ressemble à l’intérieur d’une coquille d’escargot et travaillant la porosité des espaces extérieurs et intérieurs, est néanmoins le récit du constat d’une tristesse, d’ordre psychologique et métaphysique : parvenus au seuil de la chambre des désirs, à la frontière d’un face à face possible où tous les désirs les plus profonds et les plus sincères seraient exaucés, le professeur et l’écrivain sont face à une impossibilité, celle d’un refus. Refusant un saut dans l’inconnu, c’est aussi le refus d’une sonde du cœur, de son mystère, de sa pureté. La chambre est, comme le formule le Stalker, pour les malheureux, les pauvres, les désintéressés, pour ceux qui n’ont plus rien. Si l’écrivain imagine un « âmomètre » mis au point par le professeur, le cinéma de Tarkovski s’attache à être un tel instrument, à révéler l’âme, et à convertir une impossibilité en possibilité : comme le formule le Stalker, le principal, c’est d’avoir la foi !

Aujourd’hui, voir Stalker en copie restaurée, c’est ainsi garantir que le film soit toujours vivant, tel la tige d’une plante. Comme dans la zone, les fleurs n’embaument pas ici, mais, ainsi que le formulent les protagonistes en y pénétrant, elles refleurissent. En effet, à l’image de ce couple enlacé momifié d’où pousse, entre eux, une verdoyante végétation, c’est bien l’image vivante, croissante, en partage qui intéresse Tarkovski. L’écrivain pensait que ces livres rendraient les hommes meilleurs, mais son aveu est celui d’un échec : personne n’a besoin de lui. C’est la même crainte qu’a Tarkovski mais le constat est inverse : nous avons besoin de lui. » (critikat.com)

 » Stalker peut facilement être catalogué parmi les grandes énigmes du septième art. Anxiogène, très long, aux plans interminables et aux dialogues extrêmement philosophiques, il est de ces films qui ne s’abordent pas sans une préparation certaine. Cinquième long-métrage d’Andreï Tarkovski, il représente ce que l’on considère d’accoutumée, avec Le Miroir (1975), comme le sommet de la carrière du cinéaste russe…

… Tout le film s’articule autour de cette dualité entre le bonheur et le malheur. Le malheur manifeste des hommes n’existe donc que pour justifier leur quête et leur accès au bonheur. Stalker s’intéresse également aux croyances des hommes, à leur capacité à ne pas pouvoir tout expliquer, avec l’opposition entre le Stalker, intimidé par les pouvoirs imprévisibles de la Zone, et le Professeur et l’Écrivain, beaucoup plus terre-à-terre et certains de ce qu’ils savent et de ce qu’ils voient. Stalker est l’un des films les plus étirés de Tarkovski, et aussi l’un des plus minimalistes, avec très peu de décors et d’acteurs. Pourtant, c’est également l’un des plus profonds, ouvrant de nombreux tiroirs sur la nature humaine, développant nombre de ses aspects et les décryptant au détour de dialogues lourds de sens. Hypnotique, aride, anxiogène, Stalker est un film qui met son spectateur dans l’inconfort, mais le confronte à un retour aux sources alimenté par une puissante dissertation et une maîtrise de l’art cinématographique propre à Tarkovski. » (alarencontreduseptiemeart)

« … Tarkovski oppose formellement la vision d’un monde en déliquescence, pollué et stérile, filmé dans un sépia maladif, à une Zone verdoyante et sauvage – où la nature a eu raison des entreprises humaines, où les voitures, les édifices ne sont plus que des ruines envahies par l’herbe virginale – magnifiée par l’usage d’une couleur pure et apaisante. La musique d’Edouard Artemiev, symbiose de mélodies ancestrales portées par le souffle de l’air et de nappes synthétiques contribue à l’ambiance hypnotique qu’exerce le film.

Observant une unité de temps, d’espace et d’action, Tarkovski démontre la capacité du cinéma à scruter la vie, sans ingérence grossière dans son écoulement. En 144 plans, il nous invite à pénétrer avec lui le destin de ses personnages, à les suivre dans leur progression jusqu’au « moment le plus important de leur vie », à vivre ce pèlerinage qui nous déleste de nos certitudes arrogantes pour retrouver le rêve, la magie et la foi. Ode à l’humilité, à la puissance des faibles, Stalker nous convie à retrouver notre substance originelle, à nous imprégner de cette eau sacrée qui nous rendra moins secs, à nous agenouiller, à nous coucher dans les herbes fraîches pour contempler en silence la beauté insondable plutôt que de défier debout un monde déjà hostile…

… Apprentissage de la foi, plaidoyer pour la renaissance de l’espoir, métaphore de la création artistique, éloge de la nature et de ceux qui souffrent, Stalker est tout cela et bien plus encore. Sa charge humaniste et métaphysique en font une réflexion intemporelle et inépuisable, sa puissance esthétique et sa densité poétique une œuvre rare et déroutante, qui nous fait perdre pied de la réalité pour lui substituer une vérité sublime, fragile et rédemptrice. S’il est des films dont on ne ressort pas indemne, de ceux de la dimension de Stalker on ne ressort jamais vraiment. » (dvdclassik.com)

 » Des entassements de ferraille, des passages abandonnés et délabrés aux allures d’égoûts de nulle part, au milieu d’une nature froide respirant à la fois la verdure et l’humidité : c’est la Zone de Stalker, une terre sans nom et glaçante mise sur pied par Tarkovski à partir d’une poignée de décors et d’accessoires, et dans laquelle on pénètre en tant que spectateur avec une certaine appréhension. C’est dans ce lieu que se déroule l’essentiel du film, qui présente un voyage initiatique dont on ne connaît vraiment ni les circonstances, ni les motivations. Dans de grands mouvements lents, la caméra suit le périple de trois hommes à travers cette Zone que les dialogues ne cessent d’examiner en tous sens, sans pourtant jamais pouvoir la saisir dans sa totalité. L’exploit de Tarkosvki est de procéder à une alchimie particulière en assemblant le plus d’éléments possibles autour du grand mystère du film et en les concentrant à l’écran pour tenter de capturer l’essence de ce mystère. Le résultat paradoxal est une “épreuve” cinématographique en extension, au rythme extrêmement long, sinueux, et par là mimétique de l’action : les personnages doivent parcourir une distance qui en réalité ne fait que quelques centaines de mètres, mais eux-mêmes sont obligés de prendre de nombreux détours, car la Zone fonctionne comme une série de pièges qui se renouvellent sans cesse et sans qu’on puisse les prévoir. On peut voir là l’une des réflexions favorites du cinéaste, celle portant sur l’expérience du temps, qui comme dans Le miroir constitue un flux continu et essentiel, mais difficilement contrôlable, entre les différents mouvements de notre existence.
Pourtant, dans le même moment, le film exige une capacité de concentration aiguisée, car il surprend par sa densité, que ce soit au niveau des dialogues – qui voltigent souvent entre les registres poétique et philosophique – ou de l’image, extraordinairement riche dans ses couleurs et sa composition. Les considérations sur la vie ou la foi créent une dimension parallèle aux agencements de saleté et de délabrement montrés à l’écran, et cette rupture entre l’abstrait et le concret se retrouve jusque dans la narration même, qui emmène ses personnages du côté de l’idée générale (ils se nomment l’Écrivain, le Professeur…) plutôt que du récit.

Il est donc question dans Stalker de se laisser initier, comme les personnages dans le film se laissent conduire par un passeur, qui se révèle l’homme le plus proche des vérités simples du cœur et de la nature. Malgré la richesse des réflexions qui constituent la matrice principale des dialogues et les allusions visionnaires aux excès des civilisations ultra-technologiques et policières, il n’y a sans doute pas de noyau systématique et rationnel, ou plus simplement de “message”, à tirer du récit. C’est d’ailleurs seulement à ce prix que le film réussit à ménager des espaces de flottement pour le spectateur, où ce dernier peut s’évader dans une rêverie à partir des images qui lui sont proposées à l’écran. Alors que l’un des motifs récurrents est celui de la prison et de l’enfermement, Tarkovski a l’audace de proposer comme ultime solution alternative une exploration visuelle et mentale unique, qui plonge celui qui la regarde dans une hypnose troublante. » (avoir-alire.com)

« … Quel bonheur de redécouvrir Stalker sur grand écran, dans une version restaurée par The Eye (la cinémathèque d’Amsterdam) et présentée il y a deux ans dans la section Venice Classics de la Mostra de Venise. Quarante ans après sa sortie en salles, en 1979, l’impact émotionnel du 5e film d’Andreï Tarkovski, le dernier réalisé au sein du système de production soviétique, est intact.

Dès son premier film, « L’enfance d’Ivan » (Lion d’or à Venise en 1962), Tarkovski n’a jamais été en odeur de sainteté en URSS, ses films étant jugés par les autorités trop avant-gardistes ou maniant des références jugées peu orthodoxes, car datant d’avant 1917. C’est particulièrement criant dans Stalker, adapté d’un roman de science-fiction publié en 1972 par les frères Strougatski, eux aussi réprimés par le régime. Ceux-ci signent aussi le scénario, assez éloigné de leur roman, s’inscrivant clairement dans la ligne mystique du cinéaste.

Stalker n’est pas un brûlot politique, ne s’en prend pas directement au régime communiste, mais il détonne par son mysticisme dans un pays où l’athéisme était de mise. La figure du Stalker est en effet ouvertement christique, celle d’un prophète qui conduit les âmes vers la vérité et l’accomplissement de leurs désirs les plus profonds. En voulant continuer à croire à tout prix en l’espérance que représente la « Zone« , le Stalker se place ouvertement en contradiction avec la science et l’art, représentés par des personnages bouffis d’orgueil et ayant renoncé à la foi.

Film métaphysique grandiose, Stalker est une œuvre d’une immense richesse. Quasiment sans effets spéciaux, d’une rare sobriété de moyens – ce qui s’explique sans doute par le fait que Tarkovski a dû entièrement retourner son film suite à des problèmes de développement de sa pellicule Kodak par les labos russes – , Stalker n’est pas à proprement parlé un film de science-fiction. Il s’agit plutôt de la réponse, sept ans plus tard, à Solaris, qui abordait les mêmes thèmes, mais que le cinéaste jugeait futile, à cause de tous ses gadgets technologiques.

Tarkovski peut au contraire ici se concentrer sur son cinéma et sur sa mise en scène, en laissant libre cours à son talent de génial créateur d’images fortes, inquiétantes, surgies de son univers mental, avec notamment le passage du noir et blanc à la couleur ou l’omniprésence de l’eau… Aujourd’hui encore, Stalker reste une expérience esthétique et métaphysique d’une rare intensité, tant l’ambition de son auteur est démesurée. Avec ce film langoureux, conçu comme une errance philosophique, Tarkovski signe une œuvre d’art totale, composant lui-même les décors, faisant appel aux poèmes de son père Arseni et à la musique électronique d’Edouard Artemiev… Le tout au service d’une évocation universelle et déchirante de la fragilité de la nature humaine, en perpétuelle quête de bonheur.

En revoyant le film aujourd’hui, ce qui frappe aussi, c’est son aspect prémonitoire. Car le monde que décrit Stalker, c’est celui dans lequel on vit, celui où ont triomphé le cynisme, l’égoïsme et l’orgueil, qui ne laissent plus place à la réflexion, à l’écoute du monde et de la nature. Et à voir la façon dont Tarkovski filme cette zone dévastée, où la nature a repris ses droits en l’absence de l’homme, impossible de ne pas penser à la zone d’exclusion autour de la centrale de Tchernobyl, où, là aussi, des « Stalkers » proposent aux touristes en mal de sensations fortes de pénétrer dans l’inconnu. Stalker a d’ailleurs été tourné sur le site d’une ancienne centrale électrique près de Tallinn en Estonie. Le nombre élevé de morts du cancer dans l’équipe dans les années qui ont suivi le tournage (dont Tarkovski lui-même, décédé à Neuilly en 1986 à l’âge de 54 ans) a d’ailleurs amené certains à évoquer comme cause la pollution du site et la présence de radiations… » (lalibre.be)

 » En 1979, le cinéaste russe Andreï Tarkovski dévoile son ultime film tourné en URSS avant de s’exiler en Italie. Son dernier long-métrage, Le Miroir, signait une certaine apogée artistique pour son auteur. Rêverie quasi-hermétique à la mise en scène sublime au possible, le film fut cependant jugé bien trop avant-gardiste par les autorités soviétiques de l’époque. Tarkovski se trouve plus que jamais dans une situation précaire et manque de financement. Il rencontre en 1971 les fameux frères Strougatski, Arcadi et Boris, écrivains de science-fiction majeurs à qui l’on doit notamment les romans Il est difficile d’être un Dieu, L’île Habitée, L’escargot sur la pente ou encore…Stalker. Dès 1976, Andreï Tarkovski tente d’adapter le roman culte dans la région de Talinn en Estonie. Le tournage prendra des années et s’avérera extrêmement compliqué pour le réalisateur et son équipe du fait de divers incidents pendant celui-ci et, notamment, de la perte d’une large partie des scènes tournées en extérieur suite à des erreurs dans le développement des pellicules. Trois ans plus tard, Stalker est achevé. Il est le cinquième film de Tarkovski et le second à appartenir au genre science-fiction après Solaris. Un genre que n’affectionne pourtant pas le cinéaste russe — comme tous les genres en réalité — mais qui trouve ici grâce à ses yeux du fait des connotations philosophiques et métaphysiques évidentes du roman des Strougatski et qui font forcément écho à l’oeuvre du réalisateur. Présenté au festival de Cannes en 1979, le film remporte le prix du jury œcuménique dans la foulée avant d’acquérir peu à peu une aura aussi culte que celle du roman d’origine. Oeuvre exigeante et grandiose, Stalker ne laisse personne indifférent… Chaque plan de Stalker, et notamment les moments entre rêves et réalité, sont des oeuvres d’art à part entière qui entrent en résonance avec les questionnement sur le sens de l’existence et sur les aspirations des personnages. Il suffit de voir le stalker allongé dans la boue au milieu d’une eau croupie pour comprendre toute la maestria visuelle du russe. Non seulement il parvient à créer une ambiance unique à partir de rien, mais il développe une esthétisme inoubliable sur fond de quête quasi-mystique… Très certainement l’un des meilleurs films d’Andreï Tarkovski, Stalker arrive à fusionner l’oeuvre originale aux idées du cinéaste russe de façon tout à fait grandiose. Authentique objet d’art aux multiples considérations philosophiques, voici le genre de long-métrage qui fait date. Un monument cinématographique » (justaword.fr)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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