The Flats



Vendredi 14 Février 2025 à 20h

Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice

Film documentaire de Alessandra Celesia, Irlande, 2024, 1h54, vostf


Dans sa tour HLM de New Lodge, Joe met en scène des souvenirs de son enfance vécue durant les « Troubles » conflit armé qui déchira l’Irlande du Nord des années 60 à 1998, et fit particulièrement des ravages dans ce quartier catholique de Belfast. Jolene, Sean, Angie et d’autres voisins se joignent à lui pour revisiter leur mémoire collective, qui a façonné leur vie et leur quartier.

Alessandra Celesia est née en Italie et vit entre Paris et Belfast. Après des études de lettres et de théâtre, elle débute sa carrière dans le spectacle vivant. Elle réalise son premier film, Loin (Luntano), en 2006. Depuis, elle a réalisé, notamment, Le Libraire de Belfast (2011, ARTE, Visions du Réel, Meilleur Film et Prix du Public au Festival dei Popoli), Mirage à l’Italienne (2013 Cinéma du Réel), Les Miracles ont le goût du ciel (2017 Locarno) et La Mécanique des choses (2023 ARTE/ZDF, Festival international du film de Turin).

Notre Article

par Josiane Scoleri

The Flats n’est pas un enième film sur les trente et quelques années de conflit armé qui ont secoué l’Irlande du Nord pendant la deuxième moitié du XXième siècle (même si c’est aussi, bien sûr, le sujet du film). C’est avant tout un film qui place au cœur du récit le destin d’hommes et de femmes dont la vie toute entière a été marquée et ou plutôt façonnée par ce qu’ils ont vécu dans ces années-là. C’est en cela que le film est bouleversant. Et c’est précisément en tenant à distance les explications historiques ou sociologiques que le film est plus profondément politique.

The Flats est une plongée dans le quartier de New Lodge à Belfast aujourd’hui, vieux quartier de HLM qui a mal vieilli avec ses tours insolites dans le paysage urbain traditionnellement bas de la ville, d’où le surnom populaire du quartier qui donne son titre au film (les appartements par opposition aux maisons individuelles ou semi-detached). The Flats n’est pas non plus un documentaire traditionnel, alors même que les protagonistes du film se racontent souvent, dans leur environnement et/ou face à la caméra. Le film, en effet, va bien au-delà de cet aspect strictement documentaire, en faisant résolument le choix de la mise en scène au sens fort du terme. En cela, on peut songer – toute proportion gardée – à la méthode de Joshua Oppenheimer dans The Act of Killing (2012). La réalisatrice fabrique en effet un film à double détente entre la parole de Joe aujourd’hui, dans son salon, avec les voisins du quartier, sa thérapeute, etc … et la mise en images des souvenirs qui remontent ainsi à la surface, Joe revit littéralement sous nos yeux les scènes traumatiques qui sont toujours vivaces dans son esprit. L’habileté d’Alessandra Celesia consiste à mêler les temporalités sans alerte préalable, avec par exemple l’apparition soudaine d’un petit rouquin. C’est évidemment Joe, à 9 ans, au moment des faits qu’il relate. La simple juxtaposition – légèrement décalée dans le déroulé du film – de l’homme adulte, bien abîmé par la vie, prématurément vieilli et de l’enfant, lumineux de vivacité, suffit à dire le temps qui a passé et le parcours chaotique du protagoniste.

The Flats fourmille ainsi d’idées simples et efficaces qui empêchent le spectateur de rester sur son quant-à-soi. Il se trouve propulsé qu’il le veuille ou non aux côtés des personnages. Ça peut même être drôle par moments, par exemple le transport du cercueil au début du film, cercueil qui va devenir un élément clé du récit jusqu’à occuper une place prépondérante qui dépasse largement son usage premier. De toutes façons, la mort est nécessairement omniprésente dans le film. Les images d’archives, s’intègrent avec fluidité et servent à rappeler le cadre historique, le réel dur et cru de ces années-là (en tout premier lieu, l’enterrement de Bobby Sands, issue tragique d’une grève de la faim désespérée). Mais la mort continue à faire partie du quotidien des habitants du quartier aujourd’hui, avec le trafic de drogue qui a pris possession des immeubles de ce qui s’appellerait chez nous une « cité« .

Ces allers-retours entre passé et présent structurent le film et charpentent le propos de la réalisatrice. Elle nous offre ainsi deux magnifiques portraits de femmes. Angela de la même génération que Joe, et Jolène, beaucoup plus jeune. Ce sont toutes les deux, chacune à leur manière, des résistantes qui luttent pied à pied pour survivre. Elles ont réussi l’une et l’autre à s’extirper d’un couple toxique et d’un mari violent. Elles reviennent de loin. Leur complicité est palpable dès qu’elles apparaissent ensemble à l’écran, avec notamment la scène où elles installent, dans la joie et la bonne humeur, un solarium électrique chez Angela. L’appareil, dans lequel elles s’allongent, fait office de contre-poids symbolique et ludique au cercueil dans l’appartement de Joe. Qu’un tel film puisse ainsi être traversé d’éclats de rire au plus fort de la déprime constitue en soi une réussite. Non seulement The Flats est dépourvu de la moindre trace de misérabilisme, mais chacun des plans nous parle, sans esbrouffe, sobrement, de résilience et de courage. La voix lumineuse de Jolène, auteure, compositrice, interprète qui chante à ses heures dans un bar du quartier est un autre exemple de cette vitalité. La beauté et l’harmonie surgissent ainsi quand on s’y attend le moins de ce terrain difficile, voire carrément mortifère.

The Flats est ainsi un film équilibriste entre l’histoire personnelle tourmentée de ses personnages et le contexte historique général qui fait irruption depuis toujours dans la vie des habitants du quartier. Autre parti pris substantiel, Alessandra Celesia prend bien soin de ne pas montrer la vie de l’autre côté de la frontière qui traverse Belfast et qui n’a nul besoin d’être tracée sur une carte pour exister dans toutes les têtes. Des unionistes, on ne verra que les gigantesques « feux de joie du 12« , comme on dit en Ulster pour commémorer la bataille de la Boyne (1), célébrations qui sont vécues chaque année comme une douloureuse provocation par les Catholiques. Et on les verra précisément par le prisme des habitants de New Lodge. Car The Flats n’est pas un reportage télé qui se partagerait à parts égales entre les deux communautés par soi-disant souci d’objectivité. Le film se veut un portrait sensible de Joe, Angie, Jolène, Rita et les autres, des personnes en chair et en os qui trimballent leur lot de souffrance et de rêve. En cela, Alessandra Celesia est la digne héritière du Free Cinéma des années 50 qui proclamait dans son manifeste « No film can be too personal » (Lindsay Anderson)

(1) Le 12 juillet 1690, victoire de Guillaume d’Orange (protestant) sur James II (catholique).

Sur le Web

« Alors que le Brexit a relancé la question du statut des deux Irlande, The Flats s’intéresse aux traces que la guerre civile a laissées dans un quartier de Belfast. Le film dresse de très beaux portraits et sonde les cicatrices invisibles, au-delà des célèbres fresques murales qui témoignent aujourd’hui encore de la violence du conflit…Ce sont les liens du mariage qui ont conduit l’italienne Alessandra Celesia à venir habiter Belfast. Lorsqu’elle s’est intéressée au quartier de New Lodge, le seul de la ville à présenter des tours d’appartements, elle a retrouvé Jolene, qu’elle avait connue sur le tournage du Libraire de Belfast (2011) puis Joe, un acteur né, puis Rita, sa thérapeute. Un embryon de film voyait le jour lorsqu’ils l’ont autorisée à filmer leurs séances. C’est ainsi que le film commence, Joe et son chien Freedom se rendent chez Rita, l’occasion de découvrir à la fois l’homme et la topographie du quartier. Chez Rita, Joe évoque son enfance, ce passé qui ne passe pas, entre fierté des luttes menées, traumatismes et culpabilité.

La cinéaste accompagne cette libération de la parole en proposant à Joe de reconstituer des saynètes qui, longtemps après, continuent de la hanter. Ainsi, le film s’appuie sur la démarche psychanalytique entreprise par Joe à laquelle il ajoute une dimension cathartique. Le dispositif n’est pas explicité et il faut un peu de temps avant de comprendre à quoi il joue quand il introduit un cercueil dans son appartement. Il s’agit de reconstituer la veillée funèbre de son oncle Cocke, dont le seul tort était d’être un catholique au mauvais endroit au mauvais moment. L’événement qui devait signer pour Joe, alors âgé de 9 ans, la fin de l’enfance et l’entrée « en guerre ».

Le présent et le passé reconstitué s’entremêlent si bien qu’ils convoquent les mêmes visages. Sean, le garçon du balcon est tantôt un voisin, le fils de Jolene, tantôt l’incarnation fantasmée de Joe enfant. Jolene devient la mère de Joe et Angie, une autre voisine, sa grand-mère. Celesia introduit également des actualités d’époque, un autre régime d’images qui ne paraît pas nécessaire au récit. Ces scènes de guerre civile sont d’une part tristement célèbres et d’autre part il n’était pas utile de les citer pour comprendre qu’elles tournent en boucle dans la tête de Joe et, par extension, agissent comme une menace permanente sur la ville en apparence paisible.

The Flats touche un point assez peu souvent évoqué par le cinéma, le sentiment de vide qui accompagne la fin d’un conflit. Joe s’est construit sur un antagonisme et s’est retrouvé fort dépourvu une fois que l’ennemi est redevenu le voisin (il faudrait naturellement mettre des guillemets partout). Alors, Joe enfourche un nouveau cheval de bataille et part, à sa manière, ou plutôt, à la manière de son héros, en guerre contre les dealers qui inondent le quartier et plus particulièrement son immeuble de leurs substances illicites et mortifères. Les voir agir au grand jour sans aucun scrupule le rend fou, il décide alors, lui aussi, d’entamer une grève de la faim. Jolene et Angie n’ont jamais eu besoin de chercher bien loin un centre d’attention, les hommes s’étant chargés de les tenir en alerte. La scène de la cabine de bronzage fait écho non sans malice à celle du cercueil. Les confidences alors échangées sont en rupture complète avec le moment de détente escompté : violences conjugales pour toutes les deux, catastrophe familiale pour Jolene dont la sœur est dans un état végétatif suite à une overdose… » (lebleudumiroir.fr)

« … Ode à la résilience, The Flats est une chronique humaniste bouleversante, où l’on se reconstruit sur les cendres de son passé, piétinant ces mêmes trottoirs où le sang a séché depuis. Des épisodes personnels, comme la mort d’un oncle où l’on panse le trou béant laissé par un impact de balle pour l’enterrement, à ceux collectifs, notamment le décès de Bobby Sands, le métrage retrace un pan entier de l’Histoire irlandaise, à travers le regard embué de ceux dont les souvenirs n’ont jamais pu s’estomper, la douleur étant encore trop vive, trop présente. Si New Lodge a vu les fusils, hissés pour les idéaux politiques, être remplacés par les armes blanches des petits dealers qui traînent en bas des blocs, les drapeaux républicains continuent à joncher certains balcons. Au cœur de cette citadelle de béton, là où seules les mauvaises herbes semblent pousser, les larmes des êtres rencontrés réaffirment que « vivre malgré » ne veut pas dire « survivre ». Dans cette intimité-là, la leçon n’en est que plus poignante. » (abusdecine.com)

« Depuis 1998, la guerre est civile est terminée. Du moins en apparence car les cicatrices et les plaies laissées par quarante années de conflits fratricides entre les catholiques et les protestants irlandais, avec comme arbitres partisans les policiers britanniques. Le nationalisme, sous couvert d’appartenance religieuse et communautaire, n’est jamais loin autour de ces figures qui témoignent d’un combat encore sensible dans les esprits, et d’une ville dévastée par l’alcool, la drogue et les violences conjugales. Alors, il faut bien revivre les évènements tragiques qui ont défiguré l’Irlande du Nord et c’est tout l’enjeu de cet habitant débonnaire, Joe, qui restitue à sa manière les souvenirs enfouis dans la conscience collective, pendant que son quartier cède sous ses yeux aux trafics de drogue.

Flats tire son nom de ces drapeaux que les habitants hérissent depuis leur balcon ou sur une tour de fortune construite à partir de palettes de bois. Chacun continue en secret de revendiquer la paternité historique de la terre, justifiant le parti pris sur les crimes commis hier, en dehors de toute foi et toute loi. La caméra d’Alessandra Celesia va à la rencontre de ces visages meurtris par des séparations, des deuils, et des images d’hier où l’on voit les manifestants incendier les commerces et les habitations…

… Dans une langue frontale, incendiaire, Alessandra Celesia restitue la guerre de ceux qui l’ont subie, alors qu’ils étaient enfants. La souffrance s’est perpétuée d’une certaine façon avec la drogue, l’alcool, dans le Belfast contemporain. En ce sens, The Flats fait le constat des ravages de la guerre qui continuent de hanter les souvenirs ou les corps des Irlandais du nord. Il y a notamment cette femme étendue sur un lit, nourrie par sonde, qui ne peut plus parler, ou cette autre qui s’enferme dans une cabine de bronzage en forme de tombe. Une musique surgit et, avec elle, les souvenirs d’un passé traumatique. Voilà donc un film dur, infiniment sensible, dans un langage dépouillé qui parvient à rendre visibles, les plaies jamais soignées de près d’un demi-siècle de lutte. » (avoir-alire.com)

« Dans son appartement du quartier catholique et populaire de New Lodge à Belfast, Joe reconstitue des souvenirs de son enfance, lourdement affectée par le conflit armé nord-irlandais – les « Troubles »- des années 60 à 1998, et fit particulièrement des ravages dans ce petit quartier catholique. Ses voisins Jolene, Angie et Sean revisitent avec lui la mémoire collective d’une Histoire violente et douloureuse, dans ce récit choral construit les marques encore présentes d’un passé tragique…

… Se concentrant principalement sur un seul protagoniste, Joe McNally, dont l’enfance a été bouleversée lorsque son oncle a été assassiné en 1975, le deuxième documentaire de Celesia tourné en Irlande après The Bookseller of Belfast est un rappel sombre et inquiétant de la tache indélébile et tragiquement multigénérationnelle de la violence. Pour Joe, dont la vie difficile est gravée sur le visage alors qu’il traverse le quartier avec son chien Freedom, le passé est le présent. La matinée commence avec les fidèles du quartier qui chantent des rosaires sous le regard de Notre-Dame. La nuit se termine avec Joe qui crie depuis la terrasse de son immeuble – où il arbore fièrement le drapeau tricolore irlandais – sous le regard des trafiquants de drogue qui défilent en contrebas. Il nous confie avoir vu son quartier passer du ghetto à un bidonville. Le statut de globe-trotter de Celesia (une réalisatrice italienne qui partage son temps entre la France et Belfast) lui a donné la liberté de prendre ce film comme point de départ géographique, thématique, et cinématographique afin d’expérimenter une narration et un filmage alternant présent et passé. The Flats transforme l’histoire de Joe, et celle de ses voisins et amis, en quelque chose de plus troublant en filtrant littéralement le passé par le tamis de l’écran…

… Film certes précis localement mais humainement universel, ce documentaire nous offre des moments émouvants mais subtils (montage et photographie inclus) sur des histoires encore présentes chez d’aucuns, et intégrées dans une Histoire aux cendres non encore éteintes d’une Irlande bouleversée. » (iletaitunefoislecinema.com)

« … La question de savoir si rejouer les événements du passé est une méthode psychothérapeutique efficace reste ouverte, mais en tant que dispositif cinématographique, ces reconstitutions semblent productives, car elles permettent de créer un espace cinématographique qui mêle de manière très fluide passé et présent et se trouve ici intelligemment complété par des matériels d’archives, des scènes montrant la vie quotidienne actuelle du sujet et des petits fragments de vidéos réalisées par lui… The Flats est riche en descriptions émouvantes de petits moments privés survenus pendant les Troubles. Les échos de cette époque continuent de résonner à New Lodge, en cohabitation étroite avec les abus de stupéfiants et la violence domestique. La souffrance pérenne de cette communauté est transmise de manière efficace à travers l’allure particulière du matériel d’archives, dominé par des teintes de bleu, et l’utilisation de couleurs froides pour les images du présent. Mais The Flats offre plus qu’une histoire sur la reconstitution des souvenirs du conflit nord-irlandais d’un homme : le film met en évidence le fait que les souvenirs refont constamment surface, comme la vie elle-même. » (cineuropa.org)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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